« Sortir d’une sorte d’emprise de la blouse blanche : un effort surhumain »
5 minutes de lecture
Alors que le projet « fin de vie » sera présenté en février prochain, Cédric de Linage a bien voulu répondre à nos questions. Celui dont l'épouse est lourdement handicapée depuis dix ans témoigne connaître à la fois les tentations du médecin, celles du proche, et voir le désespoir qui peut parfois emporter le malade. Une expérience qui le conduit à prendre la parole dans ces débats et espérer alerter sur « ce grave danger » que constituerait cette « pseudo-liberté ».
Iris Bridier. Votre épouse, Amélie, a été diagnostiquée en fin de vie et a survécu à un arrêt de traitements vitaux contre ses volontés. Depuis, à ses côtés, vous essayez de porter une voix singulière dans les débats sur la fin de vie. Pourquoi ?
Cédric de Linage. Notre expérience est unique : survivre à une fin de vie « inéluctable », c’est rare, encore plus quand le corps médical a engagé l’arrêt de traitements vitaux (l’alimentation). Le cas médical était certes particulier, mais nous avons exploré une frontière avancée dans la relation aux soignants, entre la vie et la mort, dans le pire comme dans le meilleur, et j’en tire de nombreux enseignements.
J’ai mesuré d’expérience la relation asymétrique qui naît à l’annonce d’une situation particulièrement grave. Demander au médecin que les volontés d’une patiente dans le coma soient simplement respectées quand il a déjà statué que « son projet de vie, c’est de mourir », et sortir d’une sorte d’emprise de la blouse blanche, c’est un effort surhumain.
Je pose une simple question : couper un traitement vital à une patiente quand son décès à court terme n’est pas si certain, contre sa volonté, le tout par précipitation et sans respecter la procédure Leonetti, c’est bien ou c’est pas bien ?
La réponse à cette question dérange car elle ébranle la toute-puissance médicale : la qualification d’acharnement thérapeutique dépend tout autant du regard personnel du médecin sur le handicap et la dépendance que de la situation médicale ou des volontés du patient. La mise en danger est avérée dès qu’un dialogue profond entre les soignants, le malade et les proches dans un cadre éthique est absent ; et il peut être long à construire, ce n’est pas une question de délai légal.
Nous éprouvons encore les effets de la tentation de l’euthanasie : classer Amélie en vie indigne lui a coûté l’aggravation de ses blessures, puisqu’on lui a coupé l’alimentation pendant quinze jours en pleine phase critique, c’est-à-dire au moment où elle en avait le plus besoin.
La tentation du suicide assisté qui nous toucherait serait un poison tout aussi mortel : notre vie au quotidien rencontre parfois encore l’épuisement, la lassitude, la révolte contre la souffrance, la chute de moral ou même l’envie de mourir. La tentation du suicide peut s’instiller à petites doses, en toute impunité, par l’entourage, volontairement ou involontairement, par le corps médical, par le mur des difficultés diverses et nombreuses.
En première ligne, nous avons besoin de soutiens et de nous sentir précédés, car nous ne sommes pas seuls au front : personne ne doit avoir le droit de suggérer à Amélie que la tuer ou se tuer serait une solution.
I. B. Que vous inspire cette expression contenue dans le texte présenté au président de la République de « secourisme à l’envers » ?
C. d. L. Cette expression est aussi effrayante que révélatrice. Quand les mots sont vidés de leur sens, se questionner n’est pas une option, c’est un devoir. Cette notion ressemble à ce que nous avons testé : alors qu’Amélie ne devait pas respirer, elle a repris sa respiration, son corps ne semblait pas vouloir mourir. Fallait-il encore lui laisser une chance de vivre ? Le corps médical a sans doute cru bon de pratiquer une sorte de « secourisme à l’envers » : je suis bien placé pour savoir où peut nous mener une telle inspiration.
Et le renversement ne touche pas que le monde médical mais bien toute la société. Pour exemple, l’article 212 du Code civil précise que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, assistance et secours ». Non seulement le projet de loi entraînerait de substituer l’assistance par l’assistance au suicide (!) et le secours par un « secourisme inversé » (!), mais le plus grave, c’est que cette loi empêcherait l’exercice même de ce devoir puisque la procédure exclut de principe les proches ! Cette loi détruit un des liens les plus indéfectibles de l’histoire de l’humanité, la promesse d’amour indéfectible qui unit un homme et une femme jusqu’à ce que la mort les sépare : en détruisant le devoir de nourrir l’amour, y compris et surtout dans les épreuves, on perd aussi le sel de la vie.
