[STRICTEMENT PERSONNEL] Gil et Joe
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Gil Blas de Santillane – mais qui connaît encore Gil Blas ? – est le héros éponyme du célèbre roman picaresque de Lesage – mais qui lit encore Lesage ? Lointain ascendant de Figaro et, qui sait, cousin au second degré d’un certain Ruy Blas, Gil Blas, au fil échevelé de ses aventures, est embauché comme simple copiste, mais bientôt élevé au rôle de confident privilégié par l’archevêque de Grenade en personne.
Éloquent, érudit, mais aussi quelque peu imbu de lui-même et flatté du succès que les fidèles Grenadins font à ses homélies, l’éminent prélat s’ouvre à celui qui est en passe de devenir son chouchou d’une crainte qui le hante, celle de voir son talent souffrir des atteintes de l’âge. Il sollicite avec insistance, que dis-je, il exige de son jeune protégé la plus grande sincérité. Que Gil n’hésite pas, s’il venait à estimer que la qualité de ses sermons diminue, à le lui dire, sans crainte et sans ambages. Bien loin de le lui en faire reproche, il lui sera reconnaissant de sa franchise et il en tirera les conséquences.
Gil n’a pas encore l’expérience des hommes et du monde. Mais laissons-le nous raconter ce qu’il en advient, quelque temps après :
« L’orateur me tira d’embarras en me demandant ce qu’on disait de lui […] et si l’on était satisfait de son dernier discours. Je répondis qu’on admirait toujours ses homélies, mais qu’il me semblait que la dernière n’avait pas si bien que les autres affecté l’auditoire […] Il n’y a personne qui n’en soit charmé. Néanmoins, puisque vous m’avez recommandé d’être franc et sincère, je prendrai la liberté de vous dire que votre dernier discours ne me paraît pas tout à fait de la force des précédents. Ne pensez-vous pas cela comme moi […] Je vous entends, répliqua-t-il. Je vous parais baisser, n’est-ce pas ? Tranchez le mot. Vous croyez qu’il est temps que je songe à la retraite. Je n’aurais pas été assez hardi, lui dis-je, pour vous parler si librement si Votre Grandeur ne me l’eût ordonné. Je ne fais donc que lui obéir, et je la supplie très humblement de ne me point savoir mauvais gré de ma hardiesse. À Dieu ne plaise, interrompit-il avec précipitation, à Dieu ne plaise que je vous la reproche ! Il faudrait que je fusse bien injuste. Je ne trouve point du tout mauvais que vous me disiez votre sentiment. C’est votre sentiment seul que je trouve mauvais. J’ai été furieusement la dupe de votre intelligence bornée... »
Après quoi le pauvre Gil Blas est illico mis à la porte par l’archevêque, homme de lettres avant d’être homme de Dieu. Comment ne pas évoquer cette autre scène de comédie, célèbre entre toutes, où Oronte, récusant le jugement sévère d’Alceste sur son sonnet, lui réplique piteusement : « Et moi je vous soutiens que mes vers sont fort bons » ?
Le soleil, la mort... et la vérité ?
Que la vieillesse, parfois, soit un naufrage, suivant la fameuse formule en forme de boomerang décochée par le général de Gaulle à l’adresse du maréchal Pétain, le pitoyable spectacle bien involontairement donné, la semaine dernière, par le président américain en exercice Joe Biden confronté à son prédécesseur et désormais probable successeur Donald Trump nous en a offert une nouvelle fois la démonstration. Ce débat inégal et vraisemblablement fatal à l’actuel locataire de la Maison-Blanche ne m’a pas seulement remis en mémoire l’épisode classique de Gil Blas face à l’archevêque de Grenade, mais conduit, par association d’idées, à compléter l’une des plus fameuses maximes de La Rochefoucauld : ce ne sont pas seulement le soleil et la mort qu’il est impossible de regarder en face, c’est aussi, c’est peut-être plus encore la vérité.
