Stan Lee est mort ? Spiderman est orphelin !
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Non sans raison, Clint Eastwood a toujours affirmé qu’en matière d'apport au patrimoine culturel de l’humanité, les USA n’avaient finalement apporté que ceci : le jazz et le western ; et les super-héros, pourrait-on ajouter, si ce concept ne relevait d’une tradition éminemment bien de chez nous, tel qu’en témoigne le définitif ouvrage de Xavier Fournier, Super-héros, une histoire française.
Il n’empêche que ce monde super-héroïque, quoique né en France, doit son rayonnement planétaire à un Américain : le regretté Stan Lee, qui vient de nous quitter. Né le 28 décembre 1922 à New York, Stanley Martin Lieber n’est pourtant pas précurseur en la matière. Jerry Siegel et Joe Shuster sont déjà passés par là avec leur Superman, en 1933, alors qu’il faut attendre 1941 pour que Stan Lee (son nom de plume) signe les premières aventures de Captain America, premier d’une longue lignée de zigomars en collants.
Superman, c’est la maison DC Comics et, accessoirement, ce justicier très niais, affublé d’une fiancée tellement godiche qu’elle ne parvient même pas à faire la différence entre son soupirant, le journaliste Clark Kent, et Superman, sauveur du monde ne prenant même pas la peine de porter un masque : il retire ses lunettes, se met un coup de peigne et hop ! on ne le reconnaît plus.
À l’inverse de Clark Kent/Superman, de Bruce Wayne/Batman (autre figure de proue de l’écurie DC Comics), qui sont des héros déconnectés du réel – l’un tombé de la galaxie et l’autre milliardaire désœuvré –, ceux dont Stan Lee s’apprête à accoucher sont encalminés dans la vie de tous les jours. Et c’est là à la fois son coup de génie et la raison du succès. Peter Parker/Spiderman est un étudiant plus ou moins brillant qui, pour payer son loyer, exerce la profession de pigiste dans un tabloïd, le fameux Daily Bugle, dirigé par l’affreux J. Jonah Jameson. Ses super-pouvoirs, certes réels, mais attrapés par accident – il a été piqué par une araignée radio-active –, s’arrêtent néanmoins à la chambre des filles.
Voilà toute la problématique de l’univers de Stan Lee, en ses propres termes résumée : « Il faut à la fois sauver le monde et ne pas arriver en retard au rendez-vous fixé avec sa fiancée. Que feriez-vous, à sa place ? » Timely Comics, son éditeur, estime que tout cela n’est que fadaises. Que le lecteur lit pour s’évader et non point pour se faire rappeler ses problèmes quotidiens. Stan Lee est persuadé du contraire. La création de Marvel Comics Group, société qu’il cofonde en 1961, sera donc le début de l’aventure qu’on sait, laquelle n’en finit plus d’inonder nos écrans, surtout depuis son rachat par le monstre Walt Disney ; d’où la récente déferlante de crétins sautillants dont la vêture ferait même honte à un Kiddy Smile un jour de fête de la Musique à l’Élysée.
Mais tout le talent de Stan Lee réside ailleurs. Il commence par redonner de l’humanité à des surhumains, leur permettant, au passage, d’en permanence se promener d’une série à l’autre ; ce qui, escapades mises bout à bout, permet de créer un univers des plus cohérents. Spiderman s’allie avec Hulk contre des X-Men, tandis que les Quatre Fantastiques font front commun avec le Surfer d’argent. Qui d’autre que Hergé, le papa de Tintin et Milou, peut aligner de tels états de service ? Mieux : Stan Lee, alors qu’il accouche d’un folklore typiquement américain, redonne vie au vieux Panthéon païen de ses lointains ancêtres européens. Sous sa plume, Thor, Hercule et Odin redeviennent des héros, alors que Loki et Hadès sont exhumés des ténèbres. Et on y croit parce que l’on a envie d’y croire. Et que celui qui n’a jamais lu Strange, mensuel du siècle dernier consacré à ce panthéon de carnaval, vienne jeter la première pierre à l’auteur de ces lignes
À sa manière, Stan Lee fut donc une sorte de démiurge. Que ce mérite ne lui soit pas retiré, puisque amplement justifié. Les plus farceurs de nos lecteurs concluront d’eux-mêmes, estimant que le petit monde de Stan Lee valait bien celui d’un Samuel Benchetrit ou d’un Arnaud Desplechin.
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