[STRICTEMENT PERSONNEL] Quand le diable s’habillait en para…
Combien de petits clubs jacobins, aussi anachroniques que farouches, se font-ils, tous les 21 janvier, le devoir civique et le plaisir canaille de mettre au menu de leur joyeux banquet une tête de veau sauce gribiche ? Ce rite étrange a comme on sait pour objet de commémorer l’exécution de Louis XVI, à la suite d’un procès rondement mené. Pauvre veau symboliquement sacrifié en ce premier quart du XXIe siècle sur l’autel de la République, pauvre Capet très proprement décapité sur la ci-devant place Louis XV et future place de la Concorde (sic), il y aura cette année deux cent trente et un ans ! Ils sont apparemment encore quelques-uns, à travers toute la France, à célébrer ainsi les noces barbares de la Révolution française et de la Terreur…
Réjouissances macabres
L’annonce de la mort de Jean-Marie Le Pen, âgé de quatre-vingt-seize ans et depuis quelque neuf ans retiré de la vie politique, était à peine tombée qu’un certain nombre de militants qui pour la plupart se disent et se croient « de gauche » alors qu’il est permis de s’interroger sur l’idée qu’ils se font de ce qu’il est convenu d’appeler « l’espèce humaine », se rassemblaient un peu partout, et notamment place de la République à Paris pour fêter, bouteilles et verres en main, l’heureux événement que constituait à leurs yeux la disparition d’un ennemi pourtant hors de combat, aussi bien du fait de sa santé et de son âge, qu’à la suite de son éviction douloureuse et spectaculaire, par sa propre fille, du parti qu’il avait fondé, fait prospérer, et dont il lui avait transmis la direction. L’humanité peut être heureuse et fière des progrès techniques incontestables qu’elle a faits depuis l’âge de pierre. Sur le plan moral, beaucoup d’entre nous en sont restés aux mœurs cannibales. A vrai dire, la tendance actuelle étant globalement à la régression, nous serions plutôt moins respectueux du minimum de distance, de respect et de décence que les sociétés antiques et par exemple la civilisation romaine recommandaient d’observer face à la mort.
A ce propos, l’adage latin était parfaitement clair et sage, qui disait simplement : « De mortibus, nihil nisi bonum », autrement dit : « Lorsque quelqu’un meurt, on ne retient que les éloges qu’on peut en faire », ou, dans une traduction plus libre, « Ce n’est pas le jour où l’on enterre un homme qu’il faut cracher sur sa tombe ». A en juger par les comportements de certains et par les commentaires qu’on a pu lire ou entendre dans divers médias, cette leçon a été largement perdue.
Qu’un peuple, qu’une coalition d’Etats, qu’à l’occasion la planète entière, ou presque, salue avec joie, avec bonheur, avec transport la défaite, la chute et la mort d’un tyran, d’un dictateur, d’un système d’oppression ou d’extermination, ou encore la fin d’une guerre et le rétablissement de la paix, cela est normal, cela est naturel, cela est compréhensible, cela est sain. Quelques complications que leur disparition ait pu entraîner, les Irakiens n’ont pas pleuré la disparition de Saddam Hussein, les Libyens celle de Khadafi, les Syriens celle de Bachar el Assad, les Iraniens respireront mieux lorsqu’ils auront secoué le joug des mollahs, comme le monde s’est mieux porté après la chute du IIIe Reich, l’Italie après la fin du fascisme. Quelques succès qu’ils aient remportés militairement, socialement ou économiquement, Staline ou Mao étaient des monstres.
