[STRICTEMENT PERSONNEL] Le tribunal de Deauville

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Lancé en 1975, le Festival du Film américain de Deauville, s’il ne visait pas et n’a jamais acquis le niveau d’importance, d’influence et de notoriété de l’Ours de Berlin, de la Mostra de Venise ni, bien sûr, de notre Festival de Cannes, s’est inscrit au fil du temps comme le rendez-vous annuel, sympathique et transatlantique de quelques nouveautés et de quelques vedettes venues des États-Unis avec un public averti de professionnels, de critiques et de cinéphiles français.

Cette année, avant même que ne débute, le 6 septembre prochain, la fête attendue, les quelques signaux qui nous sont parvenus de Normandie cet été n’avaient pas plus trait à la compétition à venir qu’à la célébrité des invités présents ou que l’intérêt des films projetés. En revanche, ils en disent long sur l’évolution récente du petit monde du spectacle, et particulièrement sur la prise de pouvoir, dans ce domaine comme dans quelques autres, des ultras et des extrémistes, de ce qui se présente comme l’incarnation moderne du féminisme.

Démission du président

Ce fut d’abord, passée presque inaperçue, l’annonce du départ de Bruno Barde. Peu connu, voire inconnu du grand public, ce personnage aux multiples casquettes ne présidait pas seulement le Festival de Marrakech, le Festival du Film asiatique, le Festival du Film fantastique de Gérardmer, outre celui de Deauville, mais aussi la puissante agence de relations publiques Public System Cinema. Fin juin, il fut contraint de démissionner, et remplacé dans toutes ses fonctions par son adjointe Aude Hespert. Sept de ses collaboratrices l’accusaient en effet d’agressions sexuelles, de harcèlement et autres « comportements inappropriés », le tout perpétré entre 2014 et 2023. Du coup, grand branle-bas dans Landerneau, indifférence ailleurs. Au demeurant, quoi de plus justifié, n’est-ce pas, qu’une telle mise en retrait, le temps que les faits soient éclaircis ?

Là-dessus, on apprenait, le 24 aout dernier, que la remplaçante de Bruno Barde avait discrètement, et semble-t-il à la suite de quelques pressions, pris la décision, selon ses propres termes, « difficile, mais nécessaire », d’évincer Ibrahim Maalouf, désigné par son prédécesseur pour faire partie du jury de Deauville.

Maalouf, accusé à perpétuité ?

Ici, une précision s’impose. Compositeur et interprète de jazz, récompensé chez nous par une Victoire de la Musique, célèbre au-delà de nos frontières, le nom de monsieur Maalouf, je l’avoue, ne m’était pas familier. En d’autres termes, je ne suis, selon la figure bien connue, « ni parent, ni ami de l’accusé ». Or, c’est bien de cela qu’il s’agissait. Ibrahim Maalouf avait eu à répondre de la plainte des parents d’une adolescente de quatorze ans avec laquelle, après lui avoir fait des propositions malhonnêtes, il s’était « mal conduit ». Après une procédure qui n'avait pas duré moins de quatre ans et qui, bien entendu, avait considérablement nui à la suite de sa carrière, le musicien, en 2020, avait bénéficié d’un non-lieu prononcé par la cour d’appel. Définitivement blanchi par la justice des hommes, il ne l’était donc pas pour celle que certaines rendent au nom des femmes, pour laquelle il suffit d’avoir été accusé pour rester coupable et il ne suffit pas d’être acquitté pour être innocenté.

Dernier écho du Festival de Deauville 2024, tel que le publiait, il y a quelques jours, notre confrère Le Point : en toute discrétion, là encore, Aude Hespert avait pris, fin juillet, une deuxième décision « difficile, mais nécessaire » dont elle n’avait pas cru devoir informer les profanes : celle de remplacer Maïwenn, pressentie par Bruno Barde pour présider ce même jury de Deauville, par Benoît Magimel.

On n’aura ni le mauvais goût ni la mesquinerie de reprocher son choix à la nouvelle responsable du Festival. Même s’il a été condamné pour avoir, conduisant sans permis et sous l’empire de stupéfiants, renversé une passante septuagénaire, Benoît Magimel a fait la belle carrière que l’on sait, depuis qu’il faisait ses débuts, il y a près de quarante ans, dans La vie est un long fleuve tranquille. Mais une question se pose immédiatement : quelle faute, ou quel crime, peut bien avoir commis Maïwenn pour être ainsi évincée sans élégance et sans publicité ?

La « faute » de Maïwenn

La réponse est claire, elle est même aveuglante. Nul de bonne foi ne saurait contester la légitimité de Maïwenn aussi bien comme actrice que comme réalisatrice (de Polisse à Jeanne du Barry en passant par Mon roi). Maïwenn n’a ni écrasé, ni harcelé, ni violé personne, elle n’en a pas moins accumulé les manquements au nouveau code, au code officieux, à la loi non écrite qui, dans la foulée du mouvement MeToo, est en train de s’imposer à l’ensemble des acteurs de tous les genres de spectacles.

