[STRICTEMENT PERSONNEL] Haro sur le Barnier

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Le tout nouveau syndic de copropriété du grand ensemble « France » n’était pas du genre à faire des étincelles en société. Il n’y prétendait pas non plus.

C’était un homme de haute taille, qui veillait de près, malgré l’âge venant, à se tenir droit. Plutôt qu’homme de discours, il se voulait homme de parole, ce qui n’est pas si fréquent, ni dans sa profession ni dans beaucoup d’autres. Sa poignée de main était franche et son langage simple. Regardant les gens et les choses en face, et ne craignant ni de voir ce qu’il voyait ni de le dire, faisant passer l’action avant le verbe, il ne parlait qu’autant qu’il était nécessaire, et cela lui paraissait suffisant. Tel quel, il était en somme tout l’opposé de son prédécesseur.

Celui-ci avait longuement hésité, biaisé, tergiversé, procrastiné, avant de lui confier, sous la pression et bien à contrecœur, les clés de la maison. « J’en garde un double », lui avait-il confié, « surtout, ne changez pas les serrures. » Si désastreuse qu’eût été sa gestion, condamnée par la quasi-unanimité des résidents, ce personnage incroyablement infatué de lui-même caressait en effet l’illusion d’un retour sur les lieux de son échec et dans le rôle même où il avait échoué.

Dans l’attente de ce jour improbable, il s’était fait discret et affectait avec ostentation de ne pas interférer dans le travail de son remplaçant. Lorsqu’il ne séjournait pas dans l’une des demeures statutairement liées à ses anciennes fonctions, entre les beaux quartiers de la capitale, sa résidence secondaire de Versailles, sa résidence tertiaire sur les bords de la Méditerranée et ses maisons de famille, il meublait ses loisirs grâce au tourisme et adressait à ses amis et connaissances de jolies cartes postales de New York, d’Ottawa, de Belgrade, de Bruxelles, voire du « Grand Est » de la France où il se livrait à des activités mystérieuses et menait des projets inquiétants. Silencieux, ou presque, en public, il ne se privait pas, en confidence, de prédire, voire de souhaiter le pire à son successeur, ni d’ironiser sur la personnalité, plan-plan, banale, terre à terre, affligeante de médiocrité, de celui qu’il se plaisait, se référant à ses origines savoyardes, à nommer « le chrétien des Alpes ».

Une façade en trompe-l'œil

L’état, de longtemps habilement et mensongèrement dissimulé par son calamiteux prédécesseur, dans lequel le nouveau gérant avait trouvé l’immeuble dont il héritait la charge dépassait l’entendement. Derrière une façade hâtivement repeinte en trompe-l’œil, ce n’était qu’effritement, délabrement, délitement. Des caves au toit, tout était à réparer, à restaurer, à revoir. Squatteurs occupant illégalement les locaux et s’y maintenant insolemment en dépit des arrêts d’expulsion prononcés par la Justice, travaux incessamment remis à plus tard, ascenseur social perpétuellement en panne, halls, escaliers, parkings devenus des coupe-gorges… Et puis, et surtout, il y avait ce trou dans les sous-sols, qui s’était creusé d’année en année, dans l’insouciance, l’indifférence et, finalement, la scandaleuse incurie des gestionnaires, ce trou gigantesque, insondable, dont on s’apercevait soudain avec effroi qu’il ébranlait les fondations mêmes du bâtiment et, faute d’avoir été mesuré, exploré et comblé à temps, menaçait de faire crouler tout l’édifice…

Découvrant, dans toute leur étendue, dans leur vérité nue, l’ampleur du déficit prévu pour l’année qui vient, mais aussi, mais surtout, l’énormité de la dette, contractée, grossie, cumulée et accumulée, depuis un demi-siècle, par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis un demi-siècle, jusqu’au dernier en date avant la dissolution, au point que sa charge est en passe de devenir le premier poste du budget de la France, quelle erreur, quelle faute, quel crime a commis le Premier ministre en poste depuis un mois ? Il a, enfin, dit la vérité ; il a, enfin, dit qu’il était urgent d’en tirer les conséquences ; et il a, enfin, présenté à l’assemblée générale des locataires et propriétaires de la France les mesures nécessaires pour faire face à la situation, en attendant celles qu’il faudra mettre en œuvre pour l’améliorer.

