Toulouse, acte XXI : j’étais dans la rue avec Bernanos
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Une cheville broyée par un très vieil accident de moto m’empêchait d’être fidèle à ces rendez-vous en jaune. Mais la veille, deux vidéos en ligne m’ont convaincu de surmonter la douleur. D’abord, sur la chaîne Le Média, le témoignage de Marion, mère de quatre enfants violemment interpellée sur les Champs à Paris lors de l’acte XVIII et mise en garde à vue. La dignité de son témoignage force l’admiration. Ensuite, l’appel remarquable du père George Corneloup, seul prêtre qui, chaque samedi, est présent parmi les gilets jaunes en les soutenant par sa prière sans pour autant arborer le fameux gilet. En quatorze minutes d’une homélie pleine de douceur, ce jeune prêtre explique pourquoi tous les catholiques devraient être en gilet jaune.
Prenant mon courage à deux mains, nous nous trouvons très tôt, ma fille de 10 ans et moi, à la station Jean-Jaurès avec une grande bannière de papier jaune fluo où j’avais inscrit :
« Nous sommes
LA FRANCE CONTRE LES ROBOTS(-cops)
Pamphlet visionnaire écrit en 1944 par Georges Bernanos.
Extrait :
« Un jour on plongera dans la misère
des familles entières parce qu’à
des milliers de kilomètres pourra
être produite la même chose
pour deux centimes de moins à la tonne »
Très vite, nous devenons l’attraction des photographes car ma fille, sans rien me dire, avait fait sa propre pancarte, sur une chute de papier jaune elle avait inscrit :
«Mon papa manifeste pour moi et je lui en suis reconnaissante.
Vive les gilets jaunes !»
En attendant le départ de la manif, les conversations s’engageaient. Un Hollandais avec sa fille m’explique que ce qui se passe ici concerne l’Europe et le monde. Une jeune et jolie baba m’interroge : – C’est beau, votre texte, mais qui c’est, Bernanos ? Je lui explique. Un vlogueur m’aborde : je fais un direct, je peux vous filmer ? Et après l’interview, il lit tout haut le texte. Un jeune garçon fumant la pipe sorti de L’Homme tranquille, de John Ford, s’approche : – J’aime bien votre casquette. Et il me raconte sa vie. Compagnon du devoir, métallier, il travaille dur et a conscience de se battre pour son pays. Puis il me tend une fiole de sérum physiologique.
Malheureusement, il pleut de plus en plus fort. Ma bannière se disloque et ma fille est un peu ronchon. Nous rentrons et, au retour, à l’angle de la place Rouaix, un cordon de véhicules et de gendarmes protège les beaux quartiers et la préfecture.
Une dame d’un âge certain passe devant un très jeune gendarme et lui crie : – Bravo, jeune homme ! Bon courage, et surtout merci !
Et à moi : – Et je sais ce que je dis. Mon fils est militaire.
Moi : – Mais Madame, ces gens, là-bas, ne sont pas des terroristes.
Et la dame s’en va en vitupérant. Tout le temps de cet échange, le jeune gendarme nous fixait des yeux, ma fille et moi. Je croise son regard plein d’une insondable détresse, il semblait tétanisé.
Je repasse ces événements avec des sentiments mélangés. La joie des échanges avec des gilets jaunes et la tristesse pour cette dame de la bourgeoisie toulousaine et tristesse pour ce jeune gendarme qui semblait être du mauvais côté de la barrière.
Tristesse de voir une fracture entre deux mondes s’accentuer de samedi en samedi.
Ce samedi, il a beaucoup plu sur Toulouse.
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