C’est peu dire que Joe Biden est un homme politique. La politique et la vie de Joe Biden sont indissociables l’une de l’autre, consubstantielles l’une à l’autre depuis cinquante-quatre ans. Représentant puis sénateur du Delaware, vice-président d’Obama pendant huit ans et président des États-Unis, enfin, et aujourd’hui président et octogénaire, Joe Biden est de ces hommes pour qui, passé un certain âge, le pouvoir est inséparable de la vie, à telle enseigne qu’il ne tient à l’une, qu’il ne s’accroche à l’une qu’autant et qu’aussi longtemps qu’il exerce l’autre. On pense à Jean-Claude Gaudin, on pense à François Mitterrand, on pense à Winston Churchill et à tant d’autres. Et de ce point de vue, d’un point de vue égoïste, d’un point de vue sentimental, on comprend que l’intéressé, on comprend que ceux qui l’aiment – et c’est apparemment le cas de Jill Biden - ne conçoivent pas, n’admettent pas, n’envisagent pas de renoncer à ce qui les maintient en vie, fût-ce contre la raison d’être de la politique, contre l’intérêt général, contre toute raison. Affectivement compréhensible, ce point de vue est matériellement et moralement irresponsable.
Le fardeau d'Atlas
Car ce qui est en jeu, le 5 novembre prochain, au-delà de la compétition entre deux hommes qui ont la même ambition mais ne bénéficient pas de la même santé, ce n’est pas seulement leur choc et la question de savoir qui sera le vainqueur, c’est le présent, l’avenir, la prospérité, la gestion, le leadership de ce qui est aujourd’hui et risque de ne plus être demain la première puissance du monde.
Deux jours, deux jours de repos après la lamentable contre-performance d’un homme diminué dont l’adversaire a cruellement souligné qu’il semblait ne plus savoir où il était, qui il était, où il allait et ce qu’il disait, Joe Biden a joué, pathétique, le jeu de la franchise : « Je sais, a-t-il dit, que je ne suis plus un jeune homme. Je ne marche plus aussi facilement qu’avant. Je ne parle plus aussi aisément qu’avant. Je ne débats plus aussi bien qu’avant… » Chacun, après un tel aveu, pouvait légitimement s’attendre à l’annonce du départ volontaire en retraite d’un homme encore conscient des réalités et de ses responsabilités. Le président a conclu qu’il ne se laisserait pas « pousser dehors » et qu’en somme, incapable ou non, il se maintiendrait. Son départ, d’ici ou après le scrutin de novembre, sera donc lamentable et contraint, et ce n’est pas Gil Blas mais ses amis, ses partisans, son propre peuple, l’évidence enfin, qui le lui imposeront. La sphère d’influence de l’archevêque de Grenade ne s’étendait pas au-delà de sa cathédrale. Celle du président des États-Unis est aux dimensions de la planète. Un fardeau écrasant pour un vieil homme fatigué.
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9 commentaires
“La vérité est comme l’eau froide qui fait mal aux dents malades.” Nul doute, qu’actuellement Macron voit souvent son dentiste…
Ce qui me réconforte c’est l’élection davantage probable de Trump.
Il est toujours difficile d’admettre que ce que l’on pouvait aisément faire hier, n’est plus possible aujourd’hui. Mais ne pas le reconnaitre, n’est pas signe d’intelligence mais d’idéologie. Les responsables sont ceux qui n’osent pas dire au principal intéressé qu’il est temps de renoncer.
Je n’ai rien compris
Ne pas admettre que l’on ne peut plus assumer quand on occupe un tel poste c’est de l’inconscience et mettre en danger un peuple et un pays , de l’égoïsme à l’état pur .
Tous les hommes politiques sont égoïstes et même égocentriques. Le plus bel exemple : le notre.
Il y a deux métiers qu’on refuse de quitter , le trône (pouvoir politique ou pouvoir économique) et la scène du spectacle ; le trône offre l’ivresse du pouvoir et l’ivresse de l’exhibition narcissique sur la scène du spectacle.
C’est vrai. On refuse de ne plus POUVOIR exercer LE POUVOIR.
Macron satisfait la seconde condition.