Tina Turner : la reine du rythm and blues est morte ? Vive la reine !

Samuel Braslow/Shutterstock
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Anna Mae Bullock n’est plus, partie à l’âge vénérable de 83 ans. Elle était plus connue sous le nom de Tina Turner. Sa vie ? Entre conte de fées et roman noir, tel que souvent, aux États-Unis. Née le 26 novembre 1939, dans le Tennessee, elle apprend à chanter à l’église, à l’instar de nombre de ses consœurs passées ou à venir. Puis tôt repérée par un certain Ike Turner ; lequel n’est pas exactement n’importe qui. En effet, on lui doit « Rocket 88 », sorti en 1951, qui peut être légitimement tenu pour le premier rock de l’Histoire, avec « That’s All Right (Mama) », du bluesman Arthur Crudup, créé en 1946, mais popularisé par Elvis Presley en 1956. Pas besoin d’arbitrage vidéo pour savoir que nous sommes en bonne compagnie.

Ce que doit possiblement penser la jeune Anna Mae Bullock, lorsque tombant dans les rets de son futur pygmalion. Elle a tout juste 18 ans. Il en fait tout d’abord l’une de ses choristes de prédilection, puis sa chanteuse attitrée. Et, enfin, sa maîtresse, puis son épouse. Le mariage sera célébré en 1962, dans un bordel de Tijuana, au Mexique ; c’est dire l’ambiance. S’ensuivent seize années de vie commune assez peu commune, qui ne prend fin qu’en 1978, suite à un divorce retentissant.

C’est la Belle et la Bête. La seconde a du flair, ayant vite repéré le papillon derrière une chrysalide ne demandant qu’à éclore. La première n’a que son énergie scénique, son charisme hautement sexuel, sa gestuelle éminemment érotique. La légende est lancée, emportant désormais tout sur son passage. Mais ce couple marche néanmoins de guingois. Le cerveau, c’est Ike. Mais celle qui attire les feux de la rampe, c’est Tina. C’est elle que le public veut voir et entendre, non point ce grand échalas, réduit à jouer les utilités, même si guitariste brillant et doublé d’un pianiste accompli.

Celui qui ne s’y trompe pas, c’est Mick Jagger quand, embarquant le duo en première partie de la tournée, millésime 1969, des Rolling Stones, avec l’acmé du concert donné les 27 et 28 novembre de la même année, au Madison Square Garden de New York. Il lui offre un surcroît de lumière, alors que Ike est condamné à demeurer dans l’ombre. Là, sa majesté, la reine Tina, explose le Proud Mary des Creedence Clearwater Revival, dynamite le I’ve Been Loving You Too Long d’Otis Redding et atomise le Come Together des Beatles. Tout simplement vêtue d’une robe taillée dans un timbre-poste, le tout au ras du bonheur, c’est son âme qu’elle dénude sur scène, tandis que tout le monde n’a plus qu’à aller se rhabiller.

Et monsieur Turner ? Déjà de plus en plus violent, il sombre peu à peu dans la cocaïne. Son talent est encore là, mais les bonnes manières, si l’on peut dire, n’y sont plus, n’hésitant pas à convier ses innombrables maîtresses jusque dans le lit conjugal. Il a beau y faire, sa créature lui échappe. Déjà, en 1966, il doit en rabattre quand son épouse entre en studio chez le producteur Phil Spector, encore plus ingérable que lui : les femmes, il ne les torgnolait pas, préférant les révolvériser ; ce qui lui valut de mourir en prison, le 16 janvier 2021. Là, il fait enregistrer à Tina Turner ce qui demeurera à jamais leur chef-d’œuvre commun : River Deep, Mountain High, échec commercial à l’époque et, depuis longtemps, devenu chanson plus que cultissime.

Puis la libération, le 4 juillet 1976, Tina Turner s’en va. Avec moins d’un demi-dollar en poche. Démonétisée, jugée ringarde par l’industrie du disque, elle ne remonte la pente que peu à peu, avant de connaître un come-back plus que spectaculaire, près de dix ans après. Elle emplit alors les stades, vend des disques par millions. Mais la musique est déjà polluée par des synthétiseurs envahissants, des boîtes à rythme ; bref, tout ce qui fera la laideur du son des années 80. Une rédemption comme les Américains les aiment, la preuve par ce film plus ou moins autobiographique, Tina (1993), de Brian Gibson. Non sans raison, Ike Turner estime n’y avoir pas tout à fait le bon rôle.

Il est vrai qu’en matière de mari modèle, on pouvait difficilement trouver pire. Mais, du temps de son règne dictatorial, au moins son épouse maltraitée enregistrait-elle de la bonne musique. Comme quoi, surtout en matière artistique, la vie est parfois plus complexe qu’il n’y paraît. Lucide, Tina Turner reconnaissait n’avoir jamais rien fait de mieux dans sa carrière que River Deep Mountain High. Nous sommes bien d’accord.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 26/05/2023 à 16:42.
Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

5 commentaires

  1. Bel hommage,mais je n’en attendais pas moins de votre part . Vous racontez la petite histoire mais sans jamais verser dans le pathos . Tina Turner c’est deux carrières l’une avec Ike et celle des années 80 plus bande FM. J’ai eu la chance de la voir à l’Olympia avec les ikettes dans les années 70 puis au Zénith lors de sa résurrection artistique. J’ai la faiblesse de la préferer dans la première comme certains préfèrent la période Brian Jones des Stones.

  2. Une grande dame s’en est allée. Un talent extraordinaire qui nous a fait danser, rêver. Une reine incontestable de la Soul Music. Un exemple du courage pour sa vie personnelle. Qu’elle repose en paix.

  3. On ne peut parler de Tina sans rappeler ses ascendances cherokee dont elle était si fière. Ses tempos de prédilection, (et ses pas de danse) sous le R&B, étaient souvent amérindiens (un vrai casse -tête pour le batteur) : elle évoque souvent Red Bones ou Credence clearwater. Elle aimait l’Europe, la France et était devenue mystique (bouddho-chrétienne).

  4. Ne pas citer « Come toghether » aurait été criminel ! Sinon, la « Foxy Lady » d´Hendrix, ce serait elle…

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