Témoignage : « La nécessité de soigner sur place les personnes atteintes contraint les EHPAD à se changer en hôpitaux : une situation sans précédent ! »
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4.166 décès dans les EHPAD en France depuis le début de la crise : c'est le chiffre « officiel » au 9 avril. À prendre avec précaution puisque ce n'est que depuis le début de la semaine que le décompte des morts du Covid-19 dans les maisons de retraite a commencé. On se souvient de cette macabre découverte de corps sans vie abandonnés dans un EHPAD en Espagne, le 24 mars dernier...
Quelle est la situation dans nos structures d'accueil en France ? Le point avec Thibaut, directeur d'EHPAD
En temps normal, un EHPAD n’a pas pour vocation de soigner les personnes âgées mais de leur proposer un cadre de vie médicalisé. Quitte à ce que l’hôpital prenne le relais en cas de grave problème de santé. L’épidémie a radicalement chamboulé ce système d’accueil !
Non seulement les lourdes procédures d’isolement empêchent, désormais, les maisons de retraite de jouer leur rôle de cadre de vie pour les personnes saines – fini les repas en commun, les animations, les sorties, les conversations et autres activités si essentielles à leur équilibre ! –, mais la nécessité de soigner sur place les personnes atteintes les contraint à se changer en hôpitaux. Les résidents deviennent des patients, les animateurs désœuvrés s’improvisent soignants en renfort, l’administratif se colore de médical… Face à cette situation sans précédent qui exige de dépasser les métiers et rythmes habituels, la panique guette les équipes de chaque établissement contaminé : dans ma résidence, un tiers des salariés ont déserté leur poste et plusieurs autres ont perdu leurs moyens après la découverte des premiers cas de Covid-19 ! Ces premiers jours ont été les plus durs. Alors qu’il fallait adapter le plus vite possible notre structure à ce contexte inédit, nous nous retrouvions à manquer de personnel, de matériel, de compétences. Aujourd’hui, même si de nouveaux cas se sont déclarés entre-temps et que tous sont loin d’être guéris, la situation est plus maîtrisée.
On entend, ici et là, qu’au sein des hôpitaux français, le personnel manque de tout : matériel de protection, respirateurs et lits. Qu’en est-il des EHPAD, le personnel est-il mieux armé pour combattre l’épidémie ?
Pour lutter contre l’épidémie, un EHPAD a besoin de deux types de matériel : du matériel de protection (masques, blouses, gants…), qui empêche la propagation du virus, et du matériel médical (compresseurs, concentrateurs…), qui en traite les symptômes. Pour le matériel de protection, à renouveler très régulièrement, les besoins sont abyssaux : à titre d’exemple, pour dix personnes atteintes, il faut 150 kits de protection par jour ! Au début de l’épidémie, le manque était si cruel que nous étions souvent dans l’impossibilité de respecter les consignes de sécurité. Depuis, de nombreuses associations et collectivités territoriales travaillent activement à nous en fournir en quantité suffisante. Même si remplir ce tonneau des Danaïdes est un défi quotidien et que nos stocks nous donnent rarement une visibilité supérieure à trois jours, c’est un grand progrès ! Quant au matériel médical, il est très compliqué pour nous d’en obtenir : à l’heure actuelle, il n’est mis à notre disposition que de façon exceptionnelle et pour une durée limitée.
Il a fallu attendre lundi pour qu'Olivier Véran annonce une vaste opération de dépistage des infections au Covid-19 dans les EHPAD. Que vous inspire cette décision ? N’intervient-elle pas trop tard ?
Les opérations de dépistage ont été lancées dans de nombreux EHPAD dès le début de l’épidémie, donc bien avant l’annonce d’Olivier Véran. Mais elles sont entravées par deux problèmes majeurs, auxquels le ministre de la Santé n’a pas apporté de solution à ce jour : le manque de tests et leur fiabilité relative. Premier point : les tests sont distribués au compte-gouttes par les laboratoires, ce qui empêche toute réactivité. À titre d’exemple, pour tester l’ensemble de nos résidents présentant des symptômes (une dizaine), trois semaines ont été nécessaires ! Autant de temps perdu à œuvrer dans une incertitude néfaste… Second point : le moyen de dépistage actuellement utilisé est le test PCR, qui permet de déterminer si la personne est atteinte du Covid-19 à un moment t. Malheureusement, il présente une marge d’erreur beaucoup trop importante de 30 %, qui laisse planer un doute dangereux. Nous attendons avec espoir la mise en circulation du test sérologique : en détectant la présence d’anticorps dans l’organisme de la personne, ce dernier nous permettrait de lever sans crainte les procédures très lourdes de l’isolement pour les résidents immunisés, et par conséquent de concentrer nos efforts sur les résidents encore atteints. Nous gagnerions en certitude et en efficacité.
Entretien réalisé par Sabine de Villeroché
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