[Strictement personnel] Un homme droit (de l’homme)

Dominique Jamet

Dans la France d’autrefois, à cette belle époque où elle était  un « vieux pays », mais cher à la quasi-totalité de ses habitants, autrement dit à ses peuples premiers, lorsque passait un convoi funéraire, les agents arrêtaient la circulation, les hommes ôtaient leur chapeau ou leur casquette, les militaires se figeaient au garde-à-vous et les femmes se signaient tandis que sonnait le glas de l’église la plus proche…

Dans les jours qui ont suivi la disparition de Robert Badinter, de l’annonce de sa mort à la cérémonie de la place Vendôme, la France d’aujourd’hui, fragmentée, divisée, archipélisée, a donné le spectacle, si rare, de l’unisson dans la ferveur, la tristesse et le deuil devant le cercueil d’un homme de passion, de principes et de rectitude. Aucune fausse note, ou presque aucune, n’a marqué cette semaine. Déclarée indésirable par la famille du défunt, Marine Le Pen s’est pliée à cette exigence. Il n’en fut pas de même, comme on sait, de la délégation « insoumise » désignée par Jean-Luc Mélenchon pour participer à ce moment d’unité nationale où elle n’avait certes pas sa place. L’occasion de vérifier que l’hypocrisie reste décidément l’hommage que le vice rend à la vertu.

Quant au grand public, dont la mémoire est parfois courte, il a pu vivre à nouveau, par la grâce des techniques modernes, les grands moments d’éloquence et de colère qu’ont été, le 17 septembre 1981, son discours devant l’Assemblée nationale et, le 16 juillet 1992, son apostrophe face aux Pharisiens qui avaient mis à profit la commémoration de la rafle du Vel' d'Hiv' pour huer François Mitterrand.

Ni pratiquant ni même croyant, Robert Badinter avait fait du sixième commandement du Décalogue « Tu ne tueras point » la boussole de sa vie et, de fait, il aura mené  jusqu’à la victoire le combat pour l’abolition de la peine de mort en France. Depuis près d’un demi-siècle, l’horrible machine à couper en deux les hommes au nom du peuple français a été mise au rencart et c’en est fini des rendez-vous qu’organisait, avant la levée du jour, un protocole immuable et sinistre entre le procureur, les juges, les avocats, les condamnés, la société et la mort.

Cette bataille, mère de toutes ses plaidoiries depuis la double exécution de Buffet et Bontemps, en passant par le verdict arraché dans l’affaire Patrick Henry contre toutes les prévisions et probablement contre la majorité de l’opinion, a fait entrer le nom de Robert Badinter dans notre Histoire. On ne mettra pas ici en doute la sincérité du grand avocat, pas davantage la noblesse de ses arguments. Il s’en faut pourtant, en ce qui me concerne, que j’aie été convaincu par ses raisonnement. Il s’en faut aussi, et ceci semble échapper ces jours derniers aux commentateurs et plus généralement au public, que la peine capitale ait aussi radicalement disparu dans les faits qu’elle a disparu, dans notre droit, du Code pénal.

Robert Badinter affirmait sans cesse que la peine de mort n’est pas dissuasive et il est de fait que la silhouette et la menace de la Veuve n’ont jamais suffi à dissuader un certain nombre de coupables de passer à l’acte. Mais, parallèlement, il était prévisible et il s’est clairement vérifié que l’abolition n’a eu aucun effet positif sur la courbe des violences et du crime. L’abolition a, en revanche, permis à un nombre, certes relativement faible, de criminels inamendables, irrécupérables et donc impardonnables, de « monstres », d’échapper au châtiment suprême, comme on disait, pourtant le mieux à même de correspondre à leur dossier.

Leur personnalité, leur perversité, voire leur fanatisme religieux ou politique sont tels que certains tueurs en série, d’ailleurs parfaitement conscients de leurs actes, ont le goût, éprouvent du plaisir ou ressentent la nécessité d’assassiner telle ou telle catégorie de leurs « semblables ». L’apport de Marc Dutroux, de Michel Fourniret, de Nordhal Lelandais, des frères Kouachi, de Khaled Kelkal ou de Mohammed Merah voire leur appartenance à l’humanité me paraissent négatifs ou douteux. En revanche, leur capacité de nuisance, en l’absence de toute circonstance atténuante, et leur dangerosité me paraissent incontestables. Méritent-ils de vivre ?