I. B. Qu’aimeriez-vous faire entendre à Emmanuel Macron ?
C. d. L. Il n’y a d’autre raison à l’engagement politique que la protection des plus faibles. Quelle inspiration ultralibérale vous laisse pousser au suicide les plus faibles, ne serait-ce que ceux qui n’auront pas accès à des services de soins palliatifs, sciemment déconstruits au demeurant dans le délitement déjà avancé de l’hôpital et du système de soins ?
Le pouvoir de vie et de mort que vous donnez aux soignants est justement qualifié par certains d’entre eux de « permis de tuer ». Plus que d’autre, je connais les tentations du médecin, je connais les tentations du proche, je vois le désespoir qui peut parfois emporter le malade.
Monsieur le Président, de mon expérience, je vous ai alerté par courrier dès 2018. Mon épouse a écrit à votre épouse. Ni elle ni vous n’avez daigné répondre. Entendez enfin que la revendication de pseudo-liberté des uns constitue un grave danger, mortel, pour celle des autres. C’est une victime qui vous le (re)dit.
31 commentaires
Ce cas illustre la difficulté à légiférer en la matière : par son serment d’Hippocrate, le rôle du Médecin est de soigner, aider à guérir ou à se maintenir en vie, (car cette Vie nous est donnée par une Puissance supérieure à la nôtre) …. et NON PAS DE TUER …!!!
Seules les personnes qui ont été confrontées à ce genre de situation devraient être autorisées à en discuter et donner leur avis sans pour autant passer à l’acte d’une manière ou d’une autre, par respect de la vie et de la dignité de la survie.
Souvenons nous du cas Vincent Lambert euthanasié sur ordres fort éloignés du serment d’Hippocrate. Quand est il du cas Michael Schumacher? As t on jamais envisagé pour lui cette fin ultime ? Que savons nous du syndrome de l’enfermement ? En fait , ce problème de la mort est géré par des petits hommes gris , comptables des deniers publics ( mais hélas souvent absents lorsqu’il s’agit de leurs maitres ) Bienvenu dans le monde de Philip K Dick.
« Cette loi détruit un des liens les plus indéfectibles de l’histoire de l’humanité, la promesse d’amour indéfectible qui unit un homme et une femme jusqu’à ce que la mort les sépare ». C’est le b-a Ba progressiste franc-maçon : la destruction du couple et de la famille. La loi sera votée, comme les autres lois sociétales, seule œuvre pour laquelle Macron montre une superbe efficacité.
Toutes ces discussions seraient vaines si les soins palliatifs existaient vraiment partout et pour tous, car c’est là que le bât blesse.
Chers journalistes de Bd Voltaire, chers lecteurs de Bd Voltaire, je suppose que nous partageons certaines valeurs et opinions pour lire ce bulletin à peu près chaque matin. Mais je vois aujourd’hui à quel point je me sens loin de vous sur ce sujet du suicide assisté. Tout le monde a bien compris ce qui est en cause : il ne s’agit pas du suicide puisque chaque être humain a le droit d’en user, quel que soit son âge et sa religion. Il ne s’agit pas du droit de tuer puisque seul l’intéressé peut décider de son suicide (ou alors, ce n’est plus du suicide dont nous parlons). Il ne s’agit pas davantage d’imposer aux médecins de tuer leurs patients. Il s’agit du droit pour chaque être humain qui le déciderait d’utiliser à ses frais des substances chimiques qui lui permettraient de quitter la vie proprement, paisiblement et discrètement. Je comprends que ceux qui se sont exprimé dans ces commentaires n’envisagent pas de recourir au suicide, assisté ou pas, et je respecte leur droit. Mais je ne comprends pas que, excluant le suicide pour eux-mêmes, ils prétendent l’interdire aux autres. Interdirez-vous l’homosexualité parce que vous n’êtes pas homosexuel ? Interdirez-vous le divorce parce que vous vous entendez bien avec votre mari ou avec votre épouse ? Interdirez -vous le sport parce que vous ne le pratiquez pas ? Interdirez-vous plus généralement les opinions qui ne sont pas les vôtres ? Quid du droit de ne pas se soigner ? Quelqu’un peut-il m’indiquer le tort que le suicide d’un individu porte à la collectivité ? Quelqu’un pense-t-il que sa propre liberté d’opinion puisse s’imposer à tous ? Que l’idée qu’il se fait de sa religion doive être partagée par tous ses coreligionnaires ? Faut-il rappeler le nombre des sujets sur lesquels notre dogme catholique a évolué depuis le premier concile de Nicée ? Chers amis, je ne me permettrais pas de vous dicter quoi que ce soit dans le domaine des libertés individuelles (strictement individuelles), mais je vous invite à l’humilité lorsque vous pensez pouvoir disposer des libertés individuelles (strictement individuelles) de votre prochain. Je vous souhaite une bonne journée.
