[STRICTEMENT PERSONNEL] De Régulus à Navalny… La mort en face
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« Régulus »… Le hasard d’une actualité dramatique m’a remis en mémoire, ces jours derniers, ce nom bien oublié, comme tant d’autres… L’ai-je découvert à l’époque, lointaine, où, en compagnie de mes petits camarades, je m’initiais aux rudiments du latin à travers le très classique De viris illustribus urbis Romae, ouvrage d’un abbé contemporain de Voltaire qui recensait les hauts faits, la belle geste et les mots historiques des grands hommes de la Rome antique ? Sans doute. Mais je vous parle là d’un temps que les moins de vingt ans ne connaîtront plus jamais…
Que nous reste-t-il de latin (et, a fortiori, de grec) ? Que nous reste-t-il de notre latin ? Nous l’avons, hélas, perdu. Nous avons laissé s’éteindre la petite flamme qui, par-delà les siècles, chancelante, vacillante, tremblante, mais toujours vaillante, brûlait encore dans les églises, les monastères, les lycées, les universités et chez les derniers humanistes. L’État, indifférent, les demi-analphabètes « anglo-saxonnisés » qui nous gouvernent, l’Éducation nationale, sinistrée, l’évolution technocratique et barbare (donc deux fois barbare) de notre société ont fait se distendre, s’effilocher et finalement se rompre le lien qui, en dépit du temps passé, nous rattachait encore aux origines de notre Histoire, de notre langue, de notre droit, de notre littérature, de notre peinture, de notre culture, de notre civilisation même. C’est plus qu’une faute, c’est un crime, que ses innombrables auteurs, protégés par l’anonymat et invoquant la prescription, n'expieront jamais.
Le martyr de Régulus
Revenons à Régulus. Marcus de son prénom, Atilius de sa gens, consul comme on l’était de père en fils dans sa famille, Régulus, lors de la première guerre punique, commandant en chef d’un corps expéditionnaire de plus de 20.000 hommes embarqué sur une flotte de 330 navires, avait débarqué sur les côtes africaines (un D-Day à la mesure de l’époque) avec pour objectif la défaite, la prise et la soumission de Carthage. Après des succès initiaux, le sort des armes avait tourné contre les Romains et l’envahisseur avait été fait prisonnier par les envahis.
Le Sénat de Carthage fit alors au vaincu une offre originale : accepterait-il, libéré, de se rendre à Rome et d’y faire connaître à ses concitoyens les conditions auxquelles pourrait se terminer la guerre ? Une seule restriction était mise à cette mission. En cas d’échec, Régulus s’engageait à retourner à Carthage, où il serait fixé sur son sort.
Régulus donna son accord. En revanche, face au Sénat romain, il développa les raisons pour lesquelles, selon lui, il fallait refuser les propositions carthaginoises. Il fut écouté. Les négociations rompues, les hostilités se poursuivirent. À la suite de quoi, en dépit des objurgations de sa famille, de ses proches, de ses amis, des gens raisonnables, de tous ceux qui lui faisaient valoir qu’un marché passé sous la contrainte ne valait rien, Régulus reprit la mer et regagna Carthage. N’avait-il pas donné sa parole ?
La peine de mort n’avait pas été abolie, ni du côté sud ni sur la rive nord de la Méditerranée. Le bon docteur Guillotin n’avait pas encore inventé sa machine à couper un homme en deux sans le faire souffrir. Les Carthaginois avaient quelques griefs contre les Romains (et vice versa). Autrement dit, ils cultivaient une haine féroce de leurs adversaires. Tout donne à penser que les derniers moments de Régulus furent atroces. C’est en tout cas ce qu’ont affirmé les historiens romains, et notamment le grand Tite-Live.
Le sacrifice de Navalny
Franchissons les siècles et les frontières. Alexeï Navalny - dont le livre posthume, Patriot, sort cette semaine - avait-il surestimé la protection que lui vaudrait sa notoriété internationale ? Avait-il sous-évalué le risque qu’il encourait, c’est-à-dire la possibilité d’être éliminé par un homme – Poutine – et un régime qui ne reculent devant rien pour mettre hors d’état de nuire, définitivement, leurs opposants, pacifiques ou pas ? Il avait déjà payé pour le savoir. Il savait aussi, d’expérience et connaissant l’âme et l’histoire de son pays, que ce n’est jamais du dehors qu’y sont menées les révolutions et que le changement ne peut y venir que de l’intérieur. Idéaliste, il estimait que l’enjeu – la liberté – en valait la chandelle – sa propre vie. Prêt à la sacrifier, il pensait qu’il était impossible qu’à long terme la Justice ne l’emportât pas sur l’arbitraire et le peuple sur ses dirigeants. Il acceptait de ne pas voir lui-même l’avènement qu’il aurait contribué à faire advenir. Il savait enfin, comme Sartre l’a affirmé dans une phrase apparemment paradoxale et en réalité profonde, qu’il n’y a pas d’endroit où l’on est plus libre que dans une prison et, pour ce qui le concernait, au bagne. On peut censurer, arrêter, emprisonner, tuer un opposant. On ne peut mettre un esprit à genoux. Là où il est désormais, il est libre, Alexeï.