Or, il semble qu’une sorte de jurisprudence inavouée, autrement dit de pratique illicite, se soit installée avec la connivence des pouvoirs publics et l’assentiment tacite de l’opinion. La loi, telle que l’a voulue Robert Badinter, continue de s’appliquer en droit commun. S’agissant des terroristes, il semble au contraire admis qu’il reste licite de les abattre en flagrant délit, sur les lieux de leurs crimes ou à leur domicile, et donc d’ignorer l’abolition de la peine de mort mais de les en faire bénéficier dès lors qu’ils sont sous-main de justice. N’y aurait-il pas lieu de se pencher sur la question et de réviser une loi qui, édictant un principe général et généreux, ne répond pas à toutes les situations particulières ? Robert Badinter n’aurait-il pas péché, si l’on ose dire, par angélisme ? Il est vrai qu’il appartenait à une branche de la création dont on peut se demander, à la lumière de l’actualité, si elle n’est pas en voie d’extinction : l’espèce humaine.

Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

72 commentaires

  1. Evidemment que la peine de mort n’était pas dissuasive, puisqu’elle était rarement appliquée. Mais j’ajoute, que Badinter a bafoué la démocratie, puisqu’il a fait voter une loi, dont la majorité des français était contre.

  2. Un homme politique intelligent ne peut pas être un ange. Et on le voit chaque jour, hélas, il y a une Justice de droite, et une Justice de gauche. S’il avait été un ange du Ciel, sa puissance n’aurait jamais permis la déliquescence et l’ultra-laxisme actuel complice de l’immigration et de la destruction de notre civilisation.

  3. Je ne comprends pas cette vision extensive de la « peine de mort » : abattre un terroriste qui tire n’est pas une peine de mort (qui est une sentence, tandis que l’abattre est de la légitime défense). C’est certes moins grave qu’Olivier Faure qui parle de peine de mort pour les gens morts en méditerranée, nous en faisant porter la responsabilité d’assassinat

  4. Dans ce pays totalement à la dérive, la peine de mort à été abolie dans les prétoires mais reste terriblement d’actualité sur la voie publique, sous les coups en particulier de membres de populations exogènes. Et lorsque les forces de l’ordre font usage de leurs armes et annihilent les assaillants, elles sont vouées aux gémonies. Y a t’il un pays au monde où l’usage des armes par les forces de police est aussi règlementé, ou par une inversion terrible des valeurs, la tendance est largement de considérer l’assaillant et non la victime ! Désolé, mais je fais partie de ceux qui pensent que l’abolition de la peine de mort est une grave erreur et je ne partage pas du tout l’idée qu’elle ne soit pas dissuasive. Il s’agit là encore d’une vue de l’esprit, argument de circonstance pour convaincre, du même tonneau que l’idée régulièrement émise pour infuser, qui prétend que les frontières ne protègent pas de l’immigration. Du pipeau au royaume de la bien pensance !

  5. La mort de Robert Badinter nous révèle que le sectarisme est génétique. La famille Badinter ne s’est pas honorée en écartant des hommages, rendus par la République à son père défunt, les membres du RN et de LFI. Elle a infligé à ces deux familles politiques une forme de peine de mort.
    J’espère que Marine Le Pen tirera toutes les conséquences de cette humiliation gratuite que lui a faîte la famille du célèbre avocat. Rendre hommage à l’œuvre politique ( « une figure marquante du paysage intellectuel et juridique ») d’un homme qui ne nourrit que de la haine pour son parti, par pure démagogie, est une insulte à l’égard de ses électeurs. L’attitude de la famille Badinter, en retour de cet hommage, fait subir la double peine aux sympathisants du RN qui n’avaient rien demandé…

  6. En théorie Mr BADINTER pouvait avoir raison dans un monde de « bisounours » mais dans celui que nous vivons ,nous voyons le résultat !!Plus de crainte de la peine capitale ,pas de perpétuité ,donc on tue pour un oui ou un non sans crainte !!

