[STRICTEMENT PERSONNEL] Un Président déni oui-oui

Dominique Jamet

Dans le chaos où sa brillante initiative a abîmé le fonctionnement des institutions et bouleversé le paysage politique, au seuil d’un été décidément sportif, et finalement plongé le pays, il est au moins une question qui appelle une réponse immédiate et quasi unanime : dans l’affaire, qui est le grand perdant ? Où se confirme, au passage, une vérité en passe de devenir un adage : une première difficulté est de voir ce que l’on voit, une deuxième de dire ce que l’on voit. Les événements en cours ont démontré une fois de plus chez le président de la République une capacité exceptionnelle à ne pas voir, à refuser de voir ou, dans une hypothèse plus conforme à son caractère, à faire comme s’il ne voyait pas.

En décidant la dissolution et la tenue d’élections législatives dans des délais incroyablement courts, le grand stratège de l’Élysée avait calculé que la gauche, éparpillée aux quatre vents de l’Histoire, serait incapable de partir unie en campagne. La suite a montré qu’il s’était lourdement trompé. Machiavel aux petits pieds, il comptait aussi, comme d’habitude, sur la peur pour rassembler autour de lui une partie de l’électorat en agitant l’inusable épouvantail du Rassemblement national. Rien n’a fonctionné comme prévu.

Un sursis en lieu et place d'un sursaut

La gauche a fait front, et même Front populaire. Il était anachronique de croire qu’agiter le chiffon brun d’un succès du RN allait affoler comme naguère des millions d’électeurs. Enfin, et surtout, le chef de l’État a grossièrement sous-estimé l’ampleur et la force du rejet dont il est lui-même l’objet. Résultat : il espérait un sursaut, il n’a obtenu qu’un sursis. La gauche, à peine ressuscitée des morts, à peine réunifiée et déjà divisée, gémit qu’on lui a dérobé sa victoire et hurle comme si elle avait remporté le jackpot, alors qu’elle n’a fait que récupérer sa mise et son niveau habituel d’environ un tiers des suffrages. Elle s’affirme « majorité relative » dans l’espoir de faire oublier qu’elle n’est qu’une des trois minorités effectives, hors d’état d’appliquer son programme sans l’accord des deux blocs hostiles qui auraient vite fait, si d’aventure elle accédait à Matignon, de lui infliger une motion de censure bien réelle. Quant au RN, en comparaison du triomphe qu’on lui annonçait et auquel ses dirigeants, ses militants et ses partisans avaient fini par croire, son résultat final a pris l’allure et a donné l’image d’une apparente défaite qui ne correspond nullement à la réalité des chiffres.

Il est vrai que le barrage républicain a bien fonctionné, peut-être pour la dernière fois. Le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella n’en a pas moins gagné, au passage, une cinquantaine de sièges en récoltant un tiers des voix. Ce qui n’est pas tout à fait rien. Il est cependant clairement apparu, à la veille du second tour, que le parti supposément « dédiabolisé » a été pris ici et là en flagrant délit de succomber à ses vieux démons. Un certain nombre de ses candidats ont fait la preuve de leur incompétence et de leur impréparation. À la direction du parti, les plus intelligents, à qui il arrive aussi d’être les plus optimistes, se réjouissent discrètement de ne pas avoir dû affronter les problèmes, les obstacles, les déceptions et les colères auxquels les aurait confrontés la réalité du pouvoir. Aux grands et aux petits chefs du mouvement, s’ils en sont capables, de comprendre la leçon et d’en tirer les conséquences. Pour cela, et en vue de la prochaine présidentielle - épreuve de vérité entre toutes -, ils disposent encore d’un délai de douze à trente-six mois. C’est selon. Il est encore trop tôt pour savoir si une nouvelle dissolution interviendra d’ici un an, comme le permet la loi, ou si, autre hypothèse, Emmanuel Macron se résignera, malgré lui mais à la satisfaction générale, à mettre prématurément fin à son mandat-croupion.

