[STRICTEMENT PERSONNEL] Dans le fond des urnes

Dominique Jamet

À peine sonnés, les soirs d’élections, les huit coups de 20 heures, vient celle des comptes, sur lesquels s’abattent aussitôt, comme un vol de gerfauts, candidats, militants… et commentateurs. Inscrits, votants, abstentions, blancs ou nuls, élus, battus. Confrontés à l’évidence et à l’éloquence des chiffres, les pronostiqueurs, propagandistes et autres politologues s’inclinent, ne serait-ce que quelques minutes, devant la réalité. On est dans le quantitatif qui, sauf à dénoncer ou à inventer des fraudes, à l’image d’un certain Donald Trump, mauvais joueur dans la défaite, ne se conteste et ne se discute pas.

Les chiffres, cela dit, ne sont pas tout. Lors de sa campagne victorieuse de 1974, le plus sentimental des Présidents de la Ve République, le (si peu) regretté Valéry Giscard d’Estaing, prétendait regarder la France dans le fond des yeux, dans l’espoir, anatomiquement acrobatique, de toucher le fond de son cœur. Si, passant du quantitatif au qualitatif, on s’attachait et l’on parvenait, violant le secret de l’isoloir, à identifier ce qui se cache dans l’anonymat du vote, ce que recèle le fond des urnes, on y ferait des découvertes riches d’enseignements.

Au moment où ces lignes sont écrites, à moins de six semaines du 9 juin, la liste conduite par Jordan Bardella pour le Rassemblement national distance, à en croire la totalité des sondages, celle que mène au nom de la majorité minoritaire la plutôt sympathique et très novice Valéry Hayer, elle-même talonnée par l’outsider Raphaël Glucksmann, qui incarne avec conviction le renouveau du socialisme germanopratin et post-soixante-huitard.

Bardella : l'ambiguïté du succès?

Or, le moins que l’on puisse dire de l’irrésistible ascension du RN est que celle-ci n’est pas exempte d’une certaine ambiguïté qui n’est pas pour rien dans son succès. Avec plus de 30 % des intentions de vote, Bardella pulvérise les scores atteints jusqu’ici par le parti que fonda Jean-Marie et que dirige aujourd’hui Marine Le Pen, avec en ligne de mire 2027.

Quelle est la composition de l’électorat acquis au RN et, surtout, quelle est sa perception du passage potentiel de ce parti de l’opposition au pouvoir ? Dans des proportions qui ne sont pas exactement connues, une partie de ses nouveaux adeptes croit à la dédiabolisation, prêchée et assumée par sa présidente. Pour ceux-là, le RN actuel est un parti de droite comme un autre et occupe aujourd’hui, dans l’espace politique français, peu ou prou la place qu’y a tenue en son temps le RPR de Pasqua et Séguin, autoritaire, national et populaire. Pour d’autres, au contraire, le RN au pouvoir tiendrait les promesses tonitruantes dont le FN naissant était prodigue sous Jean-Marie et donnerait dans tous les domaines le grand coup de balai indispensable. Une troisième fraction de ceux qui s’apprêtent à voter RN est composée de ceux qui, peu soucieux d’idéologie, constatent, vivent, subissent le déclin, la fracturation, la paupérisation, le Grand Remplacement, l’avilissement et la vassalisation de la France. Ceux-là, n’ayant plus rien à perdre, sont résolus à essayer la solution qui n’a pas encore été expérimentée. Un électeur FN, disait-on il y a quelques années, c’est un communiste qui a été cambriolé.

Aucune de ces trois fractions ne possède la réponse à la question qui taraude le milieu politique. Marine à l’Élysée, ce serait Orbán, Meloni ou Chirac ?

Le problème qu’affronte aujourd’hui Reconquête est l’exact inverse de celui du RN. Ce n’est pas la sincérité de leurs propos, moins encore la radicalité des convictions de Marion Maréchal et d’Éric Zemmour qui sont mises en doute par les électeurs. Elles constituent à la fois leur meilleur atout et leur plus grand handicap, puisque ce qui séduit les partisans d’un vrai changement effraie ceux qui en redoutent les dangers et les conséquences.