  7. S’il est incontestable que donner la mort est une infraction aux dix Commandements bibliques et que son abolition peut donner bonne conscience à Badinter qui l’ a fait supprimer , il n’en apparait pas moins qu’elle ne permet pas aux Familles , ni à la Société de s’en satisfaire…C’ est le moins que l’on puisse dire si l’on se réfère aux enquètes et aux résultats des sondages !

  8. Pourquoi n’a t’il pas interdit alors l’avortement car là ce sont des meurtres et des plus écoeurants puisqu’il s’agit d’innocents. Résultat pas de prison pas de sanction qui quoique vous en dites faisait un peu réflêchir certains.

  9. Je conteste fermement toutes les thèses de Badinter, mais je comprend les positions de la famille vis à vis de LFI. Si la famille avait été cohérente, elle aurait menacé de ne pas assister à cet hommage en cas de présence de LFI.

  10. Mais en quoi a t’il donc mérité tant d’hommages? Au service de la France??? des Français??? on voit le résultat de tant de niaiserie. Un beau parleur voilà tout. Rien d’héroïque dans tout cela.

    • Personne n’a fait le compte des assassins qui, grâce à lui, ont pu survivre à leurs crimes, libres de toute entrave. Combien? Et combien de victimes survivantes resteront hantées par l’horrible perspective de se retrouver face à leur bourreau? Cela n’a l’air d’intéresser personne, il faut donc croire que ce n’est pas important.

  11. Oui, éclatante démonstration de notre décadence et manque de courage d’assumer qu’un être nocif tel un assassin soit définitivement écartée de la communauté.
    La moraline gauchiste a infusé dans notre nation et voilà aujourd’hui Mme Sylvie qui fait le ménage aux pieds des dealers

  12. « La peine de mort n’est pas dissuasive » c’est le même argument que les bien-pensants utilisent pour la prison. Si elle n’est pas dissuasive pour certains, elle l’est pour un grand nombre d’autres et c’est ce qui devrait nous importer. Il y aura toujours des monstres, des personnes déterminées à enfreindre la loi mais la possibilité d’être exécuté ou d’aller en prison pendant de longues années feraient réfléchir d’autres, notre sécurité y serait gagnante et des innocents massacrés souvent dans des circonstances inhumaines seraient pour la plupart épargnés. Oui, la question est qui mérite de vivre : les monstres ou les victimes ? En 1981, 67% des français étaient pour la peine capitale. L’opinion publique a été encore une fois bafouée par une minorité qui a imposé son idéologie angélique selon certains mais non représentative pour la majorité des autres. Bon exemple de démocratie!

    • Cela se nomme la dictature des minorités, régime sous lequel nous vivons depuis cette époque. Rappelons pour la forme que, lorsqu’ils ont pris le pouvoir par les armes en Russie, les Communistes représentaient moins de 10 % de la population. Comme quoi, ça peut payer, surtout pour leurs descendants qui occupent le pouvoir actuel.

  13. Allons au fond de cette histoire , la peine de mort aboli « en catimini » et exigée et votée ( entre soi ) par cette gauche au pouvoir qui avait peur de la subir ,n’a laissé aucun Français s’exprimer pour ou contre pour être sur qu’elle ne sera plus appliquée à personne les tueurs d’enfants , les violeurs , assassins , terroristes et meurtriers en tout genre ont pu continuer leur forfait ou les reprendre à leur sortie de prison en impunité car il n’encouraient désormais plus la peine de mort !
    L’abolition a était , à mon avis , la pire offense faite aux Français honnêtes qui désiraient vivre en sécurité !
    Depuis l’abolition , c’est l’escalade de la violence , des tueries !

  14. La constitutionnalisation de l’avortement est une glorification du meurtre des innocents. Quelle incohérence de rendre un hommage grandiose à une personne qui a supprimé la peine de mort pour les coupables ! C’est le monde d’Orwell : les innocents sont coupables.

  15. De quel droit la famille Badinter interdit-elle la présence dans un espace public défini de personnes qu’elle ne souhaite pas y voir ? Il ne suffit pas au défunt d’avoir été ministre de la justice pour que cela ouvre droit à privatisation de la place Vendôme lors de ses obsèques.

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