Quoi qu’il en soit de cet avenir encore lointain, les mois et même les jours qui viennent ont d’ores et déjà tout d’un long tunnel envahi par le bruit, la fureur, les alliances les plus improbables, les rapprochements les plus inattendus, les plus cyniques et probablement les moins viables. Tous les éléments à notre connaissance donnent à penser que nous allons vers une Assemblée ingouvernable, des coalitions contre-nature et le retour vers l’impuissance du pouvoir, l’instabilité de l’exécutif, le petit jeu des grands partis et des petites ambitions auxquels la Ve République était censée avoir mis un terme.

Une leçon britannique

Tandis que, devenus soudain indifférents aux tapages, aux tumultes et aux orages du monde extérieur, et même (qui l’eût cru) à l’Euro de football et aux JO, les Français se penchaient, qui avec anxiété, qui avec espoir, qui dans la joie et qui dans la fureur, sur leur nombril tricolore, la Grande-Bretagne traversait elle aussi une « crise historique » face à laquelle nos voisins et parfois amis britanniques se sont comportés bien différemment. Vérité en deçà du Channel, erreur au-delà.

Premier ministre d’un gouvernement conservateur, à bout de souffle et au sommet de l’impopularité, Rishi Sunak annonçait, fin mai dernier, tel Emmanuel Macron, des élections législatives anticipées. Ces élections ont eu lieu, comme on sait, pour autant qu’on s’y soit intéressé de ce côté de la Manche, le 4 juillet dernier. Elles ont infligé aux Tories leur défaite la plus massive et au Labour sa victoire la plus écrasante depuis le début du XXe siècle. Dès le lendemain, 5 juillet, M. Sunak reconnaissait sa défaite, s’excusait auprès des Conservateurs, félicitait son adversaire travailliste, déménageait ainsi que tous ses ministres du 10 Downing Street, présentait sa démission au roi Charles III et retournait à la vie civile. Le 6 juillet, Keir Starmer s’installait avec son équipe au siège du gouvernement. La crise vécue par l’Angleterre se résolvait immédiatement, pacifiquement, conformément aux règles non écrites, aux traditions et aux usages du pays. Une leçon nous était donnée, et ce n’est pas la première, par la perfide Albion, « mère des Parlements » et de la démocratie parlementaire.

Car les Anglais sont peut-être monarchistes - encore que -, mais ils sont certainement démocrates. Nous autres Français, nous sommes peut-être républicains - encore que -, mais pour ce qui est de la démocratie nous avons encore quelques efforts et quelques progrès à faire.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 15/07/2024 à 23:29.
Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

29 commentaires

  1. Il y a un élément qui va remettre les pendules à l’heure… C’est l’économie… Déjà ruinée par la politique du « quoi qu’il en coûte » à la Macron et les conséquences de la guerre en Ukraine, le coup de grâce va être donné à l’économie française par le programme ubuesque du NFP… L’économie d’un pays ne repose que sur un seul pilier : La confiance… Confiance des prêteurs dans la stabilité d’un pays et de ses institutions… confiance des investisseurs dans l’avenir… Confiance de ses citoyens et consommateurs…
    Hors, ce pays a perdu la confiance… Comme le disait un commentaire, les français sont trouillards… Ce qui les fera bouger, c’est lorsqu’ils seront frappés au portefeuille. Leurs placements confisqués ou dévalués, les taux d’intérêts astronomiques, l’inflation galopante… Là, ils se réveilleront et descendront dans la rue…

  2. L’Angleterre, qui adule sa famille royale, est bien plus démocratique que notre république bananière ! Quelle démocratie dans laquelle un président machiavélique à tous les pouvoirs ? Quelle démocratie où l’on entretien un sénat et une assemblée nationale pléthoriques mais dans laquelle, le con-seil constitutionnel, nommé par le président, peut annuler toutes les décisions prises par ces 2 chambres ? Idem pour la pléthore des ministres : on est le pays au monde qui a le plus de ministres ; pour quoi faire ? Surtout pour quels résultats. Ce sont les républiques bananières qui nomment et entretiennent ainsi un nombre incommensurable d’élus, de « nommés » par le roi, comme les préfets, ministres et présidents (rémunérés) d’associations bidons, ou plutôt politicardes !

