La tâche du journaliste : converser ou agresser ? Non. Questionner…
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Laurent Delahousse a été suffisamment critiqué, et de manière étonnante puisque le corporatisme médiatique n'a pas sévi, pour que je prétende même rajouter une pierre infime à son procès.
Pourtant, je ne le quitterai pas tout à fait puisque son rédacteur en chef sur France 2, Jean-Michel Carpentier, est venu courageusement à son secours en le félicitant d'avoir "conversé" avec le président de la République plutôt que de l'avoir "agressé".
Cette alternative dépasse très largement le cas de Laurent Delahousse et permet une réflexion sur le journalisme français, notamment politique.
À condition qu'on laisse de côté le ridicule du propos périphérique de Jean-Michel Carpentier soutenant qu'il fallait de "l'audace, voire de l'arrogance" pour oser "converser" ainsi. Une touche parfaitement inutile apportée à une argumentation discutable mais révélatrice.
En effet, elle ne semble laisser le choix au journalisme, face au pouvoir, qu'entre une conversation ou une agression. Elle oublie ce qui fait le cœur de cette activité capitale pour la démocratie - si le narcissisme professionnel ne s'en empare pas abusivement - et qui est tout simplement l'aptitude au questionnement.
La démarche du questionnement est précisément ce qui devrait éviter à l'échange le caractère léger, futile, mondain de la conversation ou bien la roideur, la grossièreté, voire l'hostilité de l'agression. Elle impose de fuir une tranquillité, sérénité certes agréables mais qui ne garantissent nullement que la personnalité dont on attend beaucoup offrira des réponses sincères, non conventionnelles.
Et elle exclut la violence d'un rapport qui conduirait l'autre à un repliement sur soi ou à une révolte.
On a tout de même, face au président de la République, d'autres options que celles de la conversation aimable mais stérile ou de l'agression indélicate et contre-productive. Le questionnement, avec la forme courtoise qui doit être la sienne et la pugnacité intelligente et curieuse du fond, représenterait, s'il était vraiment pratiqué, le modèle d'un journalisme audiovisuel. Et j'ose dire qu'il pourrait être parfois utilement cultivé ailleurs.
Pourquoi se trouve-t-on le plus souvent confronté à une série d'incapacités, d'insuffisances ou de maladresses qui laissent l'auditeur ou le téléspectateur sur sa faim ou énervé, déçu ou frustré ?
Parce qu'il arrive que le journaliste soit si sûr de lui qu'il coupe en permanence celui qu'il doit écouter.
Si peu sûr de lui, si ignorant qu'il s'arrête à la première réponse au lieu d'obliger son invité à l'approfondir, la compléter ou la rectifier.
Parce que le langage et le vocabulaire sont parfois si mal maîtrisés qu'ils interdisent à ceux qui questionnent la division bienfaisante entre la politesse du ton et la fermeté de l'interrogation.
Si Laurent Delahousse aurait dû faire autre chose que converser et s'il s'est heureusement abstenu d'agresser, j'admets cependant bien volontiers la difficulté de la tâche du journaliste, à la hauteur de la grandeur de sa mission. Dans mon panthéon personnel et ma hiérarchie que le hasard des rencontres et des écoutes a créée, je place notamment au premier rang Patrick Roger (Sud Radio nous unit mais ne me prive pas de l'objectivité), Caroline Roux et Élizabeth Martichoux. Je n'ai jamais été enthousiasmé par les prétendues vedettes mâles de l'interview : j'ai en horreur qu'on n'écoute pas et qu'on ne soit pas loin de se croire le plus important dans l'échange, en questionnant puis en donnant ses propres réponses à ses questions, l'invité attendant quelques secondes de répit pour avoir sa chance.
Ce n'était pas rendre service à Laurent Delahousse que de lui faire croire qu'il avait été exemplaire. Et ce, d'autant plus qu'Emmanuel Macron ne lui aurait pas tenu rigueur d'accomplir un travail de vrai journaliste.
On ne converse pas, on n'agresse pas.
On questionne et c'est tout un art bien peu partagé.
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