Rien de changé depuis La Fontaine et ses fables

Il aura suffi de quelques mots, de quelques propositions, les uns pourtant bien calibrés, les autres pourtant bien mesurées, pour mettre le feu aux poudres. Faire payer les plus riches ? Les riches ne sont pas d’accord. Leurs porte-parole, qui sont partout, annoncent récession, régression, départ, fermeture, apocalypse. Demander aux classes moyennes de participer, modestement, à l’effort ? Aux retraités de patienter six mois avant réévaluation ? Aux plus pauvres d’accepter une hausse modérée de l’électricité ?

Il n’est mouvement politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite, il n’est commentateur, de l’extrême droite à l’extrême gauche, qui n’ait fait la moue, qui n’ait fait la grimace ou qui n’ait poussé les hauts cris en refusant, en rejetant, en vouant aux gémonies, autrement dit en jetant à la poubelle, le remède pourtant bien timide proposé par le Premier ministre. L’opposition, d’avance et par principe, s’oppose, fût-elle, ce faisant, irresponsable. La majorité, ce socle étroit sur lequel croyait pouvoir compter le nouveau locataire de Matignon, se fissure, en partie parce qu’elle se sait responsable, sinon du trou qu’elle avait trouvé, du moins de celui qu’elle a laissé. Haro sur le Barnier, comme sur le malheureux baudet des Animaux malades de la peste. Et chacun, charlatan ou docteur, de proposer sa potion magique et d’y aller de son avis péremptoire, comme dans Le Meunier, son Fils et l’Âne.

Rien de changé depuis La Fontaine et ses fables. Peut-on se contenter d’en rire ? Sous la trame du lamentable épisode qui se dessine, on peut lire la perpétuation d’une des plus anciennes, des plus stupides, et l’une des plus lâches traditions de l’humanité. Michel Barnier n’a aucune responsabilité dans la gestion de la France, depuis sept ans, par l’actuel porteur du titre de chef de l’État. Mais il est de règle, lorsque pour une raison ou une autre le véritable auteur d’un désastre échappe à la punition qu’il mérite, de faire payer celui dont le seul crime est d’avoir été le messager de la mauvaise nouvelle.

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Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

28 commentaires

  1. Deux questions : – 1 ) Comment se fait t’il que les chiffres calamiteux auxquels tous les « Médias » se réfèrent aujourd’hui , n’ont pas été publiés avant les Élections Législatives de fin Juin / Début Juillet ? – 2 ) Comment se fait t’il que nous ayons laissés SEULS les « L.F.I’stes » à réclamer la Destitution de Macron en l’absence de sa Démission ?

  2. En effet, M. Barnier a vocation à jouer le rôle de l’âne de la fameuse fable de Lafontaine : les animaux malades de la peste. Il n’est responsable de rien… Justement, c’est une bonne raison pour être responsable de tout.
    Compte tenu de l’ambiance, le RN doit se réjouir de ne pas avoir été en situation d’accéder au pouvoir.
    Jouer l’arbitre des élégances c’est quand même plus confortable.

  3. Magnifique transposition d’un existant désastreux. « Infatué », un mot perdu qui s’adapte comme un juste-au-corps au personnage évoqué. Quinze jours pour analyser, consolider le projet de budget d’un pays de 70 millions d’habitants. C’est beaucoup demander, une prouesse mal reconnue. Gageons que le budget rectificatif de milieu d’année sera plus consistant. Le temps de le préparer de le peaufiner de saisir les conseils appropriés étant disponible. Il nous sera alors possible d’apprécier, de juger, de critiquer avec détermination et objectivité.

  4. Vous semblez trouver qu’il est injuste de repousser le Budget de Barnier et que ce refus serait de la basse politicaillerie… Français moyen, je m’insurge qu’on vienne me demander de payer les incuries de nos gouvernements successifs depuis 40 ans. Je suis un odieux personnage qui veut s’assurer que ses enfants ont mangé à leur faim avant de distribuer aux voisins. Je refuse qu’on vienne me faire les poches quand des députés payés 5900 Euros pas mois augment leurs frais de Mandat de 300 Euros par mois et les sénateurs de 700, qu’on veuille me tondre quand l’Élysée qui a explosé son budget l’année dernier le fait augmenter de plusieurs millions alors qu’on demande a tous de faire des economies. Je suis outré qu’on demande aux Français un « effort » pour trouver 60 milliards quand on sait que les fraudes sociales et fiscales dépassent les 50 milliards, qu’on finance 75 millions de Cartes Vitales alors que nous sommes 68 millions d’habitants, qu’on continue à verser des retraites en Algerie, sans controle, à des gens plus que centenaires… Qu’on verse des aides au développement à la Chine, première puissance économique mondiale, à l’Algérie qui nous insulte et dont les dirigeants viennent chez nous se faire soigner sans payer… qu’on baisse les rembousement des Français qui, pour beaucoup, ne peuvent se soigner alors que n’importe quel migrant illégal a tout gratuitement, que des Francais qui travaillent soient obligés de dormir dans leur voiture et d’aller au restos du cœur pour manger quand des sans papiers sont logés dans des hôtels payés par mes impôts. Les Gilets jaunes n’ont ete qu’une amusette à côté de ce qui se prépare..

