La Société du spectacle : l’élection présidentielle sombre dans la pantalonnade

La Société du spectacle, œuvre d’anticipation par excellence, s’impose dans un contexte où la présente élection présidentielle française sombre dans la pantalonnade la plus débridée.

Publié en 1967, cet essai dresse un réquisitoire implacable contre un monde de la communication qui n’est pas une excroissance de la pensée machiniste mais plutôt un outil qui permet que « le spectaculaire diffus accompagne l’abondance des marchandises, le développement non perturbé du capitalisme moderne ». Véritable prophète de la postmodernité, Guy Debord reprend à son compte le concept d’hégémonie culturelle afin de décortiquer la ligne de montage du processus de fabrication d’un monde fantasmé. Un monde dominé par la politique spectaculaire.

Peu nous importe que Philippe Poutou se présente en slip sur les plateaux de télévision, que le fougueux Mélenchon chérisse les causes de ce qu’il dénonce ou que Fillon se réclame de valeurs chrétiennes qui sont antinomiques avec les visées du CAC 40 ; les contrepèteries de tous ces guignols nous aident à digérer un spectacle politique qui part en couille.

Et que dire de l’arrière-scène, alors que la magistrature fait fuiter des affaires compromettantes susceptibles de handicaper la course électorale de certains ? N’oublions pas les médias qui, tels des souffleurs, gesticulent derrière un Macron qui semble dépassé par sa propre supercherie et les instituts de sondage manipulant à souhait les marges d’erreur !

Guy Debord nous avait pourtant prévenus que « le spectacle est l’idéologie par excellence, parce qu’il expose et manifeste dans sa plénitude l’essence de tout système idéologique […] ». Il n’y a qu’à regarder d’un peu plus près l’envers du décor pour réaliser que la classe politique sert de faire-valoir à une caste des prévaricateurs qui spécule sur tout : de la matière (les rapports économiques) à l’antimatière (la théorie du genre). Les politiques se crêpent le chignon pour défendre des points de vue qui débouchent sur des impasses. L’antienne néolibérale des uns se butant sur la profession de foi citoyenne de leurs opposants. Ou comment faire plus de fric tout en ménageant les fesses d’un électorat qui, comme un troupeau de vaches, regarde passer le train « en marche » de la globalisation.

Imperturbable, Debord martèle que vouloir abolir la bourgeoisie afin de prendre sa place ne résoudra rien, précisant que « le mûrissement des forces productives ne peut garantir un tel pouvoir, même par le détour de la dépossession accrue qu’il entraîne. La saisie jacobine de l’État ne peut être son instrument. » En effet, après avoir décapité une aristocratie dégénérée, les Jacobins ont été trucidés par la bourgeoisie des Lumières, cette bande de joyeux Girondins qui nous tient toujours en laisse. Il ne servira à rien que les patriotes prennent le pouvoir s’ils se comportent comme un Donald Trump qui a été rappelé à l’ordre par les véritables maîtres du jeu. Parce que, une fois le rideau baissé, il faudra bien que les citoyens puissent se réapproprier les leviers d’un État réduit à la portion congrue d’un auxiliaire du grand capital apatride.

Debord aurait pu conclure, à ce sujet, que « les gens admirables en qui le système se personnifie sont bien connus pour n’être pas ce qu’ils sont ; ils sont devenus grands hommes en descendant au-dessous de la réalité de la moindre vie individuelle, et chacun le sait ».

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/09/2024 à 16:35.
Patrice-Hans Perrier
Patrice-Hans Perrier
Écrivain et journaliste québécois

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