[STRICTEMENT PERSONNEL] Drogues : l’empire du Milieu

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Quand il devient évident qu’il a choisi la mauvaise direction, qu’il a suivi une fausse orientation ou qu’il a pris une décision erronée, il faut à un individu un minimum de lucidité et un maximum d’humilité pour reconnaître sa faute. Lorsqu’un choix politique a été fait, qu’il a été assumé pendant des décennies, qu’il a été assené, martelé, seriné que ce choix était le bon, qu’il n’y en avait pas d’autre et que ce même choix aboutit pourtant à des résultats inverses de ceux que l’on avait fait miroiter et à des conséquences néfastes que l’on n’avait pas prévues, il faudrait bien du courage pour décider de faire marche arrière, bien du savoir-faire pour expliquer ce revirement et bien de l’imagination pour inventer et tracer un nouveau chemin.

Lorsque, dans le sillage de la « révolution » de mai 1968 et dans la foulée du mouvement hippie, l’Europe, en particulier la France, a découvert, sinon l’Amérique, au moins le mythe, importé d’outre-Atlantique comme tant d’autres modes, des nouveaux paradis artificiels – on parlait alors de marijuana, de « H » et du LSD -, la réponse de nos gouvernements, de nos Assemblées et de nos lois a été l’interdiction et la répression. Ni nos ministres, ni nos parlementaires, ni nos médias, ni l’opinion ne firent alors le rapprochement avec l’histoire encore récente et pourtant bien connue de la prohibition de l’alcool par les États-Unis entre les deux guerres mondiales, mesure plébiscitée par les gangs et finalement abolie, suite à son échec absolu.

L'erreur initiale

L’erreur de départ, l’erreur dans laquelle notre société a diaboliquement persévéré, la faute initiale et fondamentale a été de ne pas comprendre qu’il ne suffit pas d’interdire l’offre pour abolir la demande, que la sécheresse n’abolit pas la soif et qu’en rendant illégales, voire criminelles, la production, la commercialisation, voire la consommation des divers produits amalgamés sous le terme général de « drogue », on abandonnait un marché gigantesque au cynisme, à la cupidité, à la brutalité et à l’ingéniosité du crime organisé. Plus ou moins cantonné au traditionnel proxénétisme, aux cercles de jeux, aux attaques à main armée des banques et des bijouteries, le grand banditisme se vit ouvrir, n’en croyant pas ses yeux, non seulement l’accès mais le monopole de l’exploitation du segment économique, ô combien profitable, dont on lui abandonnait stupidement l’exclusivité. L’empire du Milieu a étendu son ombre et son règne sur l’ensemble du monde occidental.

Pour nous limiter à notre pays, où en sommes-nous, après plus de soixante ans d’une lutte présentée comme implacable contre la drogue ? Les dernières statistiques, forcément approximatives, font état de 2 millions de consommateurs réguliers de cannabis, auxquels s’ajoutent 5 millions de consommateurs occasionnels, et d’environ 150.000 adeptes ou accros de la cocaïne. Le total des recettes encaissées chaque année par la pègre est évalué entre 3 et 4 milliards d’euros. C’est la base sur laquelle les caïds du narcotrafic peuvent recruter environ 25.000 salariés, et les retombées de ce pactole sont une aide vitale pour environ 150.000 personnes. Non seulement le trafic de drogue et la lutte contre ce trafic surpeuplent les prisons, saturent les tribunaux, accaparent nos forces de police, mais les règlements de comptes entre gangs, dealers et autres hommes de main ensanglantent nos rues. À Marseille, bien entendu, à Lyon, à Nice, à Nîmes, à Nancy, à Rouen, à Bobigny, à Sevran, au Havre, à Nantes, un peu partout en France, rixes, vengeances, meurtres et fusillades dont les balles, hélas, ne sont pas perdues pour tout le monde ponctuent la torpeur de l’été. Les opérations « Place nette » dont se gargarise le ministère de l’Intérieur ne sont qu’un trompe-l’œil. Nul ne l’ignore, et chacun sait que le gouvernement en est réduit à monnayer une précaire paix sociale contre l’impunité de fait dont jouissent des activités criminelles condamnées en droit.

