Signé Olrik : l’éternel retour de Blake et Mortimer
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Contrairement à Hergé qui ne voulait pas que Tintin et Milou ne lui survivent, Edgar Félix Pierre Jacobs, dit Edgar P. Jacobs, entendait que ses héros, Blake et Mortimer, continuent d’arpenter le vaste monde afin de le sauver et, accessoirement, d’y redresser les torts.
La preuve en est qu’avec la publication de Signé Olrik, nous en sommes au vingtième apocryphe, contre seulement douze albums originaux, signés de la main du maître. Edgar P. Jacobs peut donc reposer du sommeil du juste, la relève est magnifiquement assurée, ces nouvelles équipées tenant haut la main la comparaison avec le cahier des charges fixé par le créateur de la série.
Le premier à avoir relevé le gant n’est autre que Jean Van Hamme, le prolifique scénariste qu’on sait : Thorgal, XIII, Largo Winch ? C’est lui. En l’occurrence, son talent se signale par une sincère humilité : à aucun moment il n’a été tenté de réinventer la saga, se contentant de la poursuivre telle qu’elle fut conçue, se moquant à l’évidence comme d’une guigne des nouveaux impératifs humanistes et hygiénistes.
Toujours au service de la reine…
Bref, le colonel Francis Blake et le professeur Philip Mortimer continuent de tirer sur leur bouffarde tout en vidant moult whiskies dans leur cher Centaur Club, lieu d’exception interdit aux femmes, tel qu’il se doit. De même, les deux héros sont toujours tirés à quatre épingles, faisant assaut d’élégance, entre costumes en tweed admirablement coupés, souliers cirés de près, nœud papillon pour l’un et cravate nouée au cordeau pour l’autre.
Mieux : le duo persiste à risquer sa vie en permanence, au service de la patrie et de la couronne. La seule innovation bienvenue consiste en l’approfondissement de la psychologie du colonel Olrik, leur némésis méphistophélique qui, d’aventure en aventure, se fait parfois mélancolique, comme s’il était écrasé par le poids de sa permanente infamie, en venant secrètement à envier la rectitude morale de ses deux éternels ennemis.
Ce qui se vérifie une fois encore dans ce nouvel épisode se déroulant dans les Cornouailles, sur fond de légende arthurienne, d’Excalibur, de Dame du Lac et de terrorisme indépendantiste local. Comme toujours chez Blake et Mortimer, le surnaturel côtoie l’esprit scientifique et cartésien, incarné par le professeur Mortimer, inventeur de génie ; jadis l’Espadon, avion supersonique théorisé bien avant notre Concorde, et là une excavatrice avant-gardiste conçue pour l’industrie minière. Les esprits chagrins déploreront éventuellement l’arrivée de ces immigrés indiens venus travailler dans les mines du coin ; mais là, pas de pathos « antiraciste » : juste l’empathie naturelle des deux héros quant à ces anciens colonisés venus marner loin de chez eux. D’ailleurs, on remarquera aussi que le plus « accueillant » des autochtones n’est pas dénué de sombres arrière-pensées…
De Winston Churchill aux Beatles
Si Jean Van Hamme a passé la main, à l’exception du récent Dernier Espadon, Yves Sente, son disciple plus que talentueux, poursuit ce grand œuvre avec panache, persistant à ne pas dévier des fondamentaux plus haut évoqués. Ce qui vaut aussi pour un des autres scénaristes de cette renaissance exempte de toute velléité de « renouveau », Jean Dufaux, tel qu’en témoigne Le Cri du moloch, ouvrage ouvertement inspiré du film Les Monstres de l’espace (1967), bijou du fantastique à l’anglaise produit par la mythique firme Hammer et signé par le très efficace Roy Ward Baker. Là, on découvre, dans les tréfonds du métro londonien, un vaisseau spatial dont les survivants tentent depuis des siècles d’entrer en contact avec les humains. Soit l’une des aventures les plus magistrales de notre héroïque binôme, dans laquelle un certain Winston Churchill fait une apparition remarquée.
Ce genre de clin d’œil historique est manifestement l’autre liberté prise par les successeurs d’Edgar P. Jacobs. D’où cette colle, pour nos lecteurs : dans quel album les Beatles pointent-ils le bout de leurs guitares ?
Au final, Signé Olrik est un ouvrage hautement recommandable. Le parfait cadeau de Noël pour ceux qui estiment que si ce n’était pas forcément mieux avant, c’est probablement pire aujourd’hui. Car dans ce monde en perpétuel mouvement, il est rassurant de voir que certaines choses demeurent immuables.
Pour les plus paresseux, le chat donne sa langue : il s’agit de La Machination Voronov, page 55, où le quatuor donne l’un de ses premiers concerts sous le nom des Quarrymen, le samedi 6 juillet 1957, à Saint Peter’s Church.
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