[STRICTEMENT PERSONNEL] Trêve imposée, guerre promise
7 octobre 1923. De retour à Gaza après leur incursion sanglante sur le territoire d’Israël, les héroïques miliciens du Hamas sont acclamés par une foule extatique. Ne viennent-ils pas de déchaîner le pogrom le plus meurtrier qui ait eu lieu depuis la deuxième guerre mondiale ? N’ont-ils pas mis au tapis, dans des conditions atroces, ignorant toute distinction entre militaires et en civils, hommes, femmes, enfants, indifféremment, vieillards déjà au bord de la tombe et bébés encore au berceau ? Ne ramènent-ils pas de leur expédition, entassés sur les plates-formes de leurs pick-up, plus de deux cents captifs, ligotés, tabassés, meurtris, terrifiés, en butte aux injures, aux crachats, aux menaces, aux sévices d’une populace hystérique, qui se croit vengée en ce jour mémorable, de toutes les humiliations, spoliations, expropriations subies depuis des décennies au cours de guerres toutes perdues et de soulèvement tous réprimés ? C’est la danse du scalp, l’explosion d’une joie barbare à la vue des prisonniers et des prisonnières du Hamas, voués désormais à une détention impitoyable et pour la plupart à la mort, une revanche sans pitié sur des otages qui vont payer de leur liberté et, pour la plupart, de leur vie, les guerres gagnées, les insurrections matées et les incessants empiètements opérés sur leurs terres par l’Etat hébreu.
Ce 7 octobre est un jour d’épouvante, de stupeur et de deuil pour Israël. Le peuple juif découvre simultanément les failles de son système de sécurité, l’ampleur de la haine inextinguible que lui voue le peuple palestinien, encouragé et acclamé par la rue arabe et une vulnérabilité que les soixante-quinze ans écoulés depuis la première des six guerres qu’il a remportées lui avaient fait oublier ou sous-estimer.
15 janvier 2025. Dans ce qui fut des rues, des places, des avenues, bordées par ce qui fut des maisons, des hôpitaux, des écoles, des universités, et qui n’est plus qu’un champ de ruines et de bataille, une foule palestinienne, dénuée de tout, logement, nourriture, électricité, chauffage, droit à la vie, se rassemble et pousse des cris de joie à l’annonce de la trêve imposée au gouvernement de M. Nétanyahou par l’indéfectible allié et protecteur du peuple juif, le grand frère américain. Les mêmes, sans doute, qui avaient applaudi, quinze mois plus tôt, au massacre des innocents, ceux du moins qui avaient survécu, voulaient croire à ce qu’ils n’osaient même plus espérer, la fin du cauchemar qu’ils vivent, la sortie de l’enfer où les a plongés l’agression minutieusement préparée, froidement exécutée et finalement désastreuse, perpétrée en leur nom par le Hamas.
Une barbarie semblable
La riposte d’Israël, ou pour mieux dire sa vengeance, a été impitoyable. A la barbarie, l’armée israélienne, sous les ordres d’un gouvernement grossi de tout ce que le pays compte de « religieux » fanatiques, de suprémacistes fous, de racistes, d’extrémistes, a répondu par une barbarie semblable, ignorant comme ses adversaires l’âge, le sexe, l’innocence ou la culpabilité des victimes de ses obus, de ses bombes, de ses avions, de ses chars, de ses missiles, de ses snipers… Au crime contre l’humanité du 7 octobre a répondu un châtiment ignorant superbement toutes les « lois de la guerre » et, au-delà, celles de l’humanité. Tsahal a rendu au centuple aux Palestiniens le mal qu’avait fait en leur nom le Hamas. Au centuple, oui, si l’on ajoute aux quelque quarante-six mille morts recensés par l’organisation terroriste, chiffre validé par l’ONU, les dizaines de milliers de blessés, mutilés, amputés, traumatisés, physiquement ou mentalement démolis pour le reste de leur misérable vie. Etendant au-delà des frontières d’Israël le grand nettoyage de la région, Benjamin Nétanyahou et son équipe de forcenés, indifférents au sort des otages dont le nombre s’est réduit comme peau de chagrin, ont profité de l’occasion pour liquider – pourquoi pas ? – les dirigeants du Hamas, puis le Hezbollah, ses chefs et ses cadres et, s’il n’avait tenu qu’à lui, il ne lui aurait pas déplu de montrer à l’Iran et à ses mollahs qui c’est Raoul. Jusqu’où serait-il ou aurait-il été capable d’aller ? C’est ce que nous ne saurons pas, mais le Premier ministre israélien ne manifestait jusqu’à ces derniers jours aucune intention de mettre un terme ou un frein à la boucherie, lui dont le maintien à la tête du gouvernement et le retard de sa comparution devant la justice ne tiennent qu’à la poursuite du massacre et qui ne peut envisager de conserver une majorité à la Knesset qu’en y incorporant des forcenés, des fous furieux qui – quel martyr, quel rescapé de la Shoah aurait cru la chose possible ? – dénient aux Palestiniens la souveraineté et l’intégralité du territoire que leur garantissent le droit international et les traités signé ou les accords passés par les prédécesseurs de Benjamin Nétanyahou.
Les dégâts sont aussi immatériels
C’est sous la pression de Donald Trump, à trois jours de son investiture officielle, que M. Nétanyahou a accordé, bien à contre-cœur, ce qu’il refusait depuis des mois à Joe Biden – une trêve, fragile, un cessez-le feu, précaire, offrant ainsi sur un plateau au président élu, lundi prochain, ce que le président sortant comptait présenter comme son ultime succès. C’est que si M. Biden continuait à fournir à Israël aide financière et aide militaire en dépit des camouflets de son protégé, et si M. Trump est présenté comme le plus pro-israélien des présidents américains, il n’est apparemment pas homme à accepter d’être bravé ou défié par qui que ce soit, ami ou non.
Les armes devraient donc enfin se taire, au moins quelque temps, au Proche-Orient, en dépit de ce que seront tentés de dire ou de faire ceux qui préfèrent, ouvertement ou non, le chaos et la mort à l’apaisement. On prendra dans un premier temps la mesure de l’énormité des dommages infligés à Gaza. L’addition, à vue de nez, énorme, s’élèverait à cinq cents milliards de dollars. Mais il tombe sous le sens que les plus gros dégâts ne sont pas matériels. Quels sentiments peuvent nourrir pour Israël les centaines de milliers de veuves, d’orphelins, de parents, d’amis endeuillés, quelle envie de réconciliation, quelle confiance dans une coexistence pacifique ? Ceux qui, de part et d’autre, ont semé depuis des années les graines du fanatisme et multiplié les raisons de la colère peuvent être contents de leur œuvre. Dans l’état où les uns et les autres ont mis le Proche et le Moyen-Orient, combien de temps faudra-t-il et quels hommes surgiront pour que l’embrassement succède à l’embrasement ? Anouar el Sadate, Itzhak Rabin seraient-ils morts pour rien ? Yasser Arafat et Menahem Begin ont-ils tenté l’impossible ? Maintes fois dans le passé, des gouvernants ont affirmé que la mobilisation n’était pas la guerre. L’événement les a trop souvent démentis. Une trêve imposée à des belligérants annonce-t-elle annonce-t-elle la paix ? On aimerait le croire.
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