[Tribune] « Couple franco-allemand » : quand la paresse intellectuelle tient lieu de réflexion géopolitique

MACRON SCHOLZ

Ces derniers jours, la presse s’alarmait de la dégradation du « couple franco-allemand » supposé être le moteur de l’Europe. Notons d’abord que cette expression « couple franco-allemand » n’est que française. Elle n’est pas usitée outre-Rhin, comme s’il fallait se défier de toute dimension affective dans les relations interétatiques. Comme le disait Charles de Gaulle, « les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».

La réconciliation franco-allemande a été un impératif du général de Gaulle, scellée par le traité de l’Élysée du 22 janvier 1963, après près d’un siècle de rivalités et de guerres. Ce texte prévoyait une coopération en matière d’affaires étrangères, de défense et d’éducation et de jeunesse, dans un contexte géopolitique très différent du nôtre. Outre la volonté de réconciliation, il fallait aussi arrimer l’Allemagne, dont la puissance économique s’était relevée très rapidement depuis la guerre, à la France, qui compensait sa faiblesse économique relative par sa puissance militaire et nucléaire. Le fondateur de la Ve République n’était pas un sentimental mais un réaliste. Il recherchait un équilibre entre les deux puissances majeures de l’Europe d’alors mais, en homme de sa génération, connaissait trop bien les vieux démons germaniques.

Lors de son voyage triomphal en Allemagne de septembre 1962, il n’avait pas hésité à dire aux jeunes Allemands devant lesquels il s’exprimait : « Vous êtes les enfants d’un grand peuple. Oui, d’un grand peuple, d’un grand peuple qui, parfois au cours de son histoire, a commis de grandes fautes et causé de grands malheurs, condamnables et condamnés. » Certainement une réelle estime pour le peuple allemand, mais aussi une grande lucidité.

Les élargissements successifs de l’Union européenne auraient dû conduire à sortir de la relation hypnotique avec l’Allemagne sans pour autant la négliger, pour jouer un rôle de pont entre l’Europe méditerranéenne et l’Europe du Nord puis de l’Est. Notre position géographique, notre culture, notre langue auraient dû nous y conduire naturellement. Au demeurant, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce et même la Roumanie nous attendaient. En vain. La paresse intellectuelle tient parfois lieu de réflexion et l’on répétait, comme un leitmotiv : « Le couple franco-allemand est le moteur de l’Europe. » C’était enseigné à Sciences Po, à l’ENA et dans nos universités, et personne ne se serait risqué à des propos « hérétiques » en la matière.

Or, l’Allemagne, comme toute nation, n’a pas d’amis mais des intérêts. Et a pris l’habitude de prendre des décisions aux répercussions importantes pour l’Europe sans trop s’embarrasser de concertation, dans un esprit bien éloigné de celui du traité de l’Élysée. Il serait possible de citer pêle-mêle la reconnaissance unilatérale de l’indépendance de la Croatie, l’arrêt de l’énergie nucléaire, l’accord sur Nord Stream 2 avec la Russie, l’attitude à l’égard des « pays du Club Med », et notamment de la Grèce, le « Willkommen » aux réfugiés de Mme Merkel… Autant de politiques allemandes qui eurent des impacts forts sur le reste de l’Europe jusqu’à des risques de déstabilisation.

Il pourrait être aussi souligné que la politique monétaire et commerciale de l’Union européenne - parler de politique industrielle serait un abus de langage - a eu pour effet, si ce n’est pour objet, de favoriser l’industrie allemande et de son arrière-cour d’Europe centrale au détriment des industries de l’Europe du Sud. Voitures, grosses berlines, machines-outils, chimie au détriment du textile, de la chaussure, du cuir ou du bois, notamment par le jeu de la clause de la nation la plus favorisée accordée à beaucoup de pays émergents.

La question n’est évidemment pas de prendre ses distances avec l’Allemagne mais d’équilibrer les relations par d’autres coopérations fortes. Le dialogue étroit et trop exclusif avec l’Allemagne porte la marque d’une autre époque, celle des communautés européennes, de la guerre froide et des nécessités de la réconciliation après trois conflits cruels en soixante dix ans. Nous vivons dans un autre monde. Le rêve français d’une Union européenne autonome des États-Unis est un leurre. L’Allemagne n’en veut pas, pas plus que la plupart des États membres, et ses choix d’armements, à l’heure où elle veut reconstituer une armée puissante, ne trompent pas.

La paresse intellectuelle de notre haute administration et de notre classe politique, si intimement liées, réduit notre politique européenne à ce « moteur » franco-allemand, désormais si déséquilibré. Pour filer la métaphore mécanique, rappelons que lorsque le terrain est chaotique, il est préférable d’avoir quatre roues motrices plutôt que deux !

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Stéphane Buffetaut
Chroniqueur à BV, élu de Vendée, ancien député européen

Vos commentaires

25 commentaires

  1. « La paresse intellectuelle de notre haute administration et de notre classe politique, si intimement liées… »
    La seconde étant majoritairement composée de la première, comment s’étonner qu’une France dirigée par des fonctionnaires ait pu s’effondrer au niveau qui est le sien aujourd’hui…

  2. Macron s’en moque de la France il est la pour tout casser ..servir et obéir pour son propre intérêt ..quand aux allemands ils seront toujours identiques à eux mêmes …et travaillent pour eux ..seul un zozo peut croire à autre chose .

