[STRICTEMENT PERSONNEL] Entre entraîneur et entraîneuses… À Mbappé de choisir

IL20240409190919-jamet-dominique-929x522

« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », écrivait Rimbaud, qui était particulièrement bien placé pour savoir de quoi il retournait. Sorti depuis belle lurette de l’anonymat, caressé par la réussite, encensé par les médias, idolâtré par les foules, Kylian MBappé, déjà âgé de vingt-cinq ans, à défaut d’être ces jours-ci au mieux de sa forme, touche dès à présent à l’apogée de sa carrière, du moins si l’on se réfère à la longévité moyenne des étoiles du football professionnel, pour qui l’âge du déclin, voire de la retraite, sonne le plus souvent bien avant la quarantaine. Le moment est venu pour lui, à la suite de sa retentissante escapade sur les bords de la Baltique, d’en tirer quelques leçons et de devenir enfin, ou de redevenir puis de rester, « sérieux ». Le temps passe plus vite encore, dans certains métiers et à un certain niveau, que pour le commun des mortels, et même un footballeur mondialement célèbre peut prendre conscience qu’il a passé le stade où l’opinion pardonne les erreurs de jeunesse ; bref, qu’il n’est plus de son âge et de son statut de se payer du bon temps sans en payer d’une façon ou d’une autre le prix.

J’ignore bien entendu, faut-il le préciser, ce qui s’est exactement passé pendant le week-end de détente que s’était accordé la star du football avec la bénédiction du sélectionneur de l’équipe de France et la permission de l’entraîneur du Real Madrid. Je ne prétends donc en aucune façon démêler qui a fait quoi à qui et avec qui au cours de ce bref séjour à Stockholm organisé à la demande de MBappé à son intention et à celle d’un ami par un spécialiste des soirées animées et des rencontres mondaines ou demi-mondaines – ce qu’on appelait parfois un entremetteur – avec la participation volontaire, rémunérée ou non, de quelques allumeuses suédoises ou autres sélectionnées en vertu de leur charme et de leur plastique. Il reviendra à la police et à la justice locales, en fonction de lois particulièrement sourcilleuses pour tout ce qui concerne les relations et notamment les rapports sexuels, consentis ou non, fût-ce entre adultes avertis, de décider s’il y a lieu ou non de procéder à des poursuites susceptibles de déboucher sur une inculpation, un procès et une condamnation (à moins, bien sûr, qu’un arrangement ne soit intervenu entre-temps). La question, la vraie question, n’est pas là, me semble-t-il.

Honorer le maillot ? On n'en est plus là

Ce qui est apparu au grand jour, en pleine lumière, à l’occasion d’un hypothétique fait divers encore enveloppé, à l’heure où sont écrites ces lignes, de toutes les brumes du Nord, c’est l’état d’un sport - le plus populaire du monde – et ce qu’il reflète d’une société. C’est aussi ce que la pratique et la maîtrise de ce sport ont fait d’un jeune homme aussi doué que sympathique, qui pourrait bien, comme tant d’autres dans tant d’autres domaines, avoir perdu ou être en train de perdre le contact avec la réalité.

Le football, à ses origines aujourd’hui bien lointaines, était censé, au-delà de l’aspect ludique, de la performance des matchs et de leurs résultats, développer chez ses pratiquants le sens du collectif, l’esprit d’équipe, susciter la fierté de ceux qui faisaient de leur mieux pour porter et honorer le maillot d’un modeste club local ou d’une formation nationale. En tant que sport, le football offre trop souvent le spectacle de passions déchaînées, de bagarres, de rixes, d’affrontements haineux, au milieu de cris de singes et de fumigènes où s’expriment le racisme le plus primaire et le chauvinisme le plus affligeant. En tant que phénomène social, ce spectacle est d’abord un business, un marché où se brassent et ruissellent des sommes de plus en plus considérables, de plus en plus irréelles, qu’il s’agisse des paris auxquels il donne lieu, de la retransmission des matchs, de l’invasion du sport par la publicité, commerciale ou politique, du mercato des joueurs, de leur rémunération, de leurs contrats, de leurs mobiles, de leur genre de vie.

L’argent qu’a gagné, l’argent que gagne Kylian MBappé, il l’a gagné, honnêtement, à la sueur de son pied. Comme ses émules, comme ses égaux, comme ses devanciers, comme les Messi, comme les Ronaldo, comme les Pelé, comme les Maradona, comme tous ceux qui font rêver les foules à travers toute la planète et qui, s’ils n’y prennent garde, croient être les bénéficiaires et sont les victimes de leur succès même.

MBappé le businessman

Il a fallu cette pitoyable et probablement sordide affaire de Stockholm pour que soit étalé devant le monde entier le train de vie de celui qui, il y a seulement une demi-douzaine d’années, était un gamin exceptionnellement doué pour faire circuler un ballon rond un peu plus vite que ses coéquipiers, qu’émerveillait encore la lumière des projecteurs et qui aimait encore, comme un enfant, le jeu qui allait devenir son métier. MBappé, aujourd’hui, c’est cet homme d’affaires, ce businessman qui négocie par l’intermédiaire de ses avocats le petit litige (autour de cinquante-cinq millions d’euros) qui l’oppose au PSG, hier encore son club. MBappé, c’est ce businessman qui, en quatre jours, à bord d’un jet privé, pour le plaisir, entouré de ses gardes du corps, de son assistance, sillonne l’Europe, de Madrid à Stockholm, de Stockholm à Figari, de Figari à Paris puis à Madrid, qui, pour faire plaisir à un ami, privatise le dernier étage d’un palace, puis une boîte de nuit…

Qu’adviendra-t-il du protagoniste involontaire de l’affaire de Stockholm ? Ne s’agit-il que d’un faux pas que la suite démentira ? Est-ce le premier signe d’une descente aux enfers ? Notre société, à l’image de toutes les sociétés décadentes, fait une place de plus en plus déraisonnable aux jeux du cirque. Il y a plus de deux mille ans, à Rome, aux combats de gladiateurs ; il y a quinze siècles, à Byzance, aux courses de chars. Aujourd’hui, un peu partout, en France comme ailleurs, au « foot » et aux nouveaux dieux du stade. On a les idoles que l’on mérite.

Victor Hugo, enfant, et enfant prodige, rêvait d’être « Chateaubriand ou rien ». Autres temps. On peut le regretter, mais c’est ainsi : les enfants d’aujourd’hui, par millions, ne rêvent d’être ni Chateaubriand ni Hugo mais Beyoncé, Taylor Swift…ou MBappé. À celui-ci d’être à la hauteur de leurs rêves. Quand on est un modèle, on se doit, on doit à ses admirateurs d’être un exemple. À la croisée des chemins, Kylian MBappé peut encore choisir et décider de quel côté il basculera, s’il suivra la pente qui monte ou celle qui descend, Maradona ou Zidane, Giroud ou Benzema. Il n’est pas obligatoire, quand on a tout pour être un grand champion, de devenir un petit voyou.

Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois