[STRICTEMENT PERSONNEL] Ukraine : du droit des grands à disposer des peuples ?

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Le rapport de l’Ukraine à la Russie n’est pas sans présenter certaines analogies avec ceux du Portugal ou de la Catalogne à l’Espagne, de l’Écosse ou de l’Irlande au Royaume-Uni, voire de la Corse à la France. L’échelle des conflits qui ont opposé ou qui opposent encore les uns et les autres n’est pas la même, ni en intensité ni en importance, et leur ampleur comme leur brutalité ont largement varié au cours des siècles. La façon dont le plus puissant, le plus fort et pour tout dire le dominant traite les aspirations à la décentralisation, à l’autonomie, voire à l’indépendance du plus faible, du plus petit, bref du dominé ; comme la manière dont celui-ci les a fait valoir, suivant que le premier a ignoré, rejeté ou réprimé les revendications du deuxième, et que celui-ci a tenté de les faire triompher par des voies pacifiques ou a recouru à l’émeute, l’insurrection, la sécession et la guerre, en dit long sur leur niveau de respect des libertés individuelles ou collectives, donc sur leur niveau de civilisation, et notamment sur leur relation au fameux droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

L'Ukraine, un État souverain ?

L’Ukraine est-elle un État souverain, conformément au droit international, dans le cadre des frontières qui lui ont été reconnues ? Oui, en tout cas sur le papier, et pendant les quelques années où la Russie, ressuscitée sur les décombres de l’URSS, véritable prison de tous les peuples à commencer par le peuple russe, n’avait pas encore reconsidéré comme des « chiffons » les traités signés dans la hâte, l’improvisation et la débandade qui marquèrent le bref passage dans l’Histoire et au pouvoir du titubant Boris Eltsine. C’est en 1991 que la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine avaient librement adhéré à la CEI, alias « Communauté des États indépendants », association de partenaires égaux en droit, sinon en superficie et en population. Trois ans plus tard, le mémorandum de Budapest entérinait l’indépendance de l’Ukraine, en échange de la bien imprudente renonciation de Kiev à la propriété et au contrôle des armes nucléaires entreposées sur son sol. La Russie, la Grande-Bretagne et les États-Unis se portaient alors garants de l’intégrité du territoire ukrainien.

L’Ukraine accédait à l’indépendance perdue depuis près de trois siècles, sous les tsars, et dont le nouveau régime bolchevique avait impitoyablement écrasé les tenants, anarchistes comme Makhno, nationalistes comme Bandera. Après les horreurs de la famine organisée par Moscou dans les années 1930 et celles de la grande guerre patriotique, qui avait vu une minorité de sa population collaborer avec les nazis par haine du communisme et des Juifs, et la plus grande partie combattre l’envahisseur à l’appel du despote, elle pouvait se croire enfin et simultanément libérée du joug de la dictature et de celui de la Russie. Le premier point faisait l’unanimité, le second était plus incertain. C’était sans compter l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, nostalgique des grandeurs impériales et de l’autorité sans limites du régime tsariste.

Deux peuples intimement unis

Les liens de l’Ukraine avec la Russie remontent à notre Moyen Âge. Mais ils sont faits et nourris de deux apports bien différents l’un de l’autre. Sur le plan humain, les deux peuples sont intimement unis par la langue, l’histoire, la culture, la religion et, plus que tout, par le sang mêlé. Indissociables donc, naturellement, et il est permis de croire et d’espérer que cette proximité, que cette association renaîtront avec, en tout cas après le rétablissement de la paix. Ce sera long, mais nous, Français, sommes payés pour savoir que quatre-vingts ans de bon voisinage sont venus à bout des vieilles haines envers l’ennemi héréditaire. Ce ne peut être encore le cas pour les Ukrainiens qui, sur le plan politique et militaire, subissent une fois de plus ce que leur a si souvent apporté le vent d’est venu de Moscou : l’assujettissement, l’occupation, l’oppression, la répression. Et en prime, cette fois-ci, alors qu’ils étaient en train de faire l’apprentissage de la démocratie sans avoir jugulé la corruption, l’ombre sinistre du retour de la servitude.

La Russie de Poutine est-elle responsable et coupable de l’agression du 24 février 2022 et de la boucherie qu’elle a déclenchée, qui accumule la ruine, la mort, se prolonge, s’envenime et s’aggrave depuis déjà trois ans ? Incontestablement oui, même si l’homme fort du Kremlin peut la justifier à ses propres yeux et aux yeux de son propre peuple par les manœuvres en tout genre de l’Occident, et a été conduit à la faute par l’absence de sanctions sérieuses à la suite de ses premières provocations : l’annexion de la Crimée (sans effusion de sang, rappelons-le) et le soutien affiché aux séparatistes du Donbass…

Alliés cobelligérants ou belligérants ?

On pouvait, il y a encore quelques jours, désespérer de la situation en l’absence de toute amorce d’apaisement, de rapprochement, de négociation face à l’immobilisation des lignes de front, à l’obstination des deux antagonistes et en l’absence de toute perspective positive, tant sur le plan politique que sur le champ de bataille. L’Amérique de Biden, l’OTAN sous direction américaine et l’Union européenne avaient fourni, et continuaient de fournir à Kiev, de quoi tenir sans lui permettre de gagner et d’empêcher Poutine de l’emporter sans le décourager pour autant. Tout au plus sanctions financières et aide technique à l’Ukraine rapprochaient, chaque jour un peu plus, notre statut d’alliés cobelligérants de celui de belligérants.

L’arbitre que personne n’osait plus attendre a soudain surgi et sifflé la fin du match. Il n’y aura ni prolongation ni reprise. On pourrait, on aimerait se réjouir sans réserve de l’irruption sur le terrain de Donald Trump. Enfin, les choses bougent. Enfin, le spectre d’une troisième guerre mondiale, qui se faisait chaque jour plus menaçant, s’éloigne, en tout cas de cette zone de danger (car du côté de Taïwan, c’est une autre affaire). On peut regretter qu’apparemment, le président ukrainien, s’il reste en place, soit condamné à un rôle de potiche ou poussé à la démission. On se félicitera, évidemment, que les armes se taisent enfin. Mais on constatera simultanément que ni l’Ukraine ni aucune puissance européenne n’auront été admises, à Munich ou ailleurs, à mettre leur nez dans un règlement qui intéresse toute la planète mais ne sera négocié qu’entre deux interlocuteurs.

La fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe avaient vu naître, grandir puis s’imposer un principe nouveau : celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce premier quart du XXIe siècle voit son abandon et le retour au bon vieux temps où les tyrans, les rois et les puissants décidaient du sort de leurs sujets sans que ceux-ci ne fussent associés à la maîtrise de leur propre destin. Les Ukrainiens, les Russes, bien entendu, les Européens, les institutions internationales n’auront pas leur mot à dire. Dorénavant, comme auparavant, désormais comme toujours, les petits et les peuples ne seront pas admis à jouer dans la cour des grands, qui ne connaissent et ne respecteront jamais que la plus ancienne et la plus barbare des lois. Celle du plus fort qui, comme disait Bismarck, prime et exprime le droit.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 16/02/2025 à 12:51.
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Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

93 commentaires

  1. Les chars Russes sur les Champs Elysées ! Ça va en faire de la ferraille ! Il faut exiger que l’armée russe organise un ravitaillement sérieux en gasoil. La dernière fois qu’ils sont sortis de leur base, les réservoirs étaient vides bien avant d’atteindre Kiev. Il faudrait peut-être prévenir les surdoués du FSB que Paris est une ville située à 3000 Kms de chez eux. Et qui mieux qu’un énarque également surdoué, pour parler à un Mec du FSB ?

  2. Je ris. Les français sont-ils maîtres de leur destin ? On veut interdire 2 chaînes de Tv , C8 NRJ12 et D. Jamet donne des leçons de démocratie. Voir qui a initié Maïdan, et il fait un gros raccourci sur l’histoire de la Russie qui l’arrange. Je m’en bat de ses leçons et de l’Ukraine et de la Russie. L’Ukraine selon lui modèle de démocratie, où les opposants , médias et politiques sont quasi interdits et où le président n’est plus réélu depuis 1 an1/2 et cætera et cætera.. Et si la peur de la Russie le tenaille, ça n’est pas mon cas, m’étant battu pour la France ,.Et la Russie ne démontre pas en Ukraine une supériorité sans limite, loin de là. Mais il est vrai que l’on peut douter d’une majorité combattante dans le peuple de France d’aujourd’hui..

  3. «  »La Russie de Poutine est-elle responsable et coupable de l’agression du 24 février 2022? Incontestablement oui! »
    Tu parles, Charles! Vous ne contestez pas, peut-être, mais nous sommes nombreux à voir les manœuvres américaines dans cette situation ukrainienne, nous avons vu un zelenski élu là-bas, comme nous avons vu un macron chez nous, et curieusement, le second n’a de cesse de soutenir le premier! Les deux sont du même panier, des suppôts d’une amérique dominée par un dep state criminel. Trump s’essaye à y mettre bon ordre, mais qu’il assure ses arrières, la bête immonde a des ressources… A commencer par l’Otan, qui lui est viscéralement attachée, et craint de Trump des décisions l’amoindrissant à son rôle de seule protection de l’europe par l’europe…A mon avis, seule la disparition de l’otan pourra calmer le jeu, comme a disparu le pacte de Varsovie. L’Ukraine ne pourra dès lors plus y prétendre, l’excuse de cette « véritable trahison entre slaves » disparaîtrait et les russes se retireraient. Et alors pourrait, soit se créer un nouveau front, direct entre la FdR et une organisation de défense européenne – j’y crois très moyennement -, soit ouvrir les yeux, et comprendre que l’URSS dévoreuse des peuples n’existe plus, et cesser de voir la Russie comme le voulaient les USA, comme une ennemie, et faire acte de coopération. Mais cela suppose une déconnection des USA, qu’il ne sera possible d’obtenir qu’au prix d’un changement drastique des « élites européennes américano-centrées », que pourrait rendre possible un retrait américain du jeu de l’europe sous Trump…
    Mais NIET à la tactique de la responsabilisation du seul Poutine, c’est trop facile, il faut considérer le blocage diplomatique systémique des USA ces trois dernières décennies, indépendamment même d’une administration trumpienne parallèle de 2016 à 2020, où cette diplomatie de provocation se fit presque silencieuse…

  4. A tout le moins vision partielle……….. ou partiale.
    Si c’est LA VÉRITÉ, notamment sur LCI. D’autres sources diverses et variées (militaires, aux USA et en Suisse notamment) présentent et surtout EXPLIQUENT ce drame de façon totalement différente !…..
    comprenne qui pourra !

  5. Rien d’étonnant à ce que l’Ukraine et les pays européens ne soient pas présents sur Munich puisque c’est une guerre par procuration entre Russie et Etats Unis, ces derniers étant les véritables instigateurs de cette guerre. Ok pour respecter la volonté des peuples et dans ce cas il me semble que la Crimée et le Donbass et compagnie ont choisi la Russie par référendum, ok pour respecter la souveraineté des peuples et dans ce cas exit les bases américaines de l’Europe…

    • Étant né, ayant grandi en Alsace, donc a côté de l’ogre allemand, je pense pouvoir affirmer que vous ne savez pas de quoi vous parlez monsieur Jamet.
      Je vous cite « nous, Français, sommes payés pour savoir que quatre-vingts ans de bon voisinage sont venus à bout des vieilles haines envers l’ennemi » … C’est pathétique mais comme vous faites partie des »sachants » je suis certain que vous saurez m’expliquer le fait que les frontières poreuses de l’UE reprennent une bonne part de l’ancien saint empire germanique est un hasard.
      C’est un hasard aussi si la valeur de l’euro, cette monnaie de Monopoly, a été calquée à l’époque sur celle du mark prussien ?
      Je rejoins Marcu et son commentaire du 15 à 19h36 car vos « strictement personnel a larges audiences » (ce qui est assez contradictoire) ça se lis juste pour passer le temps.
      Lancez vous vraiment en politique allons, c’est là que l’on range depuis des générations les inutiles et JL Melanchon vous accueillerait à bras ouverts !

      • Est-ce que le fait que l’Alsace ait été occupée et annexée de force par les revanchards jacobins en 1918, alors qu’elle était devenue un Land autonome en 1911, ne vous dérange pas ?

  6. L’article signé Dominique Jamet présente l’avantage inédit d’avoir suscité une majorité de commentaires destinés à le contredire tant dans les prémisses que dans la conclusion de son raisonnement…
    Merci d’avance à B.V d’ éviter de nous imposer la lecture des thèses biaisées de Mr D. Jamet.

    • D’autant plus que nous sommes «  abreuvés «  de propagande russophobe et Trump phobe avec l’immense majorité du monde médiatique en France ( et non Français , je fais bien le distinguo) inutile de laisser planer quelques doutes dans l’esprit des Patriotes . La pluralité en matière d’information nous l’avons connu avec des médias tels Le Point ou Le Figaro , on voit aujourd’hui ce qu’il en est advenu

  7. En réponse au post de P.LUCCINI: affirmer que  » Poutine est le seul responsable de cette guerre » participe de cet aveuglément occidental car aujourd’hui il est reconnu par les personnes censées et informées des deux côtés que l’occident pour des motifs bien établis est à l’origine de cette guerre cf demande de négociations de Kiev dès le 24 02 2022 puis sabotage par B.Jonhson; rappel: « Ukraine » signifie « frontière », la réalité qu’on ne veut pas voir; quant à associer Poutine à Hitler, c’est se conforter dans la cécité; l’histoire nous apprend que la Russie s’est toujours défendue contre l’envahisseur, mais jamais n’a envahi; supposer que la Russie ferait la guerre jusqu’à la Bretagne c’est du fantasme , voire de l’ignorance car ce n’est point du tout l’objectif de le la Russie; c’est l’occident qui a chamboulé les frontières en ex-Yougoslavie( des slaves!) et ailleurs

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