[STRICTEMENT PERSONNEL] Une tache de honte

« Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes/Noirs de barbe et de nuit, hirsutes, menaçants… » Tels qu'ils figuraient sur la sinistre affiche rouge, l’affiche « qui semblait une tache de sang », qui se voulait infamante et qui n’était qu’infâme, l’affiche qui les clouait au pilori sous l’appellation d’armée du crime. « Communistes : pas français », martelait la Propagandastaffel. De fait, ils étaient communistes. Et de plus, étrangers, reconnus comme tels ou apatrides. Et juifs, de surcroît, pour la plupart, ce qui aggravait encore leur cas. Ils venaient de tous les coins de l’Europe mais, reconnaissants à la France où ils avaient trouvé asile, ils avaient rejoint la Résistance, plus précisément la branche étrangère des Francs-tireurs et partisans, la MOI, pour prendre part à la lutte contre l’occupant, pour la libération du pays. Ce pourquoi, condamnés à mort, ils furent fusillés au Mont-Valérien, le 21 février 1944.
Quatre-vingts ans, quatre-vingts ans jour pour jour, c’est le temps qu’il aura fallu pour que la France reconnaisse et honore à la mesure de leur courage et de leur sacrifice ces combattants volontaires. Quatre-vingts ans avant que les portes du Panthéon ne s’ouvrent aux cendres de Missak et Mélinée Manouchian, et symboliquement à leurs vingt-deux camarades. Quatre-vingts ans avant que ces soldats méconnus de l’armée des ombres ne rejoignent, sous les voûtes du monument dédié à la patrie reconnaissante, Jean Moulin, Simone Veil, Jean Zay et Pierre Brossolette. C’est chose faite depuis la semaine dernière, et c’est fort bien ainsi.
Que nous avons la mémoire courte !
La cérémonie s’est déroulée alors qu’à l’est du Vieux Continent, l’affrontement meurtrier et fratricide qui oppose la Russie et l’Ukraine nourrit et entretient un climat d’inquiétude, voire d’angoisse, et fait craindre le retour de la guerre. Ce qui fait dire et rabâcher aux commentateurs professionnels que nous sortons de près d’un siècle sans conflit. Français, une fois encore, que nous avons la mémoire courte ! Aurions-nous déjà oublié que, même si l’on a obstinément refusé aux « événements » qui se sont déroulés sur l’autre rive de la Méditerranée entre 1954 et 1962 la qualification officielle de « guerre », c’est pourtant bien le mot qui convient pour désigner les huit années sanglantes qui se sont soldées par la victoire politique du FLN et la séparation définitive entre la France et l’Algérie.
Soixante-deux années se sont écoulées depuis que les accords d’Évian ont entériné la défaite, non de nos armes, mais d’une colonisation condamnée par l’évolution du monde. Soixante-deux ans, et justice n’a pas été rendue à ceux qui, à nos côtés, ont lutté pour que l’Algérie ne tombe pas entre les mains d’une dictature obscurantiste, corrompue et xénophobe, pour que l’Algérie et la France restent un seul et même pays, ou le deviennent enfin. « Nul ne semblait vous voir, Français de préférence », écrivait superbement Aragon à propos des héros du groupe Manouchian. Mais les Français, sous la botte nazie, avaient l’excuse de la peur et l’alibi de l’oppression. Quelles circonstances atténuantes pourrions-nous invoquer pour excuser, pour expliquer, pour justifier, pour absoudre les conditions dans lesquelles nous avons abandonné, comme déjà en Indochine (encore pouvions-nous faire valoir que, là-bas, nous avions été militairement vaincus), à un sort atroce ou misérable tous ces Français de préférence, ces Français par la loi et par le choix, qui avaient adopté dans l’Algérie en guerre le parti de la France ?
L’amère patrie
Ils étaient plus de 240.000 qui avaient pris les armes, porté notre uniforme, suivi notre drapeau, cru à nos serments. 60.000 l’ont payé de leur vie, en général horriblement suppliciés. 80.000 qui ne devaient d’avoir survécu qu’à des initiatives individuelles ou à la désobéissance de quelques militaires indisciplinés et courageux ont découvert, parqués dans des camps de regroupement, le visage ingrat de l’amère patrie. Des autres on ne sait rien.
Deux statues, paraît-il, érigées dans le parc de la Butte-du-Chapeau-Rouge, inconnu des Parisiens, mais d’où l’on a, paraît -il, une vue imprenable sur la banlieue est, et trois plaques métalliques analogues à celles qui signalent le cabinet d’un médecin ou d’un avocat : à cela se limite l’hommage rendu par la France aux héros et aux martyrs qui ont commis l’erreur de vivre et de mourir pour elle… Quel reproche peut leur faire notre République autre que de s’être trompés et d’avoir été trompés par elle ? Entre mépris, indifférence et oubli, cet abandon, pour ne pas dire ce négationnisme, est une tache de honte sur notre honneur, une tache de sang sur notre drapeau.