  3. La « paresse intellectuelle »… Le terme est bien faible ! Pour ma part je parlerais putôt de cécité, d’incapacité à raisonner selon la géopolitique évolutive et la négation idéologique de cette magnifique phrase du Général « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts » ! Comment se fait-il que tout enseignement, Science-po ou ENA (ou substitut) ne partent-ils pas de ce postulat, de cet axiome qui résume si bien ce que devrait-être une politique internationale ? Les sentiments n’ont rien à faire en politique, surtout en géopolitique.

  4. Avec Hollande, je pensais que nous avions atteint le fond. Finalement nous avons un clone en plus élégant. Pourtant Macron semble plus intelligent, alors quelle est sa feuille de route, pour qui roule-t-il pour refuser de défendre les intérêts des Français ?

  5. La France donne des milliards d’euros par an à l’Europe pour que les allemands achète des avions de chasses Américains comme les polonais et bien d’autre.
    La France elle, achète les fusils d’assauts aux Allemands.
    Elle est belle l’Europe !

  6. Aïe aïe aïe ! têtu les médias !
    Le couple Franco Allemand,d n’existe pas et n’a jamais existé seulement chez les politicards Français.
    Les Allemands roulent exclusivement pour eux et ils ont bien raison.

  7. Après la réunification, l’Allemagne a cru qu’elle n’avait plus de partenaire à sa mesure en Europe et s’est jetée dans les bras des USA par peur de la Russie. Résultat : un continent vassalisé.

  8. La paresse intellectuelle ou la bêtise crasse? Personnellement, j’ai ma petite idée, mais je ne veux pas influencer…

  9. Il est grand temps de stopper toute « coopération franco-allemande » et toute l’ingérence d’une allemande n’ayant AUCUNE légitimité démocratique à savoir vonderlayen !
    A l’image de ce qu’a fait miss borne et la moitié de son gouverne-et-ment en Algérie dernièrement, macron se couche régulièrement devant les allemands et les mondialistes. Sarkozy a mis « en lumière » toute la soumission des dirigeants français ( référendum ) qui ont dilapidés toutes les industries nationales et par ruissèlement la souveraineté du peuple français.

  10. Les Français ont un complexe d’infériorité vis à vis de l’Allemagne. Combien de fans de bagnoles crachent sur les modèles français pour vanter les modèles germaniques ?
    Quand les Allemands ont décidé de sortir du nucléaire, nous avons choisi de les imiter.
    Quand la gauche allemande s’allie avec les verts, nous trouvons ça super et notre gauche, suivant les conseils de Cohn Bendit, en fait autant, quitte à y perdre son âme.
    Ce n’est pas nouveau : Marc Bloch dans « l’étrange défaite » dénonçait déjà la fascination de Pétain pour l’Allemagne !
    Que la gauche m’excuse pour ce rappel aux « heures les plus sombres ».

  11. >>> Les élargissements successifs de l’Union européenne <<<
    Bonjour à l'auteur, compliments !
    Me permettrez-vous d'ajouter qu'en réalité, ces "élargissements successifs" n'auraient jamais dû avoir lieu, du moins au moment et dans les conditions où ils ont été réalisés.
    Toute création d'ensemble économique international ne peut être viable et gérable que dans la mesure où cet ensemble est constitué :
    – de nations dotées d'un minimum de compatibilités sur les plans culturels, humains, politiques et économiques !
    – de nations libres et indépendantes de toute hégémonie extérieure à l'ensemble.
    Or il est clair que l'actuelle "contre-europe" à vingt-sept ne correspond en rien à ces critères !
    S'il en fallait une preuve, la sortie de l'Angleterre, quelle qu'en les tenants et les aboutissants suffirait à elle seule à l'apporter !
    Cette situation contient en germe tous les éléments d'un drame et les grandes manœuvres mondialistes en Ukraine et quelques autres lieux représentent le dernier avertissement qui nous en est donné !

  12. Avec De Gaulle il y avait des capitaines d’industrie, mais depuis on n’a pas cessé de dilapider l’héritage et laissé l’Allemagne conforter son industrie et aujourd’hui se réarmer tandis qu’on utilisait nos effectifs militaires pour réajustement du budget. Peut-on parler de traitrise?

  13. «  moteur franco allemand «  c’est beau , c’est joli , ça sonne bien surtout dans le domaine de l’armement. Au fait c’est l’Allemagne qui fournit maintenant les fusils d’assaut HK aux troupes françaises , pourtant la coopération entre les 2 armées a bien fonctionné. Rappelons nous l’avion de transport C 160 Transall de conception franco allemande , l’avion était allemand mais la peinture française comme nous disions a l’époque à la 11DP …

  14. Heureusement que la France a porté quelques projets communs ambitieux, par exemple Ariane.
    Les Allemands : aucun.
    C’est dire leur envie de partager … les Allemands restent les Allemands, des gens avec un instinct dominateur.

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