« Quelqu’un peut-il m’indiquer le tort que le suicide d’un individu porte à la collectivité ? » Quelqu’un peut-il m’indiquer le tort que le non port de la ceinture de sécurité par un individu porte à la collectivité ? Et pourtant il est férocement combattu par la loi. Votre discours est apparemment cohérent, mais il y a manifestement un loup, lâché par le pouvoir.
Bravo ! Tout est dit ! je n’ai rien à rajouter.
Le danger est à mon sens qu’un droit institué ne devienne une norme sociétale qui imposerait moralement de se suicider à toute personne « coûtant » très cher en soins, par exemple.
Monsieur Brigantin, je partage totalement votre étonnement sur l’acharnement de BV à vouloir nous faire croire que le choix d’interrompre notre vie serait imposé par qui que ce soit. je suis étonnée que ce sujet fasse confiner à la mauvaise foi les raisonnements qu’on peu lire sur ce sujet dans BV Les écrits de BV sont pourtant emprunts de bon sens.
De la même manière qu’il n’est pas question d’imposer à qui que ce soit l ‘euthanasie, je m’insurge contre l’interdiction de m’aider à mourir si je le choisis, parce que la dignité et l’élan de vie, y compris dans des conditions de dépendance ultime, sont des notions essentiellement personnelles.
Je refuse, personnellement, que mes enfants perdent leur temps à visiter quotidiennement, et même hebdomadairement, une sorte de plante verte, dont, qui plus est, l’entretien leur coûterait leur héritage.
J’ai dédié ma vie à mes enfants, je leur transmets ce que je peux. Hors de question de leur imposer de me voir me décrépir, avec l’obligation morale de me visiter, quitte à grever leur propre vie d’activités plus épanouissantes. J’attends avec impatience que la loi sur la fin de vie soit votée. Pour moi, il n’y a pas de loi plus humaine.
Toute l’histoire de l’humanité, toutes les religions, toutes les philosophies – à part les idéologies arrogantes du « trans-humanisme », du « cosmisme russe » et d’une partie de la « franc-maçonnerie » – respectent la vie en soi. Sauf dans les guerres, qui sont « des permis de tuer », pour X … raisons, depuis la préhistoire. Toutes les formes d’Art sont un anti-destin contre la mort… (cf. les écrits d’André Malraux, dont « Le Miroir des Limbes » et « Le Crépuscule des dieux »).
Au nom de quoi un pouvoir politique, quel qu’il soit, sinon pour manipuler chacun de nous et se valoriser lui-même, propose-t-il une loi concernant un individu seul « pour lui autoriser sa propre mort » ? En quoi cela le regarderait-il autrement, alors que ce « pouvoir » réprime, supprime, détruit tout sur son passage, par une violence pseudo-juridique s’appuyant lâchement sur « la loi » et l’autorité de la médecine » contre le serment d’Hypocrate ?
Lisez-donc, dans « la Revue d’histoire de la Shoah », la contribution d’Yves Ternon sur « L’Aktion T4 » [2013/2 (N° 199), pages 37 à 59], en libre accès sur Internet. Et réfléchissez un peu plus.
Vous avez raison. Ma famille a été confrontée à ce genre de situation où le « mourant » en pré-coma demandait que l’on mette fin à ses souffrances car il n’en pouvait plus. Cancer généralisé en phase terminale, sous oxygène, morphine, alimentation parentérale en soins palliatifs à domicile. Que fallait-il faire? C’est bien de parler…
Cela n’a pas été dit, mais c’est une attitude catholique. Merci, Monsieur, pour cette défense de la vie qui mène à la Vie éternelle.
Que savez-vous de la vie éternelle? Les professions médicales s’occupent, elles, de notre pauvre vie terrestre et sont confrontées à des choix et des décisions souvent difficiles à prendre. Ces décisions sont prises non individuellement mais après réunion et discussion entre tous les intervenants médicaux s’occupant du patient. Bonne année à TOUS et surtout, BONNE SANTÉ.