  5. D’accord avec l’esprit de ce papier mais concernant l’électricité, c’est un comble quand on produit grâce au nucléaire l’électricité la moins chère et qu’on la vend moins chère à l’Allemagne. C’est scandaleux

  6. La France  » à la canche », comme on dit en langue d’oc!
    Votre solide récit d’épouvante sur l’état de notre Nation ne peut être traité au fond par M Barnier, malgré sa bonne volonté et son altruisme courageux.
    Faire des économies! Ce n’est pas à l’ordre du jour, en effet.
    Et pour supprimer ces centaines de comités Théodule, ces instance de hautes et basses cours , ces conseils, ces « autorités »… installés dans les « palais de la république », ces douze niveaux hiérarchiques à la santé, ces SIX CENT MILLE élus en France, alors que l’Allemagne, plus peuplée en compte « seulement » 20.000, et bien moins rémunérés, il faudra une Union Nationale…
    Et sans doute une nouvelle Constitution, Laïque et non plus communautariste!

    • Que suis je venu faire dans cette galère ! Pourtant nombre de français dont je suis le prédisait depuis longtemps mais d’autres persistaient à faire l’autruche. Nous sommes au fond du gouffre si on veut en sortir il va falloir que nous revoyons tous notre manière de vivre que l’on soit riche ou moins riches.

  7. Certes Barnier n’est pas Macron, même s’il l’a mis au pouvoir…mais il a dirigé il n’y a pas longtemps et a toujours été le porte parole de l’Europe de Maastricht, d’Amsterdam, de Lisbonne. Cela suffit à lui faire porter une large part de responsabilité dans la situation actuelle. Aujourd’hui, il n’a aucune majorité, il est là pour faire durer la crise, éviter une élection présidentielle anticipée qui verrait Marine Le Pen gagner… »Il » faut d’abord éliminer celle-ci.

  8. Une rupture àa la mode argentine serait la seule politique qui permettrait de redresser la situation. Tout le reste n’est qu’emplâtre sur jambe de bois

  9. Je comprends parfaitement que les habitants d’un pays, où les impôts et taxes sont parmi les plus importants du monde, renaclent à payer plus pour avoir moins. Comparés aux autres pays, il doit bien y avoir des économies importantes à faire pour redresser les comptes. Et on se rends compte que ce sont finalement les classes populaires et moyennes qui vont payer (retraite, hausse prévisible des mutuelles, etc…) et non pas les plus riches comme annoncé. Barnier est comme les autres, il ment….

  10. Excellent article , un régal de lecture. C’est exactement cela et la plus grande erreur de Barnier c’est d’avoir accepté ce poste qui certes lui permettra d’ajouter sur sa carte de visite le titre ronflant de 1er ministre. Il pourra presque rajouter pendant combien de mois…

    • Oui mais il sera un « ancien premier ministre » pour la vie, avec une voiture et un chauffeur, la protection policière et les deux collaborateurs, payés par nos impôts… Imaginez ce que va nous coûter le petit Attal s’il vît jusqu’a 90 ans… et Macron, futur ancien président qui, comme Sarkozy et Hollande , coûtent plus de 2,5 millions par an chacun… la retraite, les avantages et plus les em…dement… Sans compter les « à côté » qu’on peut se faire avec un petit discours par ci, une petite conférence par là et l’écriture des ses « mémoires »…

  11. Ah que oui comme le chantait Johny ! Cet acteur jupiterien est dans un décor d’horlogerie qui a perdu ses aiguilles. Il recite un texte que ses levres ne peuvent fixer. Sans doute avait-il cru en choisissant un grand mou dépendeur d’andouilles faire de la charcuterie fine mais il se pourrait qu’il soit tombe sur un os.

  12. Sauf erreur,RIEN DE NOUVEAU sous le soleil.
    Les Français doivent payer davantage pour permettre à des irresponsables d’arroser la planète des milliards soutirés au peuple de France
    50 ans que cela dure.

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