De Macron à Hayer via Attal

La relative bonne tenue du candidat des Républicains et de celui de Place publique tient à deux facteurs : l’un et l’autre bénéficient de l’adhésion résiduelle de ceux qui veulent croire encore, contre toute vraisemblance, que le Parti socialiste est toujours socialiste et que le parti d’Éric Ciotti et de Gérard Larcher est toujours gaulliste. En revanche, ni François-Xavier Bellamy ni Raphaël Glucksmann n’ont été mêlés ni de près ni de loin aux erreurs, aux reniements, aux manœuvres et aux magouilles qui, liées à l’exercice du pouvoir, ont caractérisé et discrédité parallèlement ce qui, au fil des années et des alternances, est progressivement apparu comme deux syndicats professionnels plus attachés au pouvoir et à ses prébendes qu’à des idées générales et généreuses.

Un mot, pour finir, sur l’inconnue de la Mayenne, sur cette Valérie Hayer à qui incombe la tâche ingrate de représenter un Président proche du bilan et du dépôt de bilan. Candidate des hipsters, des traders, des startuppers et autre dealers en tout genre, elle regroupera sur son nom ceux qui n’ont pas à se plaindre de la vie, ceux qui se sont laissés persuader que la dette et la banqueroute sont les signes d’une gestion exemplaire, ceux qui restent convaincus que les deux écueils sur lesquels risque d’échouer le Belem macronien, ce trois-mâts fin comme un oiseau de malheur, sont la Russie et le RN, ceux qui reportent sur le jeune Gabriel Attal les espérances qu’a déçues l’ex-jeune Emmanuel Macron et ceux qui ont plus peur du changement, avec ses risques, que de la continuité, malgré la certitude de l’échec. Et tous ceux-là, en somme, cela fait encore du monde.

Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

24 commentaires

  1. Le seul parti qui peut changer quelque chose et celui des ventres vides dirige par des agiles arrivistes, des exemples abondent tout au long de l’histoire; ma référence préfère la fin de l’Imperium romain!

  2. « On est dans le quantitatif qui, sauf à dénoncer ou à inventer des fraudes, à l’image d’un certain Donald Trump, mauvais joueur dans la défaite, ne se conteste et ne se discute pas. »—- Ayant des amis aux EU, j’ai suivi le vote et le dépouillement, grâce au décalage horaire. J’ai été surprise de l’arrêt de quelques heures du dépouillement, suivi par l’inversion des résultats. Perso, je me pose des questions et je trouve dommageable que l’on affirme ainsi des qualificatifs peut être faux à quelqu’un. C’est pour moi, de la calomnie, tant que la non-fraude ne sera pas prouvée.

    • Tous ceux qui, comme vous, ont suivi les dernières élections américaines ont constaté les mêmes anomalies de dépouillement. Monsieur Jamet, quand vous écrivez Trump mauvais perdant, vous nous autorisez à vous répondre: face à Biden et la mafia qui l’entoure, où se trouve la vérité?

  3. L’immigration a toujours Été le terreau sur lequel a progressé le FN puis le RN.
    Lié à ce fléau, l’Islam et l’insécurité… Il n’en faut pas plus pour motiver sérieusement les Français.
    S’ajoutenht des idéologies insoutenables.
    La droite a un boulevard :qu’elle évite, comme d’habitude de le transformer en chemin vicinal…

  4. Comme une autre spécialité de la Sarthe , ça a plutôt bon goût mais c’est indigeste ( et mal noté par nutriscore) : que voulez-vous , nous n’avons pas les mêmes valeurs .