Qu’est-ce qui rapproche, éloignés de milliers d’années et de kilomètres, vivant dans des circonstances différentes, et dans des univers mentaux différents, Marcus Atilius Régulus et Alexeï Navalny ? C’est que l’un, au nom de Rome, de la parole donnée, de l’honneur, l’autre au nom du droit au bonheur, à la justice et à la liberté, ont délibérément, calmement, consciemment, envisagé, quel qu’en soit le coût, puis accepté ce qu’un grand moraliste jugeait impossible : de regarder la mort, de regarder sa mort en face. Cela méritait bien un rapprochement. Et un coup de chapeau.
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21 commentaires
Bon, il ne reste plus qu’à fixer une date sur le calendrier pour fêter la St-Navalny.
Je croyais que les services secrets ukrainiens avaient confirmé que le nouveau saint était mort de mort naturelle… Mais non, notre ami Dominique a décidé d’en faire, non seulement un saint, mais également un martyr. Un saint rémunéré par la CIA, de surcroît, raciste, il fallait oser…
Faire le sacrifice de sa vie dans le seul but de périr pour ses convictions, est un acte de désespoir. Persuadé que rien n’évoluera dans le sens qu’il souhaite et pour lequel il a consenti tant de sacrifices, le « suicidé » va à la mort. La plus parfaite illustration de cet acte absurde et inutile est donnée par le personnage de Jacques dans Les Thibault, de Roger Martin du Gard. Non, ni Regulus, ni Navalny, ne méritent l’hommage que leur rend l’article. Ils eussent été mieux inspirés de préserver leur vie et de poursuivre la lutte. A leur désespoir s’ajoute un incommensurable orgueil.
Sur France 5 un Doc sur les liens entre Trump et la Russie, ici l’histoire de Navalny, ailleurs le rôle des services secrets de chaque pays… On ne saura jamais la Vérité ! C’est pourquoi il ne faut pas ériger un homme en héros ! Le culte des idoles est le plus grand mal de l’humanité !
Je plussoie.
Je ne souscris pas du tout à cette dithyrambe . Oligarque douteux ( cf affaire Yves Rocher) reconverti dans la politique « Tiktok ». (N’a jamais dépassé les 5% de popularité en Russie). Ultra nationaliste (anti migrants/ pro Crimée) Agent d’influence des Etats-Unis dans le seul but d’affaiblir la Russie (cf Rand Corporation). Non, décidément, je ne vois aucune raison de m’associer à cette « canonisation’.
Au risque de paraître stupide, j’avoue que je ne connais pas Navalny ! Mais Regulus, oui ! Ah quand même… un bel exemple du respect (jusqu’auboutiste) de ses engagements — Macron ferait bien de s’en inspirer — donc de la parole donnée. Moi aussi je regrette le latin que je parlais couramment quand j’avais une quinzaine d’années. Votre article m’a remis en mémoire Carthago delenda est !
Rapprocher Regulus de Navalny est un exercice audacieux ! Le premier est le type même de l’honneur, le second de la trahison. Ne prêchait-il pas, avant de passer un an (2010) aux Usa, qu’il fallait exterminer les Tchétchènes, que la Crimée était russe. Certes, il est revenu en Russie, avec un viatique de 20 millions de dollars ( la CIA a filmé la négociation) pour organiser l’opposition à Poutine. L’intelligence russe l’a coincé sur des malversations, mais lui a permis d’aller se faire “désempoisonner” à Berlin ( qui, tiens donc, n’a jamais communiqué la nature du poison utilisé). Retourné en Russie il a été condamné, toujours pour malversations, à la prison dans un lieu reculé de l’immense territoire russe. Devenu inutile à la cause pour laquelle la Cia l’avait stipendié, il a été abandonné par son employeur, méthode américaine bien connue. Regulus était un grand, Navalny un simple opportuniste. En revanche vous avez entièrement raison lorsque vous évoquez l’abandon organisé des études classiques par nos dirigeants. Il faut deux générations, soit 40 ans, pour oublier un passé et créer un nouvel avenir. La Bible, a sa manière, nous l’illustre avec les 40 ans d’errance du peuple hébreux fuyant l’Egypte, sa culture et ses traditions pour créer une nouvelle société. Le plus drôle c’est qu’il faut une semaine à un chameau pour aller des rives de la Mer rouge en Palestine. Alors 40 ans pour tourner en rond c’est bien pour bâtir une Terra nova”.