Le cas Mohamed Amra

Bien plus, certains signes donnent à penser qu’un début de gangrène affecte ou menace l’ensemble du corps social. Usant des différents moyens dont ils disposent (terreur ou corruption), les caïds de la drogue, planqués loin de nos rivages, et leurs mercenaires locaux infiltrent les corporations les plus intéressantes pour leur commerce qui sont aussi les plus vulnérables : dockers, membres de l’administration pénitentiaire, douaniers, policiers et, depuis quelque temps, élus locaux. Où s’arrêtera la contamination ? À cet égard, les curieuses négligences et les bizarreries de son parcours judiciaire, qui ont entouré en mai dernier l’évasion spectaculaire du dénommé Mohamed Amra, dit « la Mouche », donnent à penser et il est plus que surprenant, quatre mois après le guet-apens qui a coûté la vie à deux des gardiens qui l’accompagnaient et lui a permis d’échapper à la Justice, qu’on ne sache toujours pas ce qu’il est advenu de ce bandit, censément le plus recherché de France, et pourtant introuvable, s’il est mort, s’il est vivant, s’il a été libéré par des sicaires à sa botte ou liquidé par des ennemis à sa mesure. Étrange, vous avez dit étrange ?

Le temps n’est plus des discussions passionnées et des débats stériles sur la distinction entre drogues douces et drogues dures ou sur le point de savoir si la France pouvait se permettre d’ajouter aux deux grandes causes de mortalité que sont le tabagisme et l’alcoolisme, la toxicomanie. La toxicomanie est installée chez nous et le bilan de la politique menée depuis plus d’un demi-siècle pour la réprimer, voire pour l’éradiquer, n’est pas un bilan d’échec mais un bilan de défaite, de déroute, de Bérézina.

La « mexicanisation » est-elle souhaitable ?

Les vraies questions, les questions d’urgence, sont les suivantes. Sommes-nous condamnés à calquer notre avenir, là encore, sur le présent des États-Unis avec les dizaines de milliers de victimes qu’y font désormais, chaque année, les nouvelles drogues chimiques ? Sommes-nous pétrifiés par la peur comme le sont déjà, devant la puissance des cartels et des mafias, la Belgique et les Pays-Bas ? Serions-nous en voie de « mexicanisation » ou de « chicagoïsation » ? La politique du tout répressif qui ne réprime pas grand-chose a fait la preuve de son inefficacité. Osons regarder les choses en face. Réglementé, contrôlé, en vente libre sous conditions, l’alcool, si j’ose dire, a mis de l’eau dans son vin. Le tabagisme a reculé tout simplement devant la hausse des prix du tabac. L’Histoire des États-Unis est là pour nous enseigner que la fin du régime sec a étanché la soif inextinguible de la population et asséché le vivier où prospéraient les petits maquereaux et les grands requins du crime organisé. Confrontés à l’emprise croissante de l’empire du Milieu sur notre société, le jour n’est-il pas venu de desserrer son étreinte, le plus simplement du monde, en lui coupant les vivres ?

Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

28 commentaires

  1. La vente du Hachich à l’entrée des écoles, au vu et au su de tous les élèves, et aucun policier pour intervenir. Voilà je triste constat que j’ai pu observé. Ca commence là, la guerre à mener ! Mais pour gagner, il faut le vouloir. Ce n’est plus la peine de discuter mais agir. Agir en guerre signifie supprimer physiquement l’adversaire. Hors en démocratie, il est impossible de le faire. Faut-il agir hors les règles démocratiques pour éradiquer le phénomène ? Oui, si nous le voulons ! Arrêtons de nous raconter des histoires.

  2. Tient-on vraiment à voir des groupes de drogués errer comme des zombies sur la voie publique en pissant ?

  3. Excellent article à un détail près : La consommation du tabac a diminué officiellement mais a augmenté dans les mêmes proportions, voir plus, gràce aux ventes près des frontières ( un tiers des ventes ) et aux ventes sous le manteau, le commerce illégal dans les épiceries qui ouvrent tard ( devinez lesquelles ).
    Idem pour l’alcool : certains bouilleurs de cru ont un joli complément de reraite ou de salaire ….

  4. Il faudrait déjà réaliser l’évidence : c’est que les gamins de 10 ou 12 ans qui font le guet en bas des immeubles font vivre leurs parents qui habitent aux étages. Alors arrêtons de dire que ces habitants des étages sont les premières victimes du trafic de drogue. On peut être naïfs, mais il y a des limites!

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