[STRICTEMENT PERSONNEL] Ils vont fort, ces Roumains !

Le monde entier, non sans raison, a les yeux fixés sur la grande partie qu’ont entamée le joueur d’échecs résident à vie du Kremlin et le professionnel du poker locataire pour quatre ans de la Maison-Blanche. À quelle sauce ces deux hommes forts vont-ils accommoder l’Ukraine ? Le président Zelensky sera-t-il tenu à l’écart des négociations et des décisions qui détermineront son destin personnel et le sort de son pays ? L’Europe, géant économique et avorton politique, aura-t-elle son mot à dire et son rôle à jouer dans une affaire qui ne concerne pas uniquement Moscou et Washington ?
Déni de démocratie en Roumanie
Tandis que le sujet qui tient le devant de la scène éclipse momentanément tous les autres, la vie continue sur la planète, fût-ce à bas bruit. Dans la pénombre propice aux mauvais coups, c’est tout simplement un scandaleux déni de démocratie qui se dessine en Roumanie, pratiquement ignoré de nos médias comme de toutes les autorités morales et institutionnelles du Vieux Continent.
C’est peu dire que la démocratie est encore chose neuve et fragile, dans ce pays ami et à tant de points de vue proche du nôtre. Sans entrer dans le détail d’une Histoire tourmentée, on rappellera seulement que la Roumanie, entre son émergence en tant qu’État et que nation au milieu du XIXe siècle et la fin du XXe siècle, n’avait guère connu que des régimes autoritaires, voire dictatoriaux, du maréchal Antonescu et de la « Garde de fer » jusqu’à l’infernal couple Ceaușescu en passant par le communiste Gheorghiu-Dej.
Depuis l’effondrement du bloc de l’Est et sa libération du joug russe, la Roumanie, délivrée du despotisme, a découvert et expérimenté les obligations et les avantages du système démocratique. Non sans avoir pieusement conservé une partie de l’héritage de son passé, et notamment un niveau de corruption unique en Europe. On n’entrera pas dans le détail des méandres, aussi tortueux mais moins bleus que ceux du Danube, de la vie politique locale, et pas davantage dans ses coulisses et ses arrière-cuisines, parfois aussi malodorantes que les égouts de Bucarest. Il n’empêche qu’au total, le pays faisait de façon globalement positive l’apprentissage du pluralisme, du respect du droit et de la liberté. Tout ce que remet en cause et en danger le processus électoral engagé il y a près de six mois, processus qui porte un coup mortel, avec le retour de l’arbitraire, au principe essentiel qui est la base de la démocratie.
La surprise Călin Georgescu au premier tour de l'élection présidentielle
Rappelons sommairement le principe fondamental de la démocratie, autrement dit le pouvoir du peuple. Dans ce système - le pire à l’exception de tous les autres, comme disait Churchill -, il n’est de pouvoir légitime que celui qui vient du peuple, du peuple tout entier, à travers la délégation que, pour des raisons pratiques évidentes, il confère à ses représentants élus. Jusqu’à l’actuelle élection présidentielle, en cours depuis fin novembre dernier et dont le terme vient seulement d’être fixé aux 4 et 18 mai prochains, la Roumanie avait répondu de façon satisfaisante aux exigences minimales de la démocratie. Elle s’en est écartée, au vu des résultats du premier tour, le 24 novembre 2024. Elle a emprunté par la suite et suit désormais un chemin, une pente qui ne peut que réveiller et réinstaller au pouvoir les vieux démons que l’on avait crus un peu vite exorcisés.
La veille du scrutin du 24 novembre, tout semblait joué d’avance. Le Premier ministre en exercice, Marcel Ciolacu, social-démocrate, était donné gagnant, suivi de la candidate centriste Elena Lasconi puis, largement distancé, un candidat national-populiste et de surcroît russophile : Călin Georgescu. Presque un inconnu au début de la campagne, on avait noté la montée de sa cote lors du sprint final. De là à supposer qu’il arriverait en tête avec 23 % des suffrages, devant Lasconi (19,20 %) et Ciolacu (19,15 %)…
Une manœuvre politico-judiciaire qui suscite de violentes manifestations
La consultation s’était déroulée dans les conditions les plus régulières, suivant le protocole traditionnel du vote dans tous les pays démocratiques : vérification de l’identité de l’électeur, passage par l’isoloir, insertion du bulletin dans l’enveloppe, deux précautions essentielles qui assure avec le secret la liberté du vote. Les résultats étaient incontestables. Ils n’en étaient pas moins insupportables, intolérables, inadmissibles aux yeux des détenteurs du pouvoir. On chercha donc et l’on trouva, laborieusement, les arguments puis les procédures qui permettraient et ont en effet permis l’annulation du vote du 24 novembre. Georgescu n’avait percé et pris la tête que grâce au soutien du réseau social TikTok. Le soutien massif bien que larvé de la Chine expliquait son succès inattendu. L’ingérence russe, d’autre part, y avait largement contribué. Les électeurs qui l’avaient choisi étaient soit complices soit manipulés... ou achetés ? Quoi qu’il en soit, il fallait trouver le moyen d’annuler ce vote qui risquait de déstabiliser tout l’establishment, ses prébendes, ses mandats, ses orientations, son droit (non écrit) à obtenir et à conserver le pouvoir. La Cour constitutionnelle y pourvut. Par deux fois. La moitié de ses membres étaient sociaux-démocrates. Et alors ? Dans un premier temps, elle annula le premier tour du scrutin, ce qui rendait évidemment impossible l’organisation du deuxième tour. Dans un second temps, le 5 mars dernier, alors que les sondages attribuaient 40 % d’intentions de vote, et vraisemblablement une victoire éclatante, à Georgescu, la même Cour invalida la candidature de celui-ci, dont deux autres leaders nationalistes ont pris la relève au dernier moment. La manœuvre politico-judiciaire a suscité de violentes manifestations. Elle est maintenue. Sera-t-elle efficace ? Le président de la République, Klaus Iohannis, menacé de destitution par l’Assemblée nationale, a choisi de démissionner. La Roumanie est en plein chaos institutionnel et moral. Qu’en adviendra-t-il ?
