[STRICTEMENT PERSONNEL] Juges et parti(e)s ?

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« Summum jus, summa injuria ». La formule est de Cicéron, saint patron des avocats de tous les temps et de tous les pays. Elle faisait partie des maximes et des adages que l’on enseignait jadis aux étudiants dans le cadre de l’étude du droit romain. Librement traduite , elle signifie qu’aller aux limites extrêmes de ce que prévoit la loi, c’est risquer d’entrer dans la zone du non-droit, et la mise en garde vaut indifféremment pour les justiciables et pour les juges.

Les deux représentants du Parquet qui officiaient l’autre soir devant la Chambre correctionnelle appelée à juger l’ex-présidente du Rassemblement national et ses vingt-quatre co-accusés dans l’affaire des assistants du FN auprès du Parlement de Bruxelles n’ont de toute évidence rien à cirer de Cicéron et de ses aphorismes. C’est en tous cas à la surprise, voire à la stupeur générale qu’ils ont requis contre la principale prévenue le maximum de toutes les peines désormais prévues par la loi du 15 septembre 2017, dite de confiance dans la vie politique, en particulier pour le détournement de fonds publics.

Imprudences

Il est de fait que la direction du FN, et plus précisément Jean-Marie puis Marine Le Pen, ont superbement ignoré et bafoué bien à la légère, entre 2004 et 2016, la réglementation européenne comme la loi française. Les assistants que le père et la fille ont recrutés et salariés sur cette longue période n’ont quasiment pas travaillé sur des dossiers et des actions en rapport avec l’Europe, comme le postulait leur contrat, mais ont été soit purement et simplement récompensés pour services rendus au fondateur puis à la patronne soit affectés à des tâches et des missions internes à leur mouvement politique. Penauds et déconfits, les responsables de ces errements de débutants ont été contraints au terme d’une longue instruction à reconnaître leur faute et courbaient le dos à la perspective des lourdes amendes qui allaient leur être infligées et que le succès politique qui leur assure aujourd’hui une florissante santé financière leur permettra de payer sans être à la rue.

A ce sujet, il importe de préciser une circonstance largement atténuante et de rappeler un précédent. Si détournement de fonds publics il y a eu (et la chose est incontestable), cela ne signifie nullement que les responsables du parti se sont mis dans la poche les sommes considérables qu’ils ont encaissées, mais seulement qu’ils les ont détournées de leur destination première pour les affecter à d’autres usages. La nuance est d’importance, et les historiens ou les connaisseurs de la vie politique seront tentés de pardonner à des déviations qui nous rappellent que, subventionnés pas, disposant de nombreux élus ou pas, tous les partis politiques ont toujours souffert de plaies d’argent et couru après les fonds qui assurent leur fonctionnement, voire leur survie. Quant au précédent, la clémence dont les tribunaux ont récemment fait preuve vis-à-vis du Modem et de son président François Bayrou, l’un et l’autre mis en cause pour des faits analogues, pouvait donner à croire que le RN bénéficierait à son tour d’une compréhension et d’une indulgence semblables.

Du prétoire à l'arène

Il n’en a rien été. En requérant contre Marine Le Pen, outre des dédommagements considérables, cinq ans de prison, dont deux fermes, cinq ans d’inéligibilité automatiquement attachés à la peine précédente, avec « exécution provisoire », c’est-à-dire immédiate et non susceptible d’appel ou de recours, les deux procureurs qui se sont succédé ont donné une dimension que nul n’osait prévoir à ce procès et tenté de le faire basculer du prétoire où il avait sa place vers l’arène politique où l’autorité judiciaire, en l’espèce, n’a rien à faire.

Ce qui amène, précisément, à s’interroger sur les arrière-pensées, débordant largement le cadre du procès en cour, et plus clairement, sur les appartenances, les sympathies et les objectifs des deux magistrats en cause. Gageons sans grand risque d’erreur que leurs opinions ne sont pas étrangères à leurs réquisitions.

Ignoraient-ils tout de la personnalité, du parcours, des orientations politiques et des intentions affichées de leur cible ? Bien au contraire. C’est parce qu’ils savaient parfaitement, comme nous tous, qui est Marine Le Pen, c’est parce qu’ils savaient que, deux fois finaliste de l’élection présidentielle, pivot de nos institutions et centre de notre paysage politique, elle est déterminée à se présenter une troisième fois, avec plus de chances de l’emporter, en 2027 ou auparavant, qu’elle n’en a jamais eues, qu’ils rêvent, en lui infligeant une sanction infamante, de lui barrer la route de l’Elysée. Il y a loin du réquisitoire à la condamnation, et, même s’il devait y avoir condamnation, les possibilités d’appel, de délai et de recours ne manquent pas. Mais, si les demandes des deux compères en robe rouge devaient être suivies d’effet, il s’agirait d’une immixtion inédite et scandaleuse de la justice dans un domaine où elle n’a rien à faire, à voir et à trancher.

L’élection présidentielle au suffrage universel, telle que l’a voulue le premier président de la Ve République et institutionnalisée le referendum de 1965, est l’affaire de tous les citoyens et le pilier de notre démocratie. La volonté du peuple souverain, telle qu’elle s’exprime en cette occasion, exclut l’ingérence, fût-elle masquée, de tout autre pouvoir, fût-il judiciaire.

La leçon américaine

La requête formulée par les deux robespierrots de la magistrature debout tombe au demeurant bien mal au moment où les Etats-Unis nous donnent, en même temps que la bonne leçon infligée aux « démocrates » locaux, une leçon éclatante de démocratie.

Les multiples infractions, de tout ordre, les provocations, voire les turpitudes de Donald Trump l’exposaient à autant de procès et d’éventuelles condamnations dont ses innombrables avocats, à grands frais, n’avaient jusqu’au 5 novembre, n’avaient fait que retarder l’échéance. Aucune décision de justice, aucune menace d’inéligibilité n’ont dissuadé ni empêché un homme soutenu par des dizaines de millions de ses concitoyens de se présenter à la présidence de la République. L’onction du suffrage universel, du jour au lendemain, l’a lavé de tous ses péchés.

Revenons de ce côté de l’Atlantique. Il est peu probable que la justice de notre pays ose déclarer inéligible une femme dont les dernières consultations ont prouvé qu’elle rassemblait sur son nom, sur les espérances qu’elle suscite et sur l’impopularité de ses concurrents, un tiers des voix exprimées. Si elle devait l’emporter lors de sa troisième tentative comme avant elle François Mitterrand et Jacques Chirac, elle ne saurait trop remercier les deux procureurs qui, après bien d’autres, lui auront donné un coup de pouce involontaire et bienvenu.

Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

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