Sursis ou sursaut : le FN sauvé par les classes populaires. Quelles leçons ?

Le Front national a donc été sauvé in extremis par une partie de ses électeurs. Avant tout par son électorat populaire, arraché à l’abstention. Parmi les dirigeants du FN comme parmi les bons observateurs de la vie politique, personne ne pariait sur plus d’un élu, Marine Le Pen, elle-même pas à l’abri d’un vote « de barrage ». L’élection de huit députés est donc, pour le Front national, un succès tout à fait inespéré. Quant à la vague Macron, elle est forte mais se limite à 350 élus et non 400 ou 450, comme prévu par beaucoup.

Pour la première fois depuis 1988, le FN aura plus qu’un ou deux députés, et sa présence à l’Assemblée ne sera plus seulement anecdotique. C’est un tournant, même si rien n’est acquis sur la durée.

Une chose est certaine : le FN doit son succès aux classes populaires. Ce sont elles qui l’ont sauvé, après un score modeste de 13 % au premier tour. Ce n’est pas principalement le Front du Midi qui a sauvé le FN, c’est surtout celui du Nord-Pas-de-Calais-Picardie.

Malgré l’abstention de 58 %, il est difficile de ne pas en tirer des conclusions. La ligne populiste et sociale du FN en sort renforcée. Oui, Marine Le Pen a eu raison de critiquer la nouvelle loi travail de Macron. Les huit députés, élus pour cinq d’entre eux dans la zone de force de Marine Le Pen, relativisent aussi les attaques contre « Marine la poissonnière ». Vulgaire ? Mais qui a dit "Les jeunes Français doivent avoir envie de devenir milliardaires" (Macron, janvier 2015) ? Nul ne conteste que Marine Le Pen a failli lors du débat de second tour. Nul ne conteste qu’elle n’a pas toujours eu la bonne hauteur de vue.

Cependant, y a-t-il aujourd’hui un seul homme politique qui soit Édouard Herriot, l’auteur d’un Philon le Juif : essai sur l'École juive d’Alexandrie tout en étant maire de Lyon ? Les temps ont changé. Marine Le Pen est de son temps. Comme Macron. Quant aux critiques de Marine, ont-ils une qualification professionnelle sérieuse comme la sienne, à savoir avocat ? Ont-ils amené un parti à 25 %, comme elle en 2014 ? On aimerait un peu plus de modestie.

Reste que si le FN a été sauvé d’une manière inespérée par une partie de l’électorat populaire, il importe de savoir pourquoi.

Relevons quelques points :

Le maintien du leadership de Marine Le Pen (qui aurait fait mieux ?).

La mise à l’écart de la sortie de l’euro comme objectif principal. Cette sortie sera peut-être inévitable, mais ce n’est pas un but en soi et il vaut même mieux l’éviter.

L’appel décomplexé de nombreux candidats FN écartés du second tour à voter La France insoumise (Mélenchon) pour manifester leur refus du libéralisme débridé de Macron, et le refus d’une Assemblée de godillots, les Peter Pan du Président. Pour le coup, que le FN soit au-delà du clivage droite-gauche est apparu d’une manière éclatante. Le point central était de refuser le mondialisme libéral qui détruit les peuples.

Ce qui est apparu avec ce second tour, c’est que la stratégie d’alliance entre classes populaires et bourgeoisie conservatrice, défendue (non sans talent) par Éric Zemmour et Patrick Buisson, ne marche pas. Elle ne correspond pas aux intérêts de la bourgeoisie, et celle-ci met toujours ses intérêts avant ses valeurs. La vraie question qui se pose au Front national est celle d’une alliance entre classes populaires et classes moyennes pour l’édification d’une économie post-capitaliste et démondialisée, et en vue d’une action politique au service du bien commun, Si cela était facile, ce ne serait pas drôle.

Pierre Le Vigan
Pierre Le Vigan
Écrivain, journaliste, juriste

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