[STRICTEMENT PERSONNEL] Les chevaux du Soleil

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« Historique » ? Historique. Et le mot, en l’occurrence, ne paraît pas excessif. Pour la deuxième fois dans l’histoire de la Ve République, l’Assemblée nationale, en votant une motion de censure - cas prévu et réglementé par notre Constitution -, a renversé un gouvernement. Ce qu’aucun scandale, financier ou autre, aucune inflexion de la politique intérieure ou internationale, aucun assassinat - fût-il celui d’un ministre en fonction -, aucune trahison, par une majorité de gauche ou de droite, de ses engagements, aucune intervention de notre armée - parfaitement justifiée (Kolwezi) ou largement inexplicable (Libye) -, aucune bavure de nos services secrets (Rainbow Warrior) n’avait suscité vient de se produire. Deux fois en soixante-six ans, on ne peut pas dire que nos législateurs aient abusé de leur droit de vie et de mort sur l’exécutif et illustré, ainsi, je ne sais quelle propension gauloise à l’instabilité, voire à l’anarchie.

L’épisode, en revanche, illustre à merveille le célèbre adage de Karl Marx selon lequel l’Histoire, lorsqu’elle bégaie, se répète volontiers en farce. Lorsqu’en 1962, Georges Pompidou avait été mis en minorité au palais Bourbon, il s’agissait de savoir si le chef de l’État serait désormais élu au suffrage universel, comme l’avait été Louis-Napoléon Bonaparte en 1848. Ce n’était pas rien. Mercredi dernier, la grande question était de savoir si les retraites seraient revalorisées en fonction de l’inflation dès le 1er janvier prochain ou seulement au début de juillet. L’enjeu valait-il, comme il est dit dans La Fille de madame Angot, de changer de gouvernement ? Il est permis d’en douter.

Un temps de respiration

Michel Barnier a payé les innombrables pots cassés par les différents successeurs du général de Gaulle et de Georges Pompidou au long du demi-siècle écoulé, mais plus récemment et plus particulièrement par son supérieur hiérarchique immédiat dès son premier mandat, et surtout depuis l’énorme bourde qu’aura été la dissolution du 9 juin.

On ne peindra pas en grand homme qu’il n’a jamais prétendu être le fugace occupant de l’hôtel Matignon. On retiendra pourtant comme un temps de respiration les trois mois pendant lesquels l’éphémère Premier ministre a ouvert les fenêtres et tenté de renouveler l’air dans les coulisses d’un pouvoir devenu la caricature du microcosme dénoncé par Raymond Barre, replié sur lui-même, déconnecté et ignoré, quand il n’est pas détesté, par une majorité de Français dont il méconnaît les difficultés, les frustrations, les aspirations et les sentiments.

Venu de sa Savoie natale, riche de ses seuls yeux tranquilles et d’un bon sens paysan, en passant par les arcanes du gouvernement puis de l’Union européenne et de ses interminables négociations, le Premier ministre professait, à l’ancienne, que qui paie ses dettes s’enrichit et que celui qui laisse perdurer et prospérer les déficits court à la faillite. L’urgence, selon lui, consistait à dégager de nouvelles recettes et à tailler dans les dépenses de l’État. Tenu à distance par le Président qui l’avait nommé, combattu par ses adversaires (ce qui n’est pas anormal) et lâché ou trahi par ceux qui étaient supposés le soutenir, le montagnard a accouché de deux souris, budget général et budget social improvisés et étriqués, avant de tomber au champ d’honneur d’un débat misérable, tiré comme un pigeon et, finalement, abattu par l’improbable et incohérente conjonction de deux oppositions rassemblées pour un soir, le temps d’une motion et d’un vote, l’une ayant fait depuis longtemps, sous l’impitoyable férule d’un démagogue talentueux, le choix du chaos, l’autre exaspérée par l’injuste ostracisme dont elle est victime de la part de la classe politique, de la société, de la justice et des médias jusqu’à en perdre son sang-froid et à se défouler dans la vengeance. Sombre soirée !

De paratonnerre à fusible

Le Premier ministre a joué l’autre soir, dignement et sans avoir démérité, le rôle de fusible à quoi l’a de plus en plus souvent réduit la pratique de la Ve République sous les épigones de son fondateur. De quel bilan, de quels succès, de quelle espérance, de quelles perspectives, de quelle grandeur ou tout simplement de quel programme, de quelle idéologie aurait-il pu se prévaloir ou se réclamer ? Plutôt que de fusible, le chef du gouvernement censuré, comme le chef du gouvernement encore à venir, est condamné à être le paratonnerre et le rempart qui protège contre la foudre et la mitraille le titulaire du pouvoir suprême, le bouc émissaire dont l’éviction fait apparaître à découvert, en première ligne, sur le devant de la scène, comme il l’a voulu, tel qu’il est, dans la nudité de son échec, le responsable et le coupable de l’état pitoyable où nous sommes.