Toute personne ayant accompli son devoir civique est familière de la petite phrase, prononcée par les assesseurs, qui conclut son parcours dans le bureau de vote : « A voté. » Heureusement protégés - quand même - par leur anonymat, les électeurs de Géorgescu n’ont pas perdu leur droit de vote. Ils ont été seulement stigmatisés et sanctionnés. Le pouvoir en place ne leur a pas moins signifié qu’à ses yeux, il existe deux catégories de citoyens : ceux qui, lucides, éclairés, non influençables ou seulement influençables par les divers moyens de propagande du camp du Bien, votent bien, et les autres, ignares, égarés, fanatiques, à qui l’on n’envoie pas dire « A mal voté ».
En Roumanie et ailleurs ?
Ne rions pas. Même dans des États et des pays qui peuvent se prévaloir d’une pratique plus ancienne et apparemment mieux protégée contre les remises en cause, il existe bien des manières de ruser avec la volonté du peuple. Nous, Français, avons vu en 2007 le chef de l’État lui-même, par des voies subtiles et détournées, invalider le « non » majoritaire du référendum de 2005. Aux États-Unis mêmes, il a dépendu des tribunaux et de la Cour suprême que soit autorisé à se présenter un homme qui était l’objet d’une multitude de procédures judiciaires, qui a pu affronter le corps électoral et qui a finalement été élu président. En France, il appartiendra au Conseil constitutionnel présidé par Richard Ferrand de décider, d’ici la fin du mois, s’il barre la route de l’Élysée à un parti, au moins à sa candidate qui pèse plus de 30 % des voix au premier tour…
Revenons à la Roumanie. Si, malgré les obstacles accumulés en travers de la route qui mène au pouvoir, les nationalistes remportent le scrutin des 4 et 18 mai, la seule possibilité qui reste au pouvoir sortant et sorti sera de dissoudre le peuple.
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56 commentaires
C’est le principe même de tout système totalitaire en quête de pouvoir: puisque le peuple vote mal, changeons le peuple!
breton a prévenu, si les gens votent mal on annulera les élections ou on empêchera les candidats… pas eu besoin en allemagne mais applicable en france en mars 2025 (jugement) et surtout en mai 2027 (élections)
Mais en France le peuple est déjà dissout puisque les Politiques ne s’occupent plus du tout de ce que veut le peuple, et même souvent font l’inverse.
C’est déjà fait avec le « front républicain »… Inutile de poser la question.
Magistrale la phrase concluant votre article Mr Jamet !!
Et oui…l’humour ne perd pas ses droits en France …
Ce n’ est pas de l’ humour hélas, c’ est une citation de l’ odieux marxiste Bertolt Brecht….
Qui se souvient que Vals, archétype du mondialiste socialist’, naguère ministre de hollande puis de macron, et en ce moment de bayrou, avait dit:
« Si le Rassemblement National devait arriver en tête…nous suspendrions le processus électoral »!
Les « outils de manipulation sont multiples:
La djustice d’abord, prête à tout pour rester le Premier pouvoir sans partage.
Puis les divers conseils auxiliaires zélés de la macronie; conseil d’état, constitutionnel…
puis les tribunaux ‘d’exception et les procureurs du gouvernement.
Et enfin, les manipulations « coups détat médiatico-judiciaires » façon éviction de François Fillon.
Oui!, Le risque est grand que les mondialistes LR-EM-PS fassent donner l’artillerie pour tuer la Démocratie.
La sentence d’interdiction « a priori » et sans appel prononcée par la procureuse contre Marine LePen montre bien qu’ILS OSERONT TOUT!
Ne pas oublier les manoeuvres de Donald Tusk en Pologne pour être élu et pour écarter après son élection tous les magistrats et fonctionnaires en poste, les médias, etc. considérés comme trop proches du précédent gouvernement. En Allemagne, la convocation du parlement défunt, plutôt que celui issu des dernières élections, pour lui faire entériner des décisions pour lesquelles le nouveau gouvernement n’avait plus la majorité des députés. A Bruxelles, les manoeuvres d’Ursula et autres eurocrates pour s’arroger des pouvoirs qu’elle n’a pas, toutes les combines des instances de l’UE pour nous pousser vers un fédéralisme de fait qui ne doit pouvoir être adopté que par une révision des traités.
La démocratie a reçu un premier coup qui l’a assommée en 1917 à Saint Petersbourg. A peine remise, un second coup asséné par Mussolini à Rome en 1920 l’a étendue pour le compte. Hitler n’a plus eu qu’à en ramasser les morceaux en 1930, mais Staline et Roosevelt – Truman, chefs de gang rivaux, ont marqué leur désaccord par 50 millions de morts et deux bombes nucléaires avant de se partager l’Europe en 1945. La Roumanie et la Commission européenne ne font que suivre un chemin déjà largement balisé.