[STRICTEMENT PERSONNEL] Quand nos îles prennent le large

Dominique Jamet

1768. Il y a près de deux siècles et demi. Cette année-là, le corps expéditionnaire dépêché sur les lieux par le roi Louis XV à qui la république de Gênes avait vendu ses droits sur l’île vint à bout des derniers défenseurs de l’indépendance corse. Cette année-là, la Corse est devenue française.

Le temps, les hommes et les circonstances aidant, l’attachement succéda au rattachement, la fusion à l’annexion. Il y a encore, il y a seulement cinquante ans, la chaloupe corse, si j’ose dire, semblait définitivement arrimée à la France, ce vaisseau de haut bord. Les liens tissés entre l’île de Beauté et sa métropole continentale paraissaient la garantie de leur avenir commun.

Les plus français des Français

Deux empereurs portant officiellement le nom et supposément les gènes de la famille Buonaparte n’avaient-ils pas régné sur la France et son prolongement insulaire ? Près d’un million et demi de Français d’ascendance corse - cinq fois la population de l’île - ne s’étaient-ils pas installés sur la rive nord de la Méditerranée ? La Corse n’avait-elle pas payé plus que son tribut à la communauté française lors de la Première Guerre mondiale où 13.000 de ses enfants, soit un cinquième des effectifs mobilisés, avaient perdu la vie sur les différents fronts ? La Corse n’était-elle pas le seul département français à s’être libéré de l’occupant germano-italien grâce à la seule conjonction de l’armée d’Afrique et du soulèvement de sa population ? La Corse, en mai 1958, n’avait-elle pas puissamment contribué au succès du premier et avant-dernier putsch de l’Algérie française, à la restauration du gaullisme et à la naissance de la Ve République ? Les Corses n’étaient-ils pas, par le sang versé, les plus français des Français, voire par leurs divers états de services, plus français que la France elle-même ?

Autant en emportent le vent et ce que les hommes font de leur Histoire, quand les fils contestent puis détruisent ce que leurs pères ont patiemment et laborieusement construit. Nés et grandis dans la nostalgie d’un passé mythifié, nourris par le sentiment et la crainte de voir disparaître la langue, la personnalité et jusqu’à l’ethnie corses, légitimés par leur résistance à la spéculation, à la bétonisation, au saccage de leurs paysages, exaspérés par l’invasion pourtant pacifique des « pinzuti » et de leurs résidences secondaires, attribuant un peu vite à la centralisation jacobine toutes leurs difficultés et notamment leur niveau de vie, le particularisme corse a été à la base du renouveau d’une tradition de lutte et de rébellion profondément enracinée dans les cœurs et les mémoires et réputée à tort folklorique, anachronique et obsolète. En deux générations, l’autonomisme puis l’indépendantisme corses, de marginaux qu’ils étaient, sont devenus, étape par étape, représentatifs puis démocratiquement majoritaires.

Les erreurs et les faiblesses de nos gouvernements successifs n’y sont pas pour rien. Ils n’ont su ni infiltrer ni démanteler des organisations « clandestines » pourtant aussi visibles que le nez au milieu de la figure. Ils n’ont su ni frapper durement lorsque c’était nécessaire ni dialoguer sereinement lorsque c’était souhaitable. Ils ont ignoré et snobé des individus et des mouvements auxquels, dans la précipitation, ils ont confié la gestion de la Corse, et s’apprêtent à déléguer des pouvoirs législatifs alors que ni les uns ni les autres n’en ont la capacité, qu’ils ne sont rien sans les subsides de Paris et que bientôt ils ne feront rien sans l’autorisation des mafias corses et méditerranéennes.

Des territoires ressentis comme fardeaux ?

En fait, tout cela était prévisible dès l’époque des « événements » d’Aléria, premier coup de force des « nationalistes », en 1975. Candeur ou cynisme, feu Raymond Barre avait alors vendu la mèche. « Les Corses, avait-il dit, parodiant de Gaulle, s’ils veulent l’indépendance, qu’ils la prennent ! » À travers des formules et des personnages différents, c’est bien la pensée profonde qui guide la pensée et l’action de nos gouvernements, s’agissant de territoires qui, fussent-ils ancrés dans notre Histoire, ont le défaut de poser quelques problèmes particuliers, et notamment de coûter plus qu’ils ne rapportent. Tout se passe comme si, loin de nous féliciter d’être encore présents dans le monde à travers quelques vestiges d’un grand passé, connu naguère sous le nom d’Empire ou de « plus grande France », nous ne rêvions que d’en être débarrassés.