Car la France affaiblie, la France fracturée, la France divisée, la France déclassée, la France démoralisée, la France dépassée, la France chassée à coups de pied dans le cul de l’Afrique francophone, absente du drame que vivent Israël, le Liban, la Syrie, défiée par la dictature algérienne, contournée en Amérique latine par Mme von der Leyen, peu à peu phagocytée par l’Union européenne et vassalisée par l’OTAN, les États-Unis et le grand capitalisme libéral, c’est la France que, si rien ne change, Emmanuel Macron lèguera à celui qui le remplacera, au terme légal de son mandat, si tout continue d’aller son train. Ou auparavant ?

Après les 100 jours, les 30 mois

S’arrachant à regret aux préparatifs de son sacre, sous les voûtes bientôt millénaires de Notre-Dame de Paris, le président de la République a trouvé, jeudi soir, un quart d’heure pour évoquer la crise française. Le chef de l’État, fidèle à lui-même, ne nous a pas déçus, puisqu’il nous a déçus. On aurait dû s’y attendre. Quant à lui, n’a-t-il pas regretté les suites que d’autres - vous, moi, les Français, la classe politique - ont données à sa si intelligente, si ingénieuse, si féconde, si nécessaire dissolution ? Que les bonnes gens se rassurent : nous aurons un nouveau Premier ministre. Il y songe, il y veille, il y travaille. Une ère nouvelle va s’ouvrir, sous le signe de l’intérêt général. Words, words, words

M. Macron, qui est cultivé, connaît, bien sûr, l’histoire de Phaéton, imprudent rejeton de Phébus-Apollon en personne. Ce jeune homme, qui se voyait aussi brillant que son père, et qui n’était que clinquant - l’histoire ne nous dit pas s’il avait fait l’ENA -, eut la fâcheuse et finalement fatale idée – de tels comportements sont de tous les temps et de tous les adolescents – d’emprunter avant l’aube le bolide de son père. Il força la porte des écuries, parvint à atteler les fougueux coursiers, et fouette cocher ! La suite est connue. Emmanuel Macron ne maîtrise le char de l’État, comme on disait autrefois, ni plus ni mieux que Phaéton les chevaux du Soleil. Le malheureux – c’est de Phaéton, que je parle – ne savait pas conduire.

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Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

37 commentaires

  1. Oui, il était permis de douter de la nécessité de changer de gouvernement. Mais l’arbre présenté, revaloriser les retraites au 1er janvier ou début juillet ne cache-t-il pas une forêt rendue épaisse et bien sombre par la densité de ses sous-bois ? Les lourdeurs administratives, le mille-feuille, les lois et normes surabondantes, des assemblées obèses, toutes ces broussailles qui plombent les plus entreprenants ne sont-elles pas à considérer dans un budget ? Pas un seul gouvernement s’attaque à cette difficulté, réduire le poids du boulet. Beaucoup de paroles, pas un seul acte. Et pourtant, notre dette, nos performances aux abonnés absents, ne prennent-elles pas racines dans ce sous-bois, ne se nourrissent-elles pas de cet enchevêtrement paralysant ?

  2. Emmanuel Macron , acteur , comédien , entrepreneur de spectacles , mondialement connu , adresse : l”Elysée à Paris , ou il est hébergé à titre gratuit par la République française depuis 2017.

  3. Ce n’est pas un regard arrogant, une « bavasserie » longue et pompeuse, qui plus est théâtrale, qui sont la marque forcément de l’intelligence. Je ne sais d’où sortent tous ceux qui affublent Macron de cette capacité. Mais peut-être suis-je trop bête pour comprendre et voilà pourquoi je le lui dénie cette qualité. Et il semble bien que même Monsieur Jamet, à qui je rends hommage pour son habituelle clairvoyance, s’est laisser prendre au jeu de l’esbrouffe du petit président qui occupe encore, bien malgré nous, l’Elysée.

  4. La parole a été donnée à certains hommes pour déguiser leur pensée. La parole de Macron est comme certains vents, ils soufflent à ras de terre.