À quand la mise en œuvre de la directive Attali : « Euthanasier les gens après 65 ans ». Je me demande pourquoi il ne s’applique pas ce principe, lui qui a plus que dépassé 65 ans ? Il est vrai que, bien souvent, les lois sont faites pour les autres ! Et comme toujours » faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ».
Excellent article qui me rappelle tout ce que j’ai pu vivre de magnifique auprès de personnes en Soins Palliatifs, mais aussi d’horribles lorsque parfois, même la famille voulait que « ça s’arrête » pour eux et non pour le malade.
Oui, « la revendication de pseudo-liberté des uns constitue un grave danger, mortel, pour celle des autres. » C’est absolument exact. Ceci sans oublier le fait que les soignants ne sont pas des bourreaux et ne veulent pas pousser la seringue pour tuer, alors que leur métier est de soigner.
Cette dame a eu la chance d’avoir un mari comme le sien. M Vincent Lambert n’a pas eu cette chance avec son épouse, lui qui aussi a repris son souffle lorsqu’on a éteint le respirateur, commençait à pouvoir déglutir lorsque on a supprimé son alimentation, et qui est mort de faim et de soif sans accompagnement (ses parents avaient interdiction de rentrer dans sa chambre les derniers jours)…..
Non à l’euthanasie…et à toutes ses dérives…car il y en aura ..et pour diverses raisons …Machiavel a toujours des idées pour éliminer .honte à ces gens .
Magnifique.Quelle tristesse d’etre gouverné par des gens qui ignorent le. Serment d’Hippocrate ,se moque des liens de l’amour humain,piétine la religion et ne voit dans cette loi qu’une aubaine économique..
Le droit au suicide assisté ne donne aucun pouvoir au médecin. Il ne crée aucune obligation à la charge de quiconque. Il donne seulement à chaque individu qui le décide le droit d’en finir de manière digne, propre et paisible. Personne ne devrait pouvoir s’opposer à cette liberté élémentaire. Absolument personne.
On voit que vous n’êtes pas soignant et que vous croyez tout ce qui se dit dans les journaux. Je vous conseille d’aller faire un stage en service de Soins Palliatifs. Vous y verrez que des malades dignes de vivre jusqu’à la dernière seconde de leur vie, car ils se trouvent dignes de vivre dans les yeux du personnel soignant, ils sont propres sur eux et paisibles jusqu’au bout de leur vie.
Vous semblez bien affirmatif, auriez-vous participé aux réunions préparatoires à la future loi ? Ne craignez-vos pas qu’un président, un gouvernement et une majorité de vauriens à l’assemblée ne la détournent des idéaux que vous exposez. Pour ma part, je n’ai aucune confiance dans tous ces aigrefins en puissance.
Très émouvant témoignage, qui nous concerne tous. Je sais, en historien, où et quand « l’euthanasie » a été pratiquée dans les années 30 dans un pays voisin. Je pense qu’il faudrait poursuivre pour forfaiture et incitation indigne à tuer, toute autorité qui s’engagerait par l’instrumentalisation du droit et de la médecine en la matière, sans respecter les philosophies et religions qui protégent la vie. Un « macronisme » en phase « finale », porteur de mort ? Pr. MB
Le médecin doit soigner , tout tenter pour le patient . On commence à piquer là puis là puis là dès que ça gêne ou coûte trop cher , l’euthanasie c’est ouvrir une porte à toutes sortes de dérives .
Il n’appartient pas à un homme politique ,quel qu’il soit,de décider d’une loi concernant un problème aussi important,cela valait également pour Giscard,Chirac,Simone Veil et les élus du peuple en 1975 et la légalisation de l’avortement ,d’autant plus que les traitements médicaux anti-contraceptifs existait depuis 1967.
Depuis 1975 la France,comme de très nombreux pays occidentaux, est en déficit démographique ,d’ou l’intérêt d’une politique migratoire à grande échelle ,devenue depuis 40 ans totalement incontrôlée .
L’ intérêt serait se faire en sorte que les enfants conçus viennent au monde, quitte à pratiquer des accouchements sous X, car nombreux sont les couples désirant adopter, car ils connaissent le malheur de ne pas pouvoir concevoir eux mêmes.
« Croissez et multipliez » – à un moment il faut dire stop – un enfant a droit à manger à sa faim, à être éduqué, à être heureux. En avoir 6 ou 7 par femme complique un peu les choses, une large part de la population mondiale est en train d’en faire la douloureuse expérience.
Libre à chacun de ne pas profiter de cette loi. Mais libre à chacun, aussi, quand il n’en a pas les moyens, d’avoir les mêmes choix que dans les pays voisins.