Tapisserie de Bayeux : Guillaume le Conquérant au secours de Calais ?

L’avez-vous vue ? Moi oui, et j’en garde un souvenir ébloui !

Ce chef-d’œuvre de l’art médiéval, d’abord appelé Telle du Conquest (« toile de la Conquête »), puis Tapisserie de la reine Mathilde et enfin Tapisserie de Bayeux, est classé au registre Mémoire du monde de l’UNESCO depuis 2007.

C’est une chose incroyable, une gigantesque bande dessinée brodée au petit point sur une toile de lin vieille de 800 ans et longue de près de 70 mètres. Brodée dans les vingt années qui ont suivi la bataille d’Hastings, en 1066, la tapisserie de Bayeux est un dessin animé à la gloire de Guillaume le Conquérant, une gigantesque fresque relatant les hauts faits du duc de Normandie et sa conquête de l’Angleterre. On y voit hommes et animaux en mouvement, engins de guerre en action, navires à l’assaut des flots déchaînés, scènes de l’ordinaire des jours… et, pour peu qu’on tende l’oreille, nous parviennent même les échos de la grande bataille et ceux des ripailles d’après la victoire.

On trouve la première trace de la tapisserie dans l’inventaires des biens de la cathédrale de Bayeux, en 1476. Elle aurait alors été accrochée autour de la nef, chaque été, durant quelques jours, pour que les fidèles puissent l’admirer. Coutume à laquelle mirent, évidemment, fin les révolutionnaires, et c’est d’ailleurs un miracle si la tapisserie survécut au grand chambardement. On raconte qu’un fier à bras voulut en faire la capote d’un chariot quand un autre voulut la mettre en lambeaux pour décorer son char lors d’une quelconque fête de la Liberté, ou de la Loi, ou bien de la Fédération…

La tapisserie de Bayeux est, aujourd’hui, fatiguée et doit partir en clinique pour retrouver une seconde jeunesse, mais auparavant, notre sémillant président de la République a promis de la faire voyager : il a annoncé, mercredi, qu’il allait la prêter aux Anglais. En 2023, sans doute, le temps de lui apporter tout le soin nécessaire à ce retour sur ses terres d’origine, puisqu’on pense aujourd’hui qu’elle fut brodée non pas en Normandie mais à Canterbury, dans le Kent.

Madame Theresa May est aux anges, paraît-il. "C'est très significatif que la tapisserie vienne au Royaume-Uni […] nous ferons en sorte que le maximum de gens puisse la voir", a-t-elle déclaré devant le Parlement. À moins d’avoir l’esprit fort mal tourné, chacun semble y voir un geste visant à sceller les excellentes relations entre la France et le Royaume-Uni. Foin du Brexit, nos deux chefs d’État devraient annoncer, ce jeudi, "un programme d'échange d'œuvres" dont la tapisserie serait le fleuron. Sans allusion aucune à une trahison britannique (celle du méchant Harold) suivie d’une déconfiture (la bataille d’Hastings).

D’ailleurs, le député et président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des communes Tom Tugendhat a salué, là, "un geste diplomatique extraordinaire de la part du Président français".

De ce côté-ci du Channel, le médiéviste Pierre Bouet s’excite et commence à rêver. La Grande-Bretagne, dit-il à l’AFP, pourrait, en retour, nous prêter… la pierre de Rosette. Découverte par un soldat français en 1799, lors de la campagne d’Égypte, puis raflée au nez de Bonaparte, elle fut embarquée au British Museum en 1802 où elle est visitée à l’instar de notre Joconde… Et tant pis pour Champollion qui la déchiffra.

Bref, nous assistons entre nos deux pays à un échange d’amabilités qui, je le suppute, ne sont pas sans arrière-pensées. Peut-être Macron en appelle-t-il aux mânes de Guillaume le Conquérant pour sauver Calais de l’envahisseur ? Who knows… Il est passé par ici, il repassera par là, de Calais à Douvres et d’Hastings à Boulogne…

Toutefois, Messieurs les Anglais, ne tirez pas trop sur la toile de lin, elle pourrait craquer…

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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