  5. L’opérette, qui nous réjouissait hier, nous revient en casquette inculte, en plat amer, en plein estomac. « Ils » ne savent même pas, nos figurants élus du spectacle médiatique, à quel point ils sont pitoyables. Vrai aussi, Barnier, de la vieille école gaulliste de l’éthique est en porte-à-faux. Nos valeurs se sont trouvées dégénérées par la sophistique empoisonnée du pouvoir qui n’a qu’en vue d’arriver. Mitterrand aussi l’aimait mais il savait les valeurs vraies et sa conscience priait. Avec « eux »Machiavel est illettré, tout juste bon à blouser.
    Le président ? C’est une charité infinie que vous lui avez faite de l’avoir cru capable « de vous décevoir en bien ». Notre Phaéton est en apprentissage perpétuel, il apprend de jour en jour à nous décevoir. Sa culture ? elle est apprise, il n’est pas un être d’être. Papouilleur en diable, mendiant d’un amour qu’il supplie qu’on lui accorde, mignon se mordillant la lèvre réflexive ou plantant des yeux qu’il veut mâles dans ceux d’un vis-à-vis, trop avisé pour ignorer que le contrat scellé d’un cil sera sans lendemain.
    Sa mission ? l’orgueil sera sa suffisance qui le conduira jusqu’au bout. Maître des horloges détraquées, que lui importe, n’est-il pas encore régisseur à ordres, visité encore de courtisans qui le savent en sursis ? Le bateau France s’enlise, Phaéton « fouette ». Il commence à suer la peur…

  6. « Le chef de l’État, fidèle à lui-même, ne nous a pas déçus, puisqu’il nous a déçus. » « Puisqu’il nous a déçus », là réside une partie du problème de la France. Il reste des Français, probablement bien trop nombreux, qui attendent encore et toujours quelque-chose de positif de Macron, même s’ils se désespèrent que cela finisse par arriver un jour. Jusqu’à quand pourront-ils être déçus ? Cela fait 7 ans qu’il est à la manœuvre et, pour certains, il susciterait encore de l’espoir ? Ces Français qui, benoîtement, croient soutenir le camp de la raison et de la stabilité en restant fidèles à Macron, sont ceux qui empêchent la France de mettre fin à sa descente aux enfers. Heureusement, celui qu’ils adulent n’a pas manqué cette dernière occasion d’insulter des parlementaires et de se défausser de ses responsabilités sur les Français. Combien de temps encore, un type qui jouit de la haine que sa personne suscite, pourra-t-il encore impunément narguer les Français depuis son fauteuil de président ?

  7. Barnier a payé surtout les états d’âme dépressifs de la gourde héritière (le procès du RN, la montée de Retailleau)
    Et nous allons avoir bientôt un gouvernement UMPSmacroniste composé d’éléments paresseux et lâches.
    Merci Marine

    • C’est mal connaître dans quel Univers on vit, sinon vous sentiriez que la censure était nécessaire car il faudrait impérativement que le budget soit remis à zéro et que les dépenses soient strictement encadrées et SERVENT le peuple de France, ce qui n’est pas le cas depuis fort longtemps et cela continuait encore, car quand les classes moyennes s’appauvrissent et donc achètent moins et qu’on fait venir des immigrés qu’on paie pour consommer, cela profite à qui ? pas au peuple français qui paient les impôts et n’ont pas le juste retour de ce qu’ils paient. On peut être humaniste et réaliste et faire le nécessaire pour éviter une crise encore plus profonde.

  8. La revalorisation des retraites est peut-être la cause , mais la cause seconde de la censure .Vous évoquez le souhait de M Barnier de réduire la dette , en particulier en diminuant la bureaucratie et le train de vie de l’Etat, . C’est précisément son incapacité à se faire entendre de ses « alliés » qui l’a fait chuté, me semble-t-il . Puisque vous parlez anglais nous allons devoir grand-remplacer « words » (des mots) par work (du travail) : le travail , le sang et les larmes de W Churchill , après 2 décennies « bling-bling » .

  9. L’ENA lui a appris qu’il faut parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler et il a oublié qu’il ferait mieux de la fermer avant de l’ouvrir. Incontestablement il est bien le grand prêtre du dieu Eole, dieu du vent, rien que du vent toujours du vent. Excellent danseur de tango , trois pas en avant, deux pas en arrière meilleure méthode pour l’immobilisme. Conclusion très mauvais président.

    • Sauf que lui fait 3 pas en arrière et 2 en avant, comme disait un précédent président « nous sommes au bord de l’abîme mais nous continuons d’avancer ». Ou bien « on s’approche de la ligne de l’horizon, on va la toucher ».