  3. Que rajouter si ce n’est que la « victoire » de gauche, assise sur un seul tiers des suffrages (et même un peu moins…), n’a pas bénéficié que des siens propres, suffrages qui furent aussi ceux du lapin de la carpe ou du choux de la chèvre…

  4. La GB , les mêmes causes , l’immigration , l’islam menaçant la démocratie , l’insécurité ; produisent les mêmes effets , un changement de gouvernement .
    MAIS
    Le néo Labour , parti de centre gauche purgé de ses éléments gauchistes , islamistes , antisémites , arrive au pouvoir , 34% des suffrages lui donnent 65% des sièges . Il affiche une politique pour réguler l’immigration sauvage , une fiscalité qui ne veut pas tuer les entreprises , et une politique sociale réaliste, impensable chez nous !
    Les Conservateurs 24 % des suffrages et 18% des sièges , l’usure du pouvoir (14 ans) et un premier Ministre ultra riche et d’origine indienne qui avait du mal à passer dans l’Angleterre profonde et conservatrice.
    Reform UK , l’équivalent de Reconquête chez nous ; 14% des voix et 1 % des sièges , ce parti monte en flèche car le néo Labour est trop timoré dans sa lutte contre l’immigration , il va abandonner la procédure du Rwanda.
    Liberal démocrat 12% des voix et 11 % des sièges .
    Green 7% des voix et 1% des sièges .
    On voit comme chez nous, et même en pire, la distorsion entre le nombre de voix et le nombre des sièges.
    Le centre gauche avec 34% des voix gouverne très majoritairement , alors que la droite avec 50% des voix au total est éclatée en trois partis et reléguée dans l’opposition.

  5. Comme beaucoup de Français je suis outrée, et cela depuis longtemps, du traitement que subit le parti de Marine Le Pen. L’utilisation de tous les médias possibles a été mise en œuvre pour diaboliser ce parti.
    Remarquons au passage ce qui lui est réellement reproché. Car il ne peut être question de taxer ce parti de manquer à la République Laïque et au programme social de la France.
    Taxer d’extrême droite un parti qui fait la promotion d’un programme de gauche est assez ignoble. En fait nous sommes mis devant la réalité d’un refus de l’alternance et surtout un refus de mettre fin au programme de l’immigration sauvage et illimitée que nous subissons depuis des années.

  6. La République des castors , ils courent apeurés vers les urnes pour faire barrage au diable qu’on leur montre .
    Et on obtient un chaos politique , des députés élus avec des votes de leurs pires ennemis .

  7. Douloureuse comparaison, le concept de démocratie à la française est une illusion au regard de celui britannique.

  8. Méfiez vous de Macron il a encore une fois piétiné le RN après usage et enrobé ses électeurs dans la farine. Il n’en a pas fini avec la dissolution qu’on a tort de croire spontanée.

    • Il est probable que nous ayons la droite la plus stupide au monde, mais surtout, ces cadres sont avant tous les plus fourbes, les plus trompeurs qui soient. Ils encouragent à voter contre un parti qui se rapproche de leur vision idéologique supposée, appelant à voter pour leurs camarades de toujours, il est vrai de gauche. Macron n’a pas piétiné le RN, la peur, l’inconstance politique une fois de plus à eux raison des électeurs, lesquels ont voté un jour pour la droite nationale ou un parti dit modérés et huit jours plus tard pour LNP. Pour enfin, aujourd’hui découvrir ébahi a quelle monstruosité politique ils avaient donné leur vote. C’est un fait, nous avons bien la droite la plus bête du monde, mais un certain nombre d’électeurs LR, pas uniquement, c’est aussi vrai ne sont franchement pas en reste.