Deux exemples ? Alors que la population de la Nouvelle-Calédonie, majoritairement d’origine européenne, a voté par trois fois son maintien dans l’ensemble français, Paris ne se décide pas à entériner ce résultat qui a l’intérêt d’être clair mais le défaut de ne pas aller dans le sens de l’Histoire.

Les Mahorais ont choisi en 1974 de devenir français, à part entière. Où, en d’autres temps, on aurait parlé de cadeau, il semble que beaucoup, et d’abord dans les sphères dirigeantes, voient dans cette adhésion à notre pays un fardeau, trop lourd pour le vieil homme blanc que nous sommes devenus.

La Corse aurait-elle aussi le tort d’avoir été trop française ? Du collier d’îles et d’archipels que la France avait égrené sur toutes les mers, la République brade, l’une après l’autre, les plus rares perles.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 16/03/2024 à 7:18.
Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

21 commentaires

  1. Quand la France ne procure plus l’admiration, quand elle se renie en permanence comment ne pas comprendre que chacun n’ait plus envie d’y adhérer. Redonnons à la France un vrai chef, non un fanfaron; une personne responsable, non un gamin; punissons le délinquant et non la victime; aidons l’entrepreneur et non l’assisté; …Il y a beaucoup de choses à remettre facilement à l’endroit à l’unique condition de vouloir. Mais une chose est sûre, ce n’est pas avec l’équipe actuelle ni celles qui l’ont précédé que ce sera possible. Maintenant, c’est aux électeurs de savoir ce qui est bien pour eux, mais à un moment, il faudra arrêter de se plaindre.

  2. « Les erreurs et les faiblesses de nos gouvernements successifs n’y sont pas pour rien. Ils n’ont su ni infiltrer ni démanteler des organisations « clandestines » pourtant aussi visibles que le nez au milieu de la figure. Ils n’ont su ni frapper durement lorsque c’était nécessaire ni dialoguer sereinement lorsque c’était souhaitable. »

    N’est-ce pas ce qui se passe avec Marseille en particulier et l’immigration en général ? On attend que la situation soit devenue ingérable pour constater qu’il y a un problème. Nos politiques fort bien rémunérés sont, pour la plupart, des incapables.

  3. Les Corses seront toujours Corses.
    Les Bretons seront toujours Bretons.
    Les Alsaciens le seront toujours aussi.
    Les Ch’tis idem.
    Ainsi de suite.
    Quoi que à Marseille, là l’influence nord-américaine y est maintenant presque majoritaire.
    Quand aux parisiens, ils sont menés par bout du nez par les bobo-gaucho-parigot-tête-de-v… !
    Mais toutes ces régions, avec leurs traditions, leur gastronomie, et leur propre culture font la France, ce pays au 365 fromages.
    Vouloir nier tout ça, et faire de ce patchwork un seul et unique peuple, c’est utopique, aussi utopique que de vouloir faire l’UE une seule et unique entité esclave de Von der Leyen, Macron, etc., tous ces hurluberlus mondialistes sans âmes.

  4. Voir les flux financiers entrant et sortant de l’ile de beauté . les recettes fiscales dans l’ile et les dépenses venant de la métropole comme ils disent . Les musulmans n’attendent que la Corse , comme d’autres territoires ailleurs , prennent le large , afin de les envahir comme au bon vieux temps de la conquête musulmane .

  5. Il est courant de comparer la France et l’Allemagne , regardons leur géographie.
    L’Allemagne se limite à son territoire européen , elle n’a plus de colonies depuis 1918 , et en 1945 son armée fut réduite au minimum sous l’autorité des Américains.
    La France a du gérer et se débarrasser de son empire colonial couteux , au prix de guerres ruineuses , l’Indochine et l’Algérie , elle a financé sa couteuse protection nucléaire , et elle collectionne les petits territoires hors Europe , le soleil ne se couche jamais sur la France , et ses frontières qu’elle est incapable de protéger .
    Résultat , de nos jours, l’Allemagne est la première puissance économique en Europe et la France traine ses déficits depuis des dizaines d’années , et croule (comme le Royaume Uni) sous l’afflux des migrants en provenance de ses anciennes colonies .