  10. Un front républicain qui refuse la moindre commission parlementaire au parti politique le mieux représenté à l’assemblée nationale et , par l’intermédiaire de la justice tente sérieusement de rendre inéligible leur principale opposante, ce n’est pas rien…..

  11. la France envahie , la France colonisée , la France sous la menace permanente d’une cihquième colonne qui a fait des centaines de morts et de blessés ces dernières années , mais interdit de voir et de parler de tout cela , ce serait de la haine et désormais punissable pénalement par les juges , nouveaux grands prêtres , qui nous gouvernent .
    Et que dire de notre roi élu , suite à deux élections rocambolesques , dont on ne dira pas plus ici , ce roi comédien de génie et politique amateur , loufoque , joueur , Frégoli pitoyable , qui pense plus à l’empire qu’à son royaume . Il est temps de lui donner un Oscar et un Molière .
    Il n’y a que les natures primitives qui ont besoin d’ordre , le génie maitrise le chaos. pensée imaginaire de Macron ?
    Je préfère la parabole de Freud définissant le déni :
    1- ce n’est pas moi qui ai volé le chaudron
    2- C’est lui qui a volé le chaudron
    3- Il n’y a jamais eu de chaudron

  12. Merci pour votre réflexion « littéraire ». Mais allons plus loin. Derrière toute pratique ou acte politique, il y a des « idées ». Donc, une vision stratégique qui s’affiche ou sommeille. Là, nous nous trouvons face à « la pensée MACRON ». Relisons alors l’ouvrage de Jacques Attali « C’était François Mitterrand » (2005), sur les origines mitterrandiennes d’une « Europe politique ». L’épicentre de l’idée fausse se situe là, même si Mitterrand crut ainsi « dominer » la réunification de l’Allemagne dans le contexte de la chute de l’URSS. Ses successeurs français se sont tous affichés « européistes ». On peut comparer ainsi les bilans des Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron, à la suite… La GB, elle, a décidé inversement le « Brexit ». Michel Barnier, mitterrandien non affiché, aurait pu en tirer les leçons. Mais il s’est dit « gaulliste » et « européen » (sic). Or cette « idée » mittérrandienne, florentine même, n’est qu’un oxymore. D’où son départ. Seul scénario pour en sortir ? Le Frexit. Mais quel candidat portera ce projet aux présidentielles, qui ne soit point saboté par les Services secrets américains et des médias « à la solde », aveuglés, mensongers sur beaucoup de dossiers ?

    • Pas de bienveillance particulière à l’égard de Monsieur Barnier qui a participé de près ou de loin à faire ce que la France est devenue aujourd’hui et un grand merci à tous les électeurs du centre-extrême qui ont collaboré pour faire élire des candidats NFP et qui ont fait « barrage ».La solution ? Renverser la table car la cinquième République est une bonne chose mais les nouveaux politiques depuis des années l’ont gangrenée et l’ont détournée de son but.Le Conseil Constitutionnel n’ayant plus à contrôler la constitutionnalité des textes de loi mais il légifère en fait, le Sénat n’étant qu’une institution devenue inutile juste bonne à engraisser et enrichir ceux qui y siègent, le Conseil d’État lui aussi étant devenu une institution partisane sans oublier la justice qui quant à elle s’est transformée en tribunal politique.Il n’y a plus rien à espérer de ce système et c’est pour ça qu’il faut le changer car les hommes et les femmes qui sont aux manettes et qui gèremnt le pays ont pour la plupart l’esprit corrompu.

  13. Sans doute Monsieur Jamet, mais point trop de bienveillance pour un premier ministre qui n’a pas profité de l’occasion pour entamer une rupture. Il a entretenu la macronie en lui donnant de l’oxygène! À quoi sert donc les LR? Pas de vision, pas de conviction…

    • Michel Barnier aurait dû profiter de cette opportunité de faire cette rupture avec tout ce qui n’allait pas et ne pas aller dans les pas de macron pour continuer à faire la même politique. S’il avait tapé du poing sur la table pour vraiment changer tout ce qui ne va pas (immigration, sécurité, éducation, santé, justice, …), il aurait été encensé par les français. Au lieu de cela, il n’a rien changé du tout et n’a trouvé que l’augmentation des taxes et impôts pour essayer de résoudre les problèmes, ce qui est inaudible pour les français. On pensait de Bruno Retailleau était sur la bonne voie, mais pour l’instant, il n’y a que des paroles !

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