Maïwenn n’a-t-elle pas osé témoigner devant la Justice en faveur de son premier mari Luc Besson ? N’a-t-elle pas engagé, pour interpréter le rôle de Louis XV, le pervers Johnny Depp, accusé de brutalité par Amber Heard ? Ne défend-elle pas publiquement Roman Polanski ou Woody Allen ? N’est-elle pas allée jusqu’à tirer les cheveux de l’incorruptible Edwy Plenel ?

La cause est entendue. Son compte est bon. Au-delà de l’anecdote, à l’heure où festival rime avec tribunal, c’est de plus en plus au tribunal de l’opinion que l’on demande, comme sous la Terreur, de rendre ces verdicts à l’issue de procès où les débats ne sont pas contradictoires, où l’accusation est partout et la défense nulle part, où les arrêts ne sont pas susceptibles d’appel. Lentement, progressivement, délibérément, en ce début de XXIe siècle, la société, médusée, atterrée, terrorisée, a vu se réinstaller sur la place publique, solennellement aboli en 1789, le bon vieux pilori.

Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

15 commentaires

  1. Cela fait au moins 10 ans que je n’ai pas mis les pieds au cinéma : Suis-je coupable ou complice??? Mais ces minables acteurs ne sont pas près de revoir la couleur de mon argent!

    • Mon dernier ciné était pour le film sur Dreyfus avec Dujardin. Entretemps, j’ai réglé son compte à la télé.
      Je pioche dans mes réserves de DVD.

  2. Bravo, monsieur Jamet. Sur la forme comme sur le fond. Mais pourquoi ce sempiternel « strictement personnel » ?

  3. C’est la triste réalité, un homme acquite dans le cadre d’une procédure pour agression sexuelle n’est jamais vraiment innocent. Il y a toujours un doute qui ne profite pas à l’accusé.

  4. Le festival de Cannes ? Si les journalistes à la botte n’étaient pas là pour en parler personne n’y penserait plus. Il y a 40 ans tout le monde se précipitait pour voir la « palme d’or », c’était un gage de qualité. Aujourd’hui qui est capable, dans le public lambda, de donner le nom du dernier film gagnant ? Qui regarde les Césars à la télé ? Toutes ces réunions de gens qui pratiquent l’entre soi et passent leur temps à s’auto-congratuler, sont devenues anecdotiques, et le public, celui qui paie sa place et fait vivre le cinéma n’y fait plus attention. Combien de films, largement subventionnés, annoncés à grands renfort de tambours et de trompettes par les médias bien pensants, ont du être retirés après 2 semaines d’explotation avec à peine 10 000 entrées parce qu’ils n’intéressaient personne sauf leurs réalisateurs… Ces gens comme Aude Hespert qui s’imaginent être bien vus parce qu’ils « donnent des gages », scient la branche sur laquelle ils sont assis.

    • L’objectif n’est plus de réjouir les esprits par le spectacle ou la comédie, mais bien de reformater ceux-ci. Et de par leur incompétence et leur mépris, peu importe que la représentation ait ou pas le succès ; seul compte les mirobolants profits attribués par le biais de limpôts des Français. Mais la corne d’abondance se tarie. Combien de temps encore ? Tic tac tic tac…

    • Non, loin de s’imaginer être bien vue, Aude « Hespère » être célèbre et bien rémunérée!

    • D’accord avec vous.
      Je me suis déconnectée de tout ça.
      Le monde du cinéma ne me fait plus rêver et ce depuis belle lurette.
      Heureusement, les générations d’acteurs précédentes nous ont laissé des trésors.

  5. Il est vrai que pendant trop longtemps les femmes victimes d’agressions sexuelles n’osaient pas porter plainte, ou bien que leurs déclarations étaient fortement mises en doute. Ce n’est plus le cas, et c’est bien.
    Mais on voit aussi, dans ce nouveau contexte, de soi-disant victimes accuser de viol un homme qui en est innocent, mais envers qui elles ont peut-être d’autres griefs personnels, et quelle façon plus efficace de se venger que de profiter de « MeToo » ! L’accusé, même innocenté par la Justice, en restera détruit à vie !
    Alors, quand c’est le cas, la loi devrait prévoir une sanction exemplaire contre la fausse victime, et surtout l’obligation d’une forte publicité de son mensonge dans tous les médias. Afin que l’arroseuse connaisse à son tour les bienfaits de l’arrosage. Cela pourrait réduire le nombre de plaintes, me semble-t-il.

    • Quand une femme qui s’est rendue dans la chambre d’hôtel d’un homme se plaint d’avoir été violée et que quelque temps après, ladite femme retourne dans la chambre du monsieur et en ressort encore violée, là, franchement, je me pose des questions.
      Le mot « viol » n’est-il pas un tantinet galvaudé ?

  6. Étonnant surtout que le nom de Maalouf ne vous soit pas familier ! Quand il attaque le Philharmonique de Vienne (trop blanc) et qu’il est recadré par une célèbre violoniste de l’orchestre de Monaco, on en entend parler !

  7. Et chacun se souvient que le « bon vieux pilori », poteau de torture, a été remplacé assez rapidement par une machine beaucoup plus expéditive, sûre et indolore qui fit la joie de nos révolutionnaires .

  8. C’est curieux comme ces milieux cultureux de gauche sont truffés de satyres libidineux et de néo-féministes hargneuses.

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