Les classes populaires face au mépris des élites

Willy Hunting

Le géographe Christophe Guilluy, inventeur du concept de la « France périphérique », ne cesse d’alerter sur la grande fracture entre les catégories supérieures, qui bénéficient à plein de la mondialisation, et les classes moyennes et populaires, que l’élite considère comme beaufs, plus ou moins racistes, vulgaires, incultes, etc. En parlant, en 2018, des « gars qui fument des clopes et qui roulent au diesel », Benjamin Griveaux, ancien secrétaire d’État de Macron, exprimait parfaitement le sentiment de supériorité de classe qui règne à ce propos dans l’élite.

En vérité, les classes moyennes et populaires souffrent directement de la politique que mènent ces catégories supérieures depuis une quarantaine d’années. Elles ont vu leurs emplois disparaître ou se précariser en raison d’une mondialisation sauvage. Elles se heurtent à des problèmes (de logement, de tranquillité, de sécurité, etc.) causés par une immigration incontrôlée. Elles voient leur culture, leur mode de vie, leurs habitudes niés, méprisés, foulés au pied, par l’effet d’une idéologie « bobo », woke et élitiste.

Elles tentent, bien sûr, de se protéger, d’obtenir malgré tout une vie « décente ». Et quand la pression devient trop forte, elles essaient de se révolter : les « gilets jaunes » en furent une expression particulièrement représentative.

Mais lorsque ces classes moyennes et populaires constatent qu’elles sont impuissantes à améliorer leur vie, même par la révolte ouverte, lorsque le désespoir les envahit, il arrive à certains d’avoir la tentation de recourir à l’arme ultime. Et c’est ce que l’on peut constater, semble-t-il, dans l’attitude face à la vaccination.

Il existe, bien sûr, des raisons objectives de ne pas se faire vacciner : méfiance à l’égard des mensonges d’État, soupçons sur l’innocuité du produit, sentiment d’inutilité face à une maladie dont on aurait grossi les effets, etc. De même qu’il existe, en face, des raisons objectives de se faire vacciner : protéger sa santé et celle des autres, sortir des contraintes de l’épidémie, etc.

Mais on peut se demander si, chez certains « refuzniks » de vaccins qui appartiennent majoritairement à ces classes moyennes et populaires, au-delà même des raisons pour et contre la vaccination, il n’y a pas tout bonnement une forme d’action désespérée à l’encontre de ces catégories supérieures qui, en toute bonne foi sans doute, sont en train de les écraser et de les nier. Une réponse du berger à la bergère face à cette élite du pays qui, matin, midi et soir, prend sa plus grosse voix et tance les misérables avortons qui négligent ou refusent de suivre « la bonne voie ». Comment ne pas avoir la forte tentation de faire juste le contraire de ce que demande cette méprisante élite ?

Une certaine forme du refus de la vaccination amène irrésistiblement à penser à une réplique de Will Hunting. Dans ce film de Matt Damon et Ben Affleck, en 1997, le héros, Will, interrogé par le psychologue (Robin Williams) à propos des sévices endurés de la part de son père adoptif, raconte que celui-ci posait trois objets et demandait à l’enfant de choisir avec lequel il le frapperait. Will explique qu’il optait toujours pour l’objet le plus douloureux. Robin Williams lui demandant la raison de ce choix apparemment étrange (comme celui, chez certains, du refus de la vaccination, même éventuellement au péril de leur vie), Will répond tout de go et de façon réjouissante : « Pour le faire chier ! »

Alexandre Dumaine
Alexandre Dumaine
Journaliste, écrivain

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