L’abandon du latin par l’Eglise remonte à 61 ans (concile Vatican II) et il y a bien 20 ans que l’Education Nationale a sombré. Les dates concordent au sujet des 40 ans nécessaires à une décivilisation.
La première fautive est l’Eglise de Rome qui a littéralement « excommuniés » les prêtres fondamentalistes qui disaient la messe en latin. Je me demande bien, d’ailleurs si, dans les séminaires, qui préparent à la prêtrise, l’enseignement du latin est encore d’actualité.
Je suis sidéré par cette « sanctification » de Navalny quand on connaît l’histoire de cet homme !!!! Le « Poutine bashing » met de la peau de saucisson devant les yeux de nombre de commentateurs… Il est vrai qu’aujourd’hui les gilets jaunes sont des anarchistes, le « vaccin » ARNm une merveille, Zelensky un saint homme et les juifs des assassins… Je ne dois pas être correctement informé…
Entièrement d’accord
C’est bien beau tout ça, bien écrit, mais de là où il est aujourd’hui, ça lui fait une belle jambe, à Alexei !!!…
Darnand, Jean Herold Paquis, Brasillach ,ont été emportés par leurs convictions , ils en ont payé le prix fort.
Souffrez qu’au nom du grec j’embrasse votre lapin, fût-il de haute cuisine et la moutarde lui montant aux oreilles. On prononçait le latin à l’école de la République selon l’Eglise ancienne ou à la laïque, tout dépendait des licences du professeur. La règle et le cilice. Temps béni de Tite Live que vous évoquez à jamais. Temps de Regulus dont vous nous contez la vaillance. Faut-il porter le fer hors les murs ou à huis clos, entre soi ? Deux réponses de bonne foi. Ou bien le clergé régulier ou bien le séculier. Hop ! nous voici rendu à Navalny. Rester en Russie pour faire bouillir la marmite nationale de la Liberté ou la faire mijoter de l’extérieur pour la rendre au peuple en retour. Vaste question comme disait de Gaulle parti pour Londres et qui s’en retourna, élu, aux Champs Elyséens. Etes-vous bien sûr d’avoir sondé le coeur et les reins de Navalny ? Etes-vous sûr que sa destinée n’était pas de mourir en martyr, délibérèment. Il le laisse entendre dans ses Mémoires qui viennent de paraître. Il avait choisi sa croix, en masochiste slave qui ne laisse personne que lui s’offrir en holocauste. Il y aura toujours le trouble de l’homme au fond de son puits de vérité, mais elle est plus troublante pour les fidèles de Sacher Masoch de la dernière eau. Je soutiens que Poutine appartient à cette filiation raffinée. Le paradoxe des sadiques, leur oxymore ultime est de finir sur le bûcher. J’espère vous avoir convaincu. Moi, je ne le suis qu’à moitié.
Est-ce à dire Monsieur Jamet que pour retrouver notre liberté de peuple français dans un pays meurtri par les gens qui le haïssent qu’il faut nous attendre au grand sacrifice ? Eh bien ! Soit.
Cher monsieur Jamet, malgré tout le respect que j’ai pour vous, je ne partage pas du tout, mais alors pas du tout, votre analyse sur Navalny. Vous l’idéalisez. Je vous invite à lire le livre extrêmement bien documenté de Jacques Baud « l’affaire Navalny » qui vous permettra d’avoir une idée beaucoup plus objective du personnage très inquiétant qu’il était.
Mais qui dit vrai ?
Jacques Baud, ce polémiste thuriféraire du régime totalitaire de Poutine… Un agent d’influence suisse, mais pas du tout neutre… Le Kremlin possède assurément son numéro de compte bancaire… Ben on a les références qu’on peut, hein !
L’avez-vous au moins lu avant de critiquer ? De plus, le fait de n’être pas invité sur les plateaux de télé est déjà, pour moi, l’assurance d’une très bonne connaissance du dossier.
++
Qui a invité Mr Navalny 2ans à l’université de Yale aux USA (ou s’approvisionne la CIA) pour en faire « le premier opposant » de V.Poutine
Merci monsieur. Quel plaisir que de prendre de la hauteur grâce à ces histoires d’hier et d’aujourd’hui. Cela nous change du quotidien. Votre culture éclaire ma journée, voire ma semaine. Merci.