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52 commentaires
Début des années 60 : en camp scout en Lozère pas loin de Villefort je me souviens avoir vu un village à l’origine abandonné et habité par des harkis et leurs familles ; ils faisaient pitié , complètement oubliés dans la montagne.
Voyez-vous, les affiches LFI m’ont tout de suite fait penser à celle dite de l’“Affiche Rouge“, même tendance à vouloir ostraciser l’adversaire.
Le fond de votre article est juste. Mais en Gaule il y a toujours un petit village qui résiste. Le 18 juin 2010, le nom du « Lieutenant Youssef Ben Brahim », ce « chef sensationnel » selon le général Bigeard (décoré par le général De Gaulle, titulaire de la médaille militaire, de la croix de la valeur militaire avec huit citations, dont trois à l’ordre de l’Armée, chevalier de la Légion d’honneur) a été donné par l’Armée de Terre à une promotion d’officiers formés à l’école d’application de l’infanterie (EAI) de Montpellier. À Montpellier, la cérémonie s’est déroulée en présence des fils et des filles de Ben Brahim, dont son fils, Akim Ben Brahim. Cet hommage à Youssef Ben Brahim avait été demandé par le général Bigeard. Non trop peu mais trop rare.
étrangement oublié par ce gouvernement,pour ne pas froisser un certain pays et une très grosse partie de la population.
Je crains que le panthéon ne devienne bientôt trop petit, et que par conséquent celles et ceux qui justement y reposent, s’y sentent un peu à l’étroit.
Avec ces malades de la « souvenance », tel Macron, non que je sois contre le « souvenir » et la reconnaissance de la patrie, évidemment que cela c’est nécessaire.
Mais comme Macron adore les geands spectacles mémoriels durant lequels il peut assouvir sa soif de grands shows, ou il peut déclamer pour surtout s’écouter parler à lui-même afin que lui aussi rester dans l’histoire…
Je crains que le panthéon ne devienne qu’une pâle copie des Galeries Lafayette où il se passe toujours quelque chose. Une forme de parc d’attraction du souvenir.
Peut-être est-il temps de dire stop à Macron l’autosatisfait, et de considérer d’autres formes du souvenir.
Tout à fait d’accord avec vous, Jack, on en a assez de toutes ces guignolades, dont tout le monde se fout. Un président digne de ce nom devrait s’occuper du présent et de l’avenir du Pays… Pour les commémorations, il y a le 8 Mai, le 18 Juin, le 14 Juillet et le 11 Novembre… c’est déjà pas mal, et surtout, c’est suffisant.
Le souvenir et la reconnaissance de la Patrie doivent aller à des patriotes ayant donné leur vie pour la France. Ce n’est pas le cas de madame MANOUCHIAN.
Si on analyse bien ce qu’il se passe aujourd’hui, nous pouvons dire que l’Allemagne et l’Algérie ont gagné leurs guerres puisque nous sommes soumis, têtes basses, à l’un et à l’autre.
Eh oui, l’Europe de Bruxelles n’est autre que la mouture moderne du IVè Reich. Il faut s’y faire!
Dans les manifestations de « Place d’Armes », Les Français de « préférence » marchent à nos côtés. Dans la grande manifestation Parisienne (L’autre ayant été interdite), l’un d’eux marchait avec nous, avec les larmes aux yeux… Honte à un pays qui ne prend pas soin de ses alliés mais qui dorlote ses ennemis… C’est le sort des vaincus qui l’attend…
Seul, « le camp du bien » est donc – oublié, bien entendu, le fameux pacte germano-soviétique -…honorable ! Normal, nous dira-t-on, la France, notre pays, ne s’étant caractérisée, en Algérie, que par un « crime contre l’humanité »…Conception particulière, dont le bienaimé FLN – régnant comme on le sait et comme le révélait bien certain « Hirak » – profite bien depuis plus de soixante ans en exigeant notre repentir permanent…
Il est bon de rappeler ces actes de courage, quand de nos jours être patriote, aimer son pays est désigné « d’extrême droite » ou pire ! Il faut déconstruire, détruire l’amour de la patrie et tout ce qui s’y rapporte ! On abat les statues, on crache sur le drapeau, on veut nous diluer dans une Europe de fonctionnaires, une Europe qui nous disait garantir notre prospérité et aussi la paix ! Force est de constater que ces promesses ne tiennent pas !