  5. On assiste à la déconstruction de l’édifice politique macronien fondé sur le en même temps virevoltant et saoulant . Le candidat Place publique attire vers lui les électeurs LFI effrayés par les folies de Mélanchon et les traitres de gauche de la macronie , Le candidat des Républicains attire vers lui les traitres de droite de la macronie . Il en demeure pas moins que les sujets de l’immigration , de l’islam , de l’islamisme , ne sont pas traités de front , et abandonnés pour l’essentiel aux partis dits « populistes » , l’autruche républicaine a toujours la tête dans le sable .

  6. je m’étonne toujours de la frilosité majoritaire à renverser la table malgré les bons sondages. Sans une assemblée très large, Marine le Pen ne pourrait rien ou presque car finalement le pays est dirigé par des hauts fonctionnaires. Beaucoup de politiques ne font que de la figuration

  7. En fin de compte beaucoup de Français paraissent lâches. Adeptes de Queuille : « il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout ». Il me font penser à ce type qui, tombe du toit d’un immeuble et, condamné à s’écraser sur le sol, se dit en passant chaque étage : « jusqu’ici tout va bien »…

  8. Si le Rassemblement national devient en nombre d’élus le premier parti national au parlement de Strasbourg, on peut prévoir qu’il y jouera un rôle majeur dans l’opposition à Bruxelles avec la capacité de devenir le pôle fédérateur des partis eurosceptiques européens.

    Ce serait une très mauvaise nouvelle, aussi bien pour Les Républicains devenus patriotes à Paris mais toujours européistes à Bruxelles que pour la droite enconcubinée avec la gauche en Macronie.

  9. Je suis assez en accord avec vous . Je pense surtout que Macron se soucie peu d’une victoire du RN qui a déjà plus ou moins trahi ses électeurs lors de certains votes en France et au sein de l’UE . Par contre Reconquête leur fait davantage peur , c’est le parti qui , comme J-M Le Pen en son temps , a un vrai désir de sauver ce pays , est prêt à se battre jusqu’au bout , le seul parti qui est à l’écoute du peuple et qui a une vraie réponse pour bien des sujets . Et de ce fait les journalistes et ce gouvernement n’en parlent pas pour ne pas attirer l’attention du peuple sur ce parti qu’ils craignent .

  10. Monsieur Jamet, sur le fond je suis d’accord avec vous.
    Cependant, il y a point sur lequel je suis en complet désaccord, c’est sur l’élection perdue de Donald Trump.
    Ce ne sont pas les « Republican » qui ont triché, ce sont les « democrat » de Biden.

  11. Merci d’avoir souligné l’ambiguïté du succès du RN. Ses potentiels électeurs nourrissent leurs fantasmes aussi de s’en tenir strictement au programme. Macron y ajoute encore plus de confusion en faisnt croire qu’il s’agit d’un parti d’opposition œuvrant pour le Frexit, ce que le RN ne dément pas : les idiots utiles le croient et voteront Bardella pour sortir de de l’UE. En comparaison avec Renaissance, rien de nouveau : le mensonge, toujours le mensonge…

  12. Je constate que j’ignore même l’identité et les capacités des membres dès la troisième ou quatrième place dans leur liste respective. Tout ce que je sais est que le management actuel de l’Europe l’amène à sa perte. Eh oui l’Europe est mortelle mais pas pour les raisons invoquées par notre président. Aujourd’hui une Europe fédérale est un leurre. Depuis 20 ans, rien n’a avancé dans l’UE qu’une bureaucratie lourde inaudible et hélas mercantile. L’Europe ne se construira pas sans les peuples qui la composent, n’en déplaise à nos gourous de la philosophie de Davos.

    • Il faut être dans la « bobo sphère » pour écrire que l’UE est inaudible et hélas mercantile » ! … Ce n’est plus une baisse et encore moins un effondrement c’est bel et bien un tsunami que prépare macron et ses « copains » de l’UE ! … Ne pas le dire, c’était une trahison passible de la Cours Martiale à une époque ! … Et faire ce que fait ce « Président-des-cercueils » en relève tous les jours dès qu’il ouvre sa « boîte-à-destruction-de-la-FRANCE » ! …

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