« Sortir d’une sorte d’emprise de la blouse blanche : un effort surhumain »

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Alors que le projet « fin de vie » sera présenté en février prochain, Cédric de Linage a bien voulu répondre à nos questions. Celui dont l'épouse est lourdement handicapée depuis dix ans témoigne connaître à la fois les tentations du médecin, celles du proche, et voir le désespoir qui peut parfois emporter le malade. Une expérience qui le conduit à prendre la parole dans ces débats et espérer alerter sur « ce grave danger » que constituerait cette « pseudo-liberté ».

Iris Bridier. Votre épouse, Amélie, a été diagnostiquée en fin de vie et a survécu à un arrêt de traitements vitaux contre ses volontés. Depuis, à ses côtés, vous essayez de porter une voix singulière dans les débats sur la fin de vie. Pourquoi ?

Cédric de Linage. Notre expérience est unique : survivre à une fin de vie « inéluctable », c’est rare, encore plus quand le corps médical a engagé l’arrêt de traitements vitaux (l’alimentation). Le cas médical était certes particulier, mais nous avons exploré une frontière avancée dans la relation aux soignants, entre la vie et la mort, dans le pire comme dans le meilleur, et j’en tire de nombreux enseignements.

J’ai mesuré d’expérience la relation asymétrique qui naît à l’annonce d’une situation particulièrement grave. Demander au médecin que les volontés d’une patiente dans le coma soient simplement respectées quand il a déjà statué que « son projet de vie, c’est de mourir », et sortir d’une sorte d’emprise de la blouse blanche, c’est un effort surhumain.

Je pose une simple question : couper un traitement vital à une patiente quand son décès à court terme n’est pas si certain, contre sa volonté, le tout par précipitation et sans respecter la procédure Leonetti, c’est bien ou c’est pas bien ?

La réponse à cette question dérange car elle ébranle la toute-puissance médicale : la qualification d’acharnement thérapeutique dépend tout autant du regard personnel du médecin sur le handicap et la dépendance que de la situation médicale ou des volontés du patient. La mise en danger est avérée dès qu’un dialogue profond entre les soignants, le malade et les proches dans un cadre éthique est absent ; et il peut être long à construire, ce n’est pas une question de délai légal.

Nous éprouvons encore les effets de la tentation de l’euthanasie : classer Amélie en vie indigne lui a coûté l’aggravation de ses blessures, puisqu’on lui a coupé l’alimentation pendant quinze jours en pleine phase critique, c’est-à-dire au moment où elle en avait le plus besoin.

La tentation du suicide assisté qui nous toucherait serait un poison tout aussi mortel : notre vie au quotidien rencontre parfois encore l’épuisement, la lassitude, la révolte contre la souffrance, la chute de moral ou même l’envie de mourir. La tentation du suicide peut s’instiller à petites doses, en toute impunité, par l’entourage, volontairement ou involontairement, par le corps médical, par le mur des difficultés diverses et nombreuses.

En première ligne, nous avons besoin de soutiens et de nous sentir précédés, car nous ne sommes pas seuls au front : personne ne doit avoir le droit de suggérer à Amélie que la tuer ou se tuer serait une solution.

I. B. Que vous inspire cette expression contenue dans le texte présenté au président de la République de « secourisme à l’envers » ?

C. d. L. Cette expression est aussi effrayante que révélatrice. Quand les mots sont vidés de leur sens, se questionner n’est pas une option, c’est un devoir. Cette notion ressemble à ce que nous avons testé : alors qu’Amélie ne devait pas respirer, elle a repris sa respiration, son corps ne semblait pas vouloir mourir. Fallait-il encore lui laisser une chance de vivre ? Le corps médical a sans doute cru bon de pratiquer une sorte de « secourisme à l’envers » : je suis bien placé pour savoir où peut nous mener une telle inspiration.

Et le renversement ne touche pas que le monde médical mais bien toute la société. Pour exemple, l’article 212 du Code civil précise que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, assistance et secours ». Non seulement le projet de loi entraînerait de substituer l’assistance par l’assistance au suicide (!) et le secours par un « secourisme inversé » (!), mais le plus grave, c’est que cette loi empêcherait l’exercice même de ce devoir puisque la procédure exclut de principe les proches ! Cette loi détruit un des liens les plus indéfectibles de l’histoire de l’humanité, la promesse d’amour indéfectible qui unit un homme et une femme jusqu’à ce que la mort les sépare : en détruisant le devoir de nourrir l’amour, y compris et surtout dans les épreuves, on perd aussi le sel de la vie.

I. B. Qu’aimeriez-vous faire entendre à Emmanuel Macron ?

C. d. L. Il n’y a d’autre raison à l’engagement politique que la protection des plus faibles. Quelle inspiration ultralibérale vous laisse pousser au suicide les plus faibles, ne serait-ce que ceux qui n’auront pas accès à des services de soins palliatifs, sciemment déconstruits au demeurant dans le délitement déjà avancé de l’hôpital et du système de soins ?

Le pouvoir de vie et de mort que vous donnez aux soignants est justement qualifié par certains d’entre eux de « permis de tuer ». Plus que d’autre, je connais les tentations du médecin, je connais les tentations du proche, je vois le désespoir qui peut parfois emporter le malade.

Monsieur le Président, de mon expérience, je vous ai alerté par courrier dès 2018. Mon épouse a écrit à votre épouse. Ni elle ni vous n’avez daigné répondre. Entendez enfin que la revendication de pseudo-liberté des uns constitue un grave danger, mortel, pour celle des autres. C’est une victime qui vous le (re)dit.

Iris Bridier
Iris Bridier
Journaliste à BV

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31 commentaires

  1. Il n’y aura aucune liberté s’il revient au seul médecin de décider, si les soins palliatifs ne sont pas de qualité, si le choix revient au seul concerné (qui se croira n’être qu’une charge) ou aux seuls proches qui pourrait n’y voir que compassion à le libérer de sa vie, aucune liberté dans une société qui ne voit dans le petit à naître, l’handicapé, le grand âge, ..qu’obstacle à son plaisir, dans une société qui n’a plus la foi en la vie en l’humanité, qui n’a plus la Foi.

  2. Nonobstant les volonté du malade ou celles de la famille lorsque le patient ne peut s’exprimer, ce sont les médecins qui décident d’arrêter le soins. Mon mari s’est trouvé dans cette situation après une intervention (à la suite d’une hémorragie cérébrale liée à une métastase de cancer du poumon). Au bout de trois jours en soins intensifs, les médecins m’ont convoquée avec mes trois enfants pour nous faire savoir qu’ils allaient « débrancher le patient » car il était condamné (!) et ils nous ont fait comprendre qu’un lit dans le service coûtait très cher … (sous-entendu : trop cher pour un patient de 69 ans …)
    Nous avons protesté qu’on ne lui laissait aucune chance, mais n’avons réussi qu’à repousser la décision de quelques jours et on a désintubé mon mari, qui a néanmoins surmonté cette épreuve.
    Nous sommes ensuite restés jour et nuit à son chevet vérifiant sans cesse quels produits ont lui injectait dans la perfusion ! Quinze jours ont suffi pour que la vie de mon mari s’achève, sans que nous ayons à dire quoi que ce soit.

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