Je ne suis pas opposé à cette reconnaissance; mais n’oublions pas cependant que les » camarades » communistes ont été pro-allemand, avant l’attaque de la Russie par Hitler ! Les girouettes ne sont pas forcément toutes respectables, et les résistants de circonstance ne peuvent faire oublier les collabos de première heure !
Bastien-Thiry serait trop « incorrect », Savelli trop inconnu….Peut-être Hélie Denoix de Saint Marc, pour la prochaine entrée??? Sa famille refuserait peut-être des honneurs qu’elle pourrait juger incongrus.
Bonjour et un grand merci pour ce rappel infamant de notre lâche histoire. Tous ces grands officiers qui avaient abandonnés de façon atroce, les vietnamiens qui avaient combattu les rouges à leurs côtés, ces officiers qui ont tout fait pour sauver les harkis et tous ces hommes qui combattaient dans notre armée depuis si longtemps et sans lesquels la France n’aurait jamais gagné les deux guerres mondiales ni celle de l’Algérie. Ces officiers, rongés par le remord d’avoir du abandonner tous ces hommes fidèles, ont fait partie ensuite de l’OAS, désespérés. De Gaulle n’a jamais digéré qu’ils ne fussent pas exécutés. Les juges les admiraient pour leurs faits de guerre, pour leurs statures immenses. Pauvre petit peuple, malmené par les gouvernements, Pauvres exécutants qui ont convaincu ces soldats de se rallier, parce que De Gaulle leur avait juré, que JAMAIS, ils ne les abandonnerait.
Bravo. Mais qui se soucie aujourd’hui de cette VERITE ? Quand l’inculte de l’Elysée en personne insulte notre pays et son histoire… Merci, M. Jamet, pour nos harkis.
Très juste !
Tout ce qui est excessif est insignifiant.
ils étaient communistes , et donc à l’époque être communiste voulait dire être d’abord communiste avant d’être français , anglais , italien , espagnol … et la patrie mère était l’URSS , et puis il y a eu le pacte germano-soviètique , l’histoire est faite de nuances , il m’est difficile de les comparer à Jean Moulin et autres martyrs premiers de la Résistance .
De nos jour le communisme a été remplacé par l’islamisme , autre idéologie totalitaire , mais plus dangereuse , elle avance avec le masque d’une religion qu’elle est aussi , religion millénaire qui a essayé pendant des siècles de nous envahir par les armes , et qui réussi aujourd’hui avec l’immigration cheval de Troie.
Quant à l’Algérie , on a débarqué sur ce territoire en 1830 pour , pour effacer une dette commerciale, mais aussi pour libérer la Méditerranée des pirates arabo-musulmans , Alger était un port pirate , et les tribus berbères vivaient sous joug de l’occupation arabo-musulmane . notre colonisation devait cesser , imaginez une France de nos jours avec l’Algérie , plus du tiers de la population française musulmane , vous voyez le problème ?
DE GAULLE
« essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau.
Les musulmans sont des musulmans, les Français sont des Français. Si nous faisions l’intégration, mon village ne s’appellerait
plus Colombey-les-deux-Eglises, mais Colombey-les-deux-Mosquées. »
(Entretien avec Alain Peyrefitte du 5 mars 1959)
De Gaulle aurait du dire, non pas « mon village ne s’appellerait plus » mais » s’appellera Colombey les deux mosquées », car on y va direct.
Merci monsieur Jamet pour ce rappel historique auquel je me permets d’ajouter cette phrase du plus grand de nos militaires à mes yeux, je parle du Commandant Helie de Saint Marc: » Si on doit un jour ne plus comprendre comment un homme a pu donner sa vie pour quelque-chose qui le dépasse, ce sera fini de tout un monde, peut être de toute civilisation. »
… »à cela se limite l’hommage rendu par la France aux héros et aux martyrs qui ont commis l’erreur de vivre et de mourir pour elle… »
A cela se limite l’hommage rendu par la République serait plus juste : Même après tout ce temps, si nous nous sentons encore français, nous ne nous sentons toujours pas républicains .
Merci pour ce très bel article qui ne fait pas honneur à la France; cette guerre d’Algérie que nous n’avions pas perdue militairement est une tâche indélébile que nous a laissée le Gal DE Gaulle. Pourquoi a-t-il attendu 4 ans entre 1958 et 1962 avec de nombreux morts chez nos appelés et chez les harkis qui nous avaient fait confiance, pourquoi les avoir trahis et lâchement abandonnés, c’est misérable ! 2 de mes frères ont fait cette guerre en tant qu’appelés, l’un a été blessé au combat, il avait choisi de combattre avec les harkis et il était en première ligne; j’ai honte de ma France qui malheureusement s’enfonce chaque jour davantage dans le déclin !