[STRICTEMENT PERSONNEL] La fureur de tuer

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Au carrefour où les rencontres fortuites entre la mémoire et l’actualité engendrent des associations d’idées imprévues, les paroles de deux chansons me trottent obstinément dans la tête, ces jours derniers. C’est d’abord le leitmotiv du Déjeuner en paix, de Stéphane Eicher : « Les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent. » De fait, où que l’on tourne le regard…

Le souvenir d'un monstrueux 7 octobre

À l’approche du mois d’octobre, et plus précisément du jour anniversaire, le 7, de la monstrueuse et sanglante incursion du Hamas dans le sud d’Israël, la quasi-totalité des médias français commémorent abondamment, documents et témoignages à l’appui, le génocide miniature, ou, si l’on préfère, le gigantesque pogrom, sans équivalent depuis 1945, perpétré il y aura donc bientôt un an par la horde barbare venue de la toute proche bande de Gaza, les familles décimées sans distinction d’âge, de sexe, les hommes, les femmes, les enfants traqués, violés, égorgés, fusillés à bout portant, les uns à la sortie du plus pacifique des festivals, les autres sur le seuil ou à l’intérieur de leur maison, le massacre des innocents et la capture de centaines d’otages voués à la plus cruelle des captivités et, pour la plupart, à la mort. Le massacre des innocents. Ce jour-là, fous de joie, avides de sang et ivres de vengeance, une foule de Gazaouis dansaient dans les rues de l’enclave encore intacte au spectacle gratuit que leur offrait le Hamas. Les insensés !

Depuis lors, plus de quarante mille d’entre eux ont payé de leur vie celles que le raid terroriste du Hamas avaient enlevées à plus d’un millier d’Israéliens dont le seul tort était d’être juifs. Le châtiment tombé du ciel sur Gaza, décidé par le gouvernement d’Israël, cautionné et soutenu par la majorité de la population de l’État hébreu, exécuté par Tsahal, et plus particulièrement par l’aviation israélienne, a été implacable. Disproportionné ? Arithmétiquement, c’est incontestable. Politiquement, moralement, humainement ? À chacun d’en juger, et chacun en juge, de fait, en fonction des critères personnels, historiques, géopolitiques qui sont les siens, sur un sujet et sur un terrain qu’ont largement déserté la raison et la morale, chassées, bâillonnées, réduites au silence, épouvantées par la colère, la passion et la haine comme il est de règle en temps de guerre. On ne retracera pas, dans le cadre limité d’une modeste chronique, le long cheminement qui a débouché sur le drame actuel, sur l’embrasement qui, de proche en proche, a gagné tout le Proche-Orient et menace de se propager bien au-delà. On n’opposera pas une fois de plus dans ce cadre les arguments qu’opposent depuis des décennies les uns aux autres des adversaires plus que jamais irréconciliables.

On se permettra, en revanche, de rappeler brièvement ce que chacun, s’il est encore capable de bonne foi, peut vérifier tous les jours, à savoir que toutes les vies ne pèsent pas du même poids suivant l’opinion de celui qui tient la balance, que les uns tiennent pour des crimes de guerre (voire pire) ce que les autres considèrent comme des exploits, que beaucoup, en raison de l’horreur du 7 octobre, n’ont pas eu et n’auront pas de larmes pour pleurer les victimes innocentes de la vengeance d’Israël, et aussi bien les milliers d’enfants et de civils qui sont morts sans avoir commis d’autre crime que d’être nés à Gaza et, désormais, au Liban. On constatera et l’on déplorera, si l’on s’en tient aux positions et aux oppositions actuelles entre Israël et ses innombrables ennemis, qu’il n’y a actuellement et qu’il n’y a à perte de vue, sauf arbitrage et sous réserve d’un arbitrage, aucune conciliation et donc aucune réconciliation possibles entre ceux qui, du Jourdain à la mer, dénient le droit d’Israël à l’existence et ceux qui, de la mer au Jourdain et au-delà, refusent de reconnaître une entité palestinienne, une Autorité palestinienne et, a fortiori, un État palestinien, en dépit et au mépris de la réalité, des accords signés et des engagements passés.

Les nuages s’amoncellent

Sous réserve d’un arbitrage… » Mais quel arbitrage ? Et de qui ? Se souvient-on encore qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour que l’ONU ne renouvelât pas l’exemple et la faillite de feu la Société des nations, le Conseil de sécurité regroupant les cinq plus grandes puissances de l’époque avait été conçu comme le bras armé, l’exécutif en quelque sorte, de la nouvelle organisation des nations. Même aujourd’hui, et même si sa composition ne reflète plus l’état du monde actuel, il est clair que si les États-Unis, la Russie, la Chine et, accessoirement, ce qu’il reste de la France et du Royaume-Uni s’accordaient pour rétablir et imposer la paix entre les différents confetti qui se disputent le Proche-Orient, ils le pourraient. Encore faudrait-il le vouloir. Ne rêvons pas. Ces grandes ou ex-grandes puissances sont trop occupées à fomenter, à financer, à prévoir, à préparer et à rendre inévitable la prochaine et ultime der des ders pour se pencher sur le berceau où agonise la paix.

Hier l’Ukraine ; aujourd’hui Israël, la Palestine, le Liban ; demain l’Iran : les nuages s’amoncellent qui annoncent le grand orage. S’il est un dieu, qu’il ait nom Jéhovah, Allah ou qu’il ne soit pas identifié, auquel l’espèce un peu vite dite humaine rend un culte et est prête à sacrifier des millions d’hommes, voire à se sacrifier dans sa totalité, c’est bien le dieu du carnage.

Il y a près de quatre-vingts ans, le monde des cinéphiles découvrait, avec le visage d’un acteur devenu mythique - James Dean -, un film baptisé en français La Fureur de vivre. Le film à très grand spectacle qui pourrait bientôt, si nous continuons à laisser faire et à nous laisser faire, avoir pour titre La Fureur de tuer.

Au fait, l’autre chanson qui me trotte dans la tête ? Elle est de Francis Cabrel, et elle nous dit : « Et ça continue, encore et encore/C’est que le début, d’accord, d’accord… » D’accord ? Pas d’accord.

Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

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