Sommet de l’OTAN : Erdoğan à la manœuvre et Poutine en coulisses ?

OTAN

Même à l’heure où cet article sera mis en ligne et à laquelle on ne saura, évidemment, pas ce qu’il sortira de ce sommet, tenu à Londres et censé fêter le soixante-dixième anniversaire de l’OTAN, il n’est pas besoin d’être devin pour tracer les lignes de force de cette rencontre.

Si l’on résume, Emmanuel Macron voit juste quand il évoque « la mort cérébrale de l'OTAN », sans forcément entrevoir jusqu’où cette phrase polémique est susceptible de l’entraîner. Donald Trump juge le propos « insultant » ; ce qui, venant de lui, peut prêter à rire. Angela Merkel vole immédiatement à son secours ; logique, sachant que l’Allemagne préfère préserver son trésor de guerre afin de ne pas la faire : « L’Europe ne peut pas se défendre seule pour le moment, nous dépendons de l’Alliance transatlantique, il est important que nous travaillions pour cette Alliance et que nous assumions davantage de responsabilité. »

Tout aussi logiquement, le président turc Recep Erdoğan répond vertement à Emmanuel Macron : « Fais d’abord examiner ta propre mort cérébrale. » Dans un premier temps, Ankara et Washington paraissent être sur la même ligne politique, s’en prenant de concert à un Président français plus qu’affaibli, à l’approche du 5 décembre prochain, là où les grèves annoncées pourraient bien annoncer un mouvement social hors du commun.

Mais cette alliance de circonstance est-elle viable à long terme ? Rien n’est moins sûr. En effet, depuis que la Turquie se fournit en missiles S-400 auprès de la Russie, c’est un pacte tacite qui vient de voler en éclats : celui voulant que toutes les armées faisant partie de l’OTAN soient tenues d’acheter du matériel américain. À ce titre, Erdoğan a, lui aussi, pris acte, à sa manière, de la « mort cérébrale » de ce pacte remontant au siècle dernier. Sa présence dans l’OTAN n’est donc finalement plus qu’un moyen de chantage, tel celui consistant à brandir la menace de laisser s’échapper quelques millions de migrants en Europe de l’Ouest.

La preuve en est qu’avant de s’envoler vers l’Angleterre, le néo-sultan menace de bloquer le sommet en question, manœuvre d’autant plus aisée que l’armée turque forme le deuxième plus gros contingent de l’OTAN (après l'armée américaine). Paradoxalement, ce n’est pas dans Le Figaro ou Le Monde qu’on trouve l’analyse la plus pertinente de la situation, mais dans Ouest-France : « Sans l’approbation des Turcs, l’OTAN aura plus de difficultés à mettre en place ses plans militaires de défense conçus pour la Pologne, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie dans l’éventualité d’une agression russe, à la suite de la crise ukrainienne et de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. » Nous y voilà, tant la lecture de la presse de province peut parfois se monter instructive.

Ainsi, Moscou, qui avait pourtant reçu la promesse formelle des USA de démanteler l’OTAN en même temps que le pacte de Varsovie, ne se fait plus guère d’illusions quant à la bonne foi américaine en la matière. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder une carte : les bases américaines, qu’il n’est pas incongru de qualifier de troupes d’occupation, n’ont jamais été aussi présentes qu’aujourd’hui, encerclant la Russie jusqu'en ses marches ancestrales. Pour nous protéger du terrorisme islamiste ? D’un raid iranien ? D’une attaque éclair de la Corée du Nord ? Et pourquoi pas d’une invasion monégasque ?

De la sorte décryptées, les actuelles lignes de fracture commencent à devenir plus claires : s’engouffrant dans la brèche ouverte par Emmanuel Macron, Vladimir Poutine entend rester dans le jeu, fût-ce en coulisses, fort du soutien de son nouvel allié, Recep Erdoğan. Le terrain est d’autant plus ouvert qu’Angela Merkel raisonne plus en termes économiques que politiques, que Boris Johnson, Brexit ou pas, poussera l’Angleterre à renouer avec ses historiques accointances américaines et, surtout, que Donald Trump ne voit pas la survie de ce « machin » issu de la guerre froide comme une priorité géopolitique.

Ne reste plus que la France. Mais encore nous faudrait-il un Président digne de ce nom et apte à faire entendre la voix de notre pays dans le concert des nations. Malgré quelques menus, mais louables, efforts, le compte n’y est pas.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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