Reduction ad diabolum
Jean-Marie Le Pen n’était ni un ange, ni un saint, ni un homme à tendre l’autre joue pour se faire battre. Il n’y prétendait d’ailleurs pas. De là à le caricaturer, à le travestir, à le diaboliser comme on l’a fait, il y a, plus qu’une marge, un fossé, et pas loin d’un abîme. Ses adversaires politiques, soit l’ensemble de la classe politique et journalistique le peignaient en Hitler français, en Mussolini gaulois. D’où l’ostracisme permanent, le fameux cordon sanitaire, l’exclusion dont le Front national et lui-même ont été victimes visaient un personnage et un parti inventés pour les besoins de la cause. Hitler ? Oui, mais sans le putsch de Munich, sans les chemises brunes, sans les S.A., sans les S.S., sans le parti unique, sans la dictature, sans les crimes contre l’humanité. Mussolini ? Evidemment, moins la marche sur Rome, les chemises noires, etc. La ressemblance n’est pas frappante. Sans être des zélateurs de la République, Le Pen et le Front national, en dépit de ce que serinent et qu’espéraient tous leurs adversaires, n’ont jamais combattu pour le triomphe de leurs idées que dans le cadre de la légalité la plus stricte.
Le Pen était un homme de coups, coups de poing, coups de boule, coups de théâtre, mais pas de coups d’Etat. Un homme d’éclats. D’éclats de voix. Un homme de fidélité, à sa jeunesse bagarreuse, à la Corpo de droit. A ses passages dans l’armée, pendant la guerre d’Indochine, puis pendant la guerre d’Algérie. A des causes et à des soldats perdus. A une France aussi belle et aussi mythique que la princesse lointaine chère à De Gaulle, France de Clovis, de saint Louis, de Jeanne d’Arc, de Napoléon, du vainqueur de Verdun. Un homme, aussi, qui était plus souvent dans la provocation que dans la proposition, un homme d’outrances et d’obsessions qui, comme les légionnaires de son cher 1er REP, ses chers paras au béret vert, ne regrettait rien, ne reniait rien, ne retirait jamais rien, quitte à en subir les conséquences des années et des décennies durant, et à aller au-devant de condamnations réitérées par les bien-pensants et par la justice… Car il était têtu, et deux fois, comme une mule et comme un Breton, ce qui fait beaucoup, n’est-ce pas. Il était un personnage à part dans le paysage politique français, à la fois par ses talents d’acteur, voire de comédien, et d’orateur qui, comme les meilleurs de sa génération, se piquait de parler français et n’avait pas honte d’être cultivé…
Il est resté lui-même
Pour autant, son obstination à être et à rester lui-même, sa rigidité, son refus des compromissions et des évolutions faisaient de lui un homme d’autrefois, un homme du passé. Quelqu’un que la politique passionnait mais qui refusait le travail, les alliances et les concessions qui conduisent les vrais professionnels au pouvoir. La seule occasion qui lui fut offerte, en 2002, de se hisser au second tour de la présidentielle, à la stupeur générale et à son propre étonnement, révéla un homme qui n’était ni préparé ni désireux à franchir le pas qui conduit de l’opposition à la direction d’un pays.
Comme Moïse, mutatis mutandis, il lui a été refusé d’aller plus loin, et c’est de l’autre rive qu’il a contemplé, ces dernières années, ses dernières années, le Canaan vers lequel Marine le Pen semble avancer inexorablement. C’est elle qui a repeint la boutique dont elle héritait, changé l’enseigne, élargi l’audience et édulcoré le message. La vie avait séparé un moment le père et la fille. Les voici enfin réconciliés, sous les signes familiers de la Bretagne, du vent, de la mer, par la mort.
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4 commentaires
J’apprécie la délicatesse dont fait preuve Monsieur Jamet dans son papier sur le décès de Jean-Marie Le Pen. Et voilà ce qu’il fallait écrire. Sans outrance mais avec l’élégance des gens qui ont du savoir vivre. Merci !
Pourquoi l’Irak est mieux maintenant après Sadamm Hussein et la Lybie après Khadafi ?
Cher Monsieur Jamet, autant je n’étais pas d’accord avec vous sur le sieur Navalny, autant ce papier sur Jean-Marie est magnifiquement écrit. Merci
Merci pour ce très décent et exact article.