  6. Il est clair que Mayotte n’est devenue Française que pour profiter des secours sociaux de la France . Dans le panier de la mariée, il n’y avait rien que la vague possibilité de profiter un jour des potentielles richesses sous marines . Celles-ci nous seront contestées comme le fût l’or-noir du Sahara que nous avions rattachées aux trois Départements d’Algérie : l’insurrection n’a pas tardé après la découverte officielle du pétrole qui seul a permis à ce nèopays d’exister économiquement jusqu’à l’épuisement de cette richesse grâce à la gabegie généralisée qui s’en est suivie .

  7. Il faut aussi comprendre les Corses.
    Quel peuple courageux et de tradition pourrait bien être tenté aujourd’hui de faire confiance, et donc de se rapprocher d’une façon ou d’une autre, d’une France aussi décatie ?
    A part, bien sûr, la clientèle de « l’Ocean Viking ».

  8.  » Paris ne se décide pas à entériner ce résultat qui a l’intérêt d’être clair mais le défaut de ne pas aller dans le sens de l’Histoire. » C’est une idée marxiste. L’Histoire n’a aucun sens, car le plus souvent elle bégaie ou pire, elle régresse, comme actuellement sous l’emprise des écolos.

  9. Tôt ou tard (en espérant tôt) devant la déliquescence de la France et l’incurie de nos dirigeants successifs, il faudra employer le seul moyen qu’il nous reste pour faire face à tous ces problèmes, c’est-à-dire l’intervention de l’armée.

  10. A quelques rares exceptions, en particulier dans nos campagnes et nos villages, les Français d’aujourd’hui, donc leurs élus, sont des êtres mièvres, égoïstes, incultes et sans envergure dont les seuls objectifs sont les RTT, les vacances, le salaire et la retraite. Et comble de la bêtise et de l’endoctrinement dégénèré, ils ne savent même plus faire des enfants et préfèrent jouir de tous leurs sens sans entraves ni contraintes. Alors vous voudriez qu’ils se prennent pour un grand peuple et fassent de belles choses pour la grandeur de la France ?

    • Parfaitement exact et veule . Les enfants des autres, cependant, paieront leurs retraites. Ils font honte !

    • Les français, et j’ai du mal à le dire, n’ont souvent été que des pleutres sans envergure. Les cocoricos les pieds dans le fumier.

      • Vous parlez surement des Français actuel, et quels français ? Il y a encore quelques décennies c’était une honte que d’être au chômage, être clochard souvent un choix et tellement rare, à 14/15 ans rentrer dans la résistance et mourir pour un idéal et son pays et non faire partie d’un gang pour garder son territoire, etc… ! Alors posez-vous la question de savoir ce qui a changer : mai 68,  les 35h, les RTT, et maintenant si vous parlez du wokisme, d’une écologie débridée, d’une évolution des mœurs qui l’est tout autant, d’une inculture grandissante, d’un effacement de l’Histoire, sans oublier le principal «  l’immigration non choisie » vous pouvez à juste raison parler des Français en les traitant de pleutres !
        Je revendique faire encore partie de ceux qui peuvent hélas plus pour longtemps, chanter « cocorico « maintenant plus que jamais, sur un tas de fumier!

  11. La FRANCE est détruite. On vit encore sur un passé et on meurt de la médiocrité des traités.

    • Il y en a un que l’on doit au plus « illustre » des français, que j’appelle le plus traitres des français. C’est cet accord qui laisse la libre circulation des algériens vers la France. Sachons reconnaitre nos erreurs et celles de nos dirigeants

  12. Notre place de pays possédant le deuxième territoire martitime du monde devrait nous obliger à la plus grande prudence . Les dirigeants veulent faire la guerre à la Russie et s’inquiètent que l’Ukraine ne perde pas le Donbass , mais ne prennent pas soin de leur propres intégrité territoriale . Ce n’est pas sérieux ou alors ces mondialistes au pouvoir ont un projet auquel nous ne serions pas convier à participer.
    Le pays semble subir une opération de vente à la découpe . à l’intérieur de l’héxagone et outremer . Mais Macron sera président de l’UE . Nous sommes rassurés !

    • La France à la découpe. Voilà une parfaite définition des actions de nos politiques. En fait de deuxième territoire maritime du monde. Ca révèle ce qu’on nous cache, à savoir que ces territoires maritimes renferment les plus grosses réserves de pétrole du MONDE. Pourquoi Sarkozy a fait de Mayotte un département français sans crier « gare » ? Ce n’est certainement pas pour avoir plus de musulmans français, nous avions déjà « les mêmes à la maison ».

  13. Nos dirigants bradent tout ce qu’ils peuvent de ce pays et depuis trop longtemps et le sieur actuel de l’élysée bat tout les records .

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