      • Ça n’est pas la droite la plus bête du monde, c’est le peuple devenu le plus soumis et le plus trouillard au monde.

  9. Et si Macron s’appliquait à installer le chaos dans le but de déclencher l’article 16 qui le rendrait seul maître à bord ?
    L’article 16 de la Constitution peut être déclenché en cas de menace grave et immédiate contre les institutions de la République et si le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu.
    Le président de la République exerce alors les pouvoirs législatif et exécutif.

    • Personne ne dit jamais que s’il y a « menaces graves et immédiates contre les institutions de la République », il n’est pas sûr que les « menaceurs » s’inclinent respectueusement devant la toute puissance de ce que dit le fameux article 16. Quand l’hélicoptère tournait, prêt à partir, dans le parc de l’Elysée, Macron savait bien que brandir la constitution n’aurait pas suffi à arrêter des Gilets Jaunes fermement déterminés à « venir le chercher ».

  10. La Démocratie était au rendez vous le 30 avril mais cela ne plaît pas a la Macronie et a l’extrême gauche parisienne qui veut décider de tout. Mélenchon qui n’est même pas député se garde bien de l’être en seine saint Denis lui comme Macron nous parle de démocratie comme Strauss-Kahn Holland ou Jospin dans leurs pantoufles on les voit jamais dans les territoires perdus de cette république même les journalistes de la presse convenue qui aboie avec les loups. Les voici avec leurs dents acérées prêt à en découdre . Nos politiques veulent faire bloc sans le RN ça ne leur suffit pas Mélenchon va nous pourrir la vie et ça va commencer avec la CGT franchement avec Bardella Machiavel aurait pu négocier la politique s’est réduite au microcosme parisien et a la ceinture rouge des Mégapoles. Le piège tendu de la gauche se referme sur le centre gauche et d’une certaine mesure sur le RN qui a flirté avec en 2022 avec Mélenchon au sujet de la retraite . Quand aux LR Wauquier vient nous assurer qu’il fera barrage au RN que du bonheur pour les nantis parisiens !!!

  11. La démocratie est voulu par le peuple. Ce sont ses élus qui tergiversent à tel point qu’ils la mettent gravement en danger. Pour la première fois, les Français constatent qu’un parti, LFI, se disait prêt à contester le résultat des urnes si le RN avait obtenu une majorité absolue. C’est dire ô combien la France va mal.

  12. Excellent article qui résume bien que macron a joué et qu’il a perdu . Mais ne rêvons pas , il restera jusqu’au bout de son mandat et continuera à détruire ce qu’il pourra . Par contre nous allons nous régaler à son détriment , parce que s’allier avec LFI ne lui apportera que des ennuis .

    • Attention aux apparences trompeuses. Et si Macron et Mc Kinsey étaient entrain de dérouler une stratégie États-unienne !

      • Je crois que vous avez tout compris. Les US se servent de nous comme des Ukrainiens et de beaucoup d’autres pour nous isoler et nous faire rompre avec nos voisins afin de nous mettre le grappin dessus, nous imposer ce qu’ils veulent, s’installer aux frontières de l’est…nous ruiner et se remplir les poches…Il serait peut-être temps de se réveiller…Mais les Français en sont-ils capables?…

      • Une émission sur « Toute l’Histoire » nous révèle que pendant la guerre de 14-18, les US s’en sont déjà mis plein les poches en nous vendant tout ce dont nous avions besoin, à tous les niveaux et avaient donc les moyens, à la fin de la guerre, de nous faire un prêt pour nous aider…Il en est de même aujourd’hui, nous sommes obligés de leur acheter tout ce que nous ne produisons plus et n’achetons plus…ailleurs… Puis ils vont nous proposer de nous « prêter »…à des taux… Bien joué les US! BRAVO!

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