[STRICTEMENT PERSONNEL] Nouvelle-Calédonie : les possibilités d’une île

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Michel Barnier, Premier ministre, et donc habilité à déterminer et à conduire la politique de la nation, a bien fait de reporter sine die la nouvelle consultation électorale qui risquait de ranimer les feux à peine éteints sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, soit qu’une partie de la population de l’île en fût exclue, au mépris de la démocratie, soit qu’elle y fût associée, sous condition de résider sur place depuis au moins dix ans, ce qui, le rapport numérique entre autochtones et nouveaux venus étant ce qu’il est, aurait enterré définitivement l’aspiration à une pleine indépendance de la majorité des Canaques, désormais minoritaires sur la terre de leurs ancêtres.

Le gouvernement français a également eu raison de maintenir les quelque six mille gendarmes et autres représentants des forces de l’ordre présents sur place, un effectif apparemment disproportionné au regard du nombre d’émeutiers identifiés ou potentiels, et de l’infériorité de leur armement. Mais il ne s’agit pas de répondre à une insurrection meurtrière par une répression impitoyable comme lors du grand soulèvement canaque de 1878 qui vit l’armée, la gendarmerie, l’administration pénitentiaire, les premiers colons et jusqu’aux forçats du bagne, parmi lesquels nombre d’anciens Communards, faire front commun, au nom de la civilisation menacée, contre les sauvages. Il s’agit cette fois, et c’est autrement délicat, d’empêcher par une démonstration de force pacifique et impressionnante le retour du coup de folie qui a conduit une partie de la jeunesse canaque, ou kanak, comme on croit devoir l’orthographier à présent, à saccager le pays même dont elle est issue, et qu’elle entend libérer de ses prétendus oppresseurs en mettant le feu aux usines, aux commerces, aux écoles, aux bibliothèques, aux édifices publics et aux demeures privées, qu’il n’y a plus maintenant qu’à reconstruire pour la modique somme de plus de deux milliards d’euros.

Ces peuples « premiers »…

Petit retour en arrière. La France a pris possession de la Nouvelle-Calédonie en 1853. Le drapeau tricolore a flotté sur le Caillou et les archipels voisins avant même que Nice et la Savoie fussent incorporés à l’Hexagone. Un épisode mineur dans l’histoire de la colonisation, puisque tel est le nom générique que l’on a donné à la conquête de la quasi-totalité de la planète, entre le début du XVIe siècle et la fin du XIXe, par les puissances européennes, donc par l’homme blanc. L’avance technique, base de la supériorité militaire des conquérants permit alors la fondation d’empires aussi grandioses qu’éphémères. L’expansion de la civilisation, la diffusion de la religion ont été le prétexte et la justification souvent avancée par le colonisateur, la volonté de puissance – l’impérialisme – l’exploitation des pays soumis le véritable motif, la soumission des peuples vaincus, parfois la réduction en esclavage d’une partie d’entre eux, voire leur extermination en ont trop souvent été la conséquence.

On fait grand cas aujourd’hui de ce que l’on appelle « les peuples premiers », de leur histoire, de leur évolution, de leurs traces, et parfois de leur disparition, irréversible. Le voudrait-on, en rêverait-on, il y a assez peu de chances de voir les U.S.A. restituer leurs terres aux Cheyennes et aux Navajos, le Canada les leurs aux Hurons et aux Iroquois, le Mexique ressusciter les Aztèques et l’Amérique « latine » réparer le tort fait aux Incas…

Ne rêvons pas. Les Canaques étaient bel et bien installés, depuis plus de quatre mille ans, sur le sol de ce qui n’avait pas encore reçu l’étrange appellation de « Nouvelle-Calédonie » lorsque la France s’intéressa à leur île, la rebaptisa, et l’annexa. « Peuple premier », donc, incontestablement, même s’il en était resté, culturellement et techniquement, à l’âge de pierre, même s’il était éparpillé en une multitude de tribus qui se faisaient sans cesse la guerre et si les clans vaincus fournissaient bien malgré eux des protéines bienvenues aux clans vainqueurs. Pour autant, ils ne demandaient rien à la France, et surtout pas de les prendre en charge.

… Et ces peuples « seconds »

Les jeux de l’histoire, de la politique et du hasard ont fait que la Nouvelle-Calédonie est restée jusqu’il y a peu, reste encore et restera peut-être une des dernières perles du fabuleux collier d’îles et de terres françaises que la monarchie, puis le Second empire, et enfin la IIIe République avaient égrenées sur tous les océans avant que le XXe siècle laisse ou voie s’émanciper ces joyaux de notre couronne. Simple colonie, puis territoire d’outre-mer, puis territoire d’outre-mer à statut particulier, pourvue d’assemblées locales, d’un Congrès, disposant de la plupart des compétences d’un Etat, à l’exception notable de la défense et des affaires étrangères, mais faisant bénéficier ses ressortissants d’une singulière double nationalité, calédonienne et française, la future Kanakie semblait s’acheminer inexorablement vers la pleine indépendance lorsque les troubles récents ont révélé aux indépendantistes canaques, aux « loyalistes » locaux et, semble-t-il, à la lointaine et indifférente métropole, l’existence d’un obstacle de taille, aussi fondamental qu’imprévu, sur une route qui semblait toute tracée.

Au « peuple premier », brandissant le drapeau de sa seule légitimité était venu s’ajouter au fil des années un peuple second, constitué principalement de trois tribus : les Caldoches, les Zoreilles et les Migrants venus d’autres régions du Pacifique. Si la nouvelle Nouvelle-Calédonie respectait les grands principes de la démocratie, affranchie de la loi de la force – la colonisation – elle devait se plier à la loi du nombre, et donc à la volonté, majoritaire, de ceux qui préféraient le maintien des liens avec la France, présente depuis près de deux siècles et dispensatrice, à fonds perdus, des crédits nécessaires au fonctionnement et à la vie même de la population. A fronts renversés, la gauche métropolitaine et les leaders indépendantistes prônent la primauté du droit du sang sur le droit du sol, les « loyalistes » et la droite française soutenant l’inverse. C’est ce qui divise présentement les résidents, anciens ou plus récents, de la grande île. La Nouvelle-Calédonie est-elle vouée à devenir un porte-avions, une base aéronavale pour la Chine, un protectorat australien, une destination de vacances, un Club Med King Size à l’usage des touristes américains blasés par Honolulu ou las de Tahiti  ? Ou à rester, affectivement et effectivement, dans la mouvance française ? C’est ce qui se joue, là-bas, ici… et ailleurs.

Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

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