[Tribune] Euthanasie : il y a tant de choix possibles !

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La défense de la vie et de la dignité humaine est, à nos yeux, une question de principe. Mais cela ne doit pas pour autant nous empêcher de porter un regard compatissant sur les personnes que la maladie, la souffrance ou l’isolement conduisent à une détresse tellement insupportable qu’elles voient la mort comme une solution. Notre humanité exige que, tout en restant attachés aux principes qui ont fondé et structuré la civilisation européenne, on prête attention à cette souffrance. Il ne sert à rien de s’agiter en criant « dignité ! dignité ! » face aux promoteurs du suicide assisté qui eux-mêmes s’agitent au nom du même slogan : « dignité ! dignité ! »

Bien sûr que nous sommes pour le droit à mourir dans la dignité, qui ne le serait pas ! Mais la gravité de ce débat nous oblige à dépasser ce sophisme malhonnête. La dignité n’est pas ici un principe incantatoire – en tout cas ne devrait pas l’être. Elle est d’abord le fruit de dispositions pragmatiques : que proposons-nous concrètement pour accompagner les personnes en fin de vie ? Quelle chance ont-ils de pouvoir intégrer un établissement de soins palliatifs adapté à leurs besoins ? Comment leur permettons-nous de rester auprès de leurs proches ? Voilà les questions qui émergent du réel, du concret de la vie quotidienne des personnes confrontées à la maladie ou à l’angoisse du grand âge. Les défenseurs de l’euthanasie semblent ne pas vouloir se poser ces questions de moyen terme et sautent directement à la conclusion par idéologie. Pouvoir décider de l’heure de sa mort serait le summum de la dignité humaine, l’ultime conquête du genre humain sur la maîtrise de son destin.

Pourtant, de nombreuses possibilités existent et il est plus que regrettable que les réflexions sur ce moment crucial de la vie se focalisent autour de l’euthanasie. Beaucoup de solutions alternatives ont d’ores et déjà été proposées par les acteurs impliqués sur cette question. Il suffirait, d’ailleurs, de commencer par appliquer la loi Claeys-Leonetti. Aujourd’hui, vingt-six départements français ne disposent pas d’unité de soins palliatifs et les deux tiers des patients qui en auraient besoin n’y ont pas accès, selon Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Pourquoi ne pas commencer par là ? Dans les conditions actuelles de l’offre de soins palliatifs, les termes du débat sont structurellement faussés. Comment s’étonner que, dans ce contexte, le regard des Français se tourne vers l’euthanasie ? L’absence de mise en œuvre des dispositifs présents dans la loi en faveur du développement des soins palliatifs est une faute lourde de conséquences. Elle conduit l’opinion publique à considérer l’euthanasie comme une solution, simplement car on leur laisse à croire qu’il n’y en a pas d’autre qui soit raisonnable.

Le grand argument en faveur d’une nouvelle loi sur l’euthanasie est que les Français la demanderaient. Preuve en serait le sondage d’avril 2021 selon lequel 93 % des Français considèrent que la loi devrait autoriser les médecins à donner la mort à des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent. Mais ce sondage devrait avant tout alerter les pouvoirs publics sur le fait que les Français ne connaissent pas le contenu de la loi en la matière. Il serait donc utile et sage, en plus de développer les structures de soins palliatifs, de communiquer sur l’état de la loi. Plus fondamentalement, il est nécessaire de faire connaître la culture palliative non seulement auprès du grand public mais aussi des soignants dont la formation sur ces sujets devrait être encouragée. L’une des grandes qualités de ce gouvernement est sa capacité à (sur)communiquer sur son action. Que n’emploie-t-il pas ses compétences à faire connaître l’efficacité des méthodes palliatives et le dévouement des soignants qui s’y consacrent. Qu’il sensibilise comme il sait le faire par des campagnes d’affichage, par des messages institutionnels dans les médias ou par de la documentation pédagogique mise à disposition du public.

On sait, par ailleurs, combien le fait d’être entouré des gens qu’ils aiment conditionne l’état des malades et des personnes âgées quand approche la mort. Au fond, on retrouve ici la question transversale à tous les mal-être français : celle des liens sociaux. Notre société souffre de son atomisation, de son isolement structurel. La société liquide n’a rien produit d’autre qu’une vague d’isolement et d’anxiété. Si les méfaits de l’individualisation de nos modes de vie sont évidents pour chacun d’entre nous, combien plus ceux qui subissent la barrière supplémentaire de la souffrance et de la maladie doivent-ils être entourés. L’État devrait donc aider financièrement et matériellement la prise en charge à domicile des patients qui le peuvent et le souhaitent.

Nous aurions, enfin, tout à gagner à donner davantage de moyens à la recherche scientifique contre les maladies dégénératives. Cela se ferait bien entendu au bénéfice des malades qui pourraient ainsi accéder à davantage de solutions thérapeutiques, mais aussi à la société française en générale où se multiplient les maladies chroniques et dégénératives avec l’ensemble des dispositifs lourds et coûteux que cela entraîne.

Mais voilà, malheureusement, ce n’est pas avec ce genre de mesures que l’on attire la lumière. Il est pourtant parfois sage de savoir rester dans l’ombre. Comme on le dit parfois, le bien ne fait pas de bruit.

Jean-Frédéric Poisson
Jean-Frédéric Poisson
Ancien député des Yvelines, président de VIA - La Voie du Peuple

Vos commentaires

36 commentaires

  1. Sondage : « 93 % des Français considèrent que la loi devrait autoriser les médecins à donner la mort à des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent. »
    Mais si la question posée était « Préférez-vous agoniser des semaines dans des souffrances atroces, ou en finir rapidement ? », ce n’est pas très étonnant…

  2. Il me semble que si je mourais j’aimerais avant tout qu’on me f… la paix. Pas de famille, pas de pleureuses, merci. On verra bien.

  3. « le droit à mourir dans la dignité » c’est le droit d’avoir un câlin même si on est décharné, que l’on ne sent pas la rose et qu’on a besoin de soins..
    C’est le droit de voir de l’amour dans les yeux de la personne qui se penche sur nous.
    Lors de mes cours avec Emmanuel Hirsh (et non martin!) il nous disait : « une personne est digne de vivre jusqu’à la dernière seconde de vie ».
    En quoi la maladie, la vieillesse, la souffrance, le handicap est une indignité?
    D’autant que, si on soigne la douleur Totale, la personne non seulement ne souffre plus physiquement (encore faut il donner autre chose que des brouettes de doliprane!), mais ne souffre plus psychologiquement socialement, spirituellement (oui, je sais, c’est un gros mot et certains de mes élèves voulaient que je dise douleur existentielle!)
    Mais voilà, c’est mieux pour l’entourage de faire disparaître en les tuant, ceux qui leur montrent, par leur propre souffrance, que la vie n’est pas un long fleuve tranquille sans souffrance.Savent ils s’ils ne souffriront pas dans l’au delà?

  4. L’euthanasie est une bonne mesure à prendre ! Je peux le dire en toute sincérité car je voudrais qu’elle me soit appliquée si il m’arrivait d’être dans l’impossibilité de mettre fin à ma vie en cas de maladie ou de handicap lourd ! Dans les pays où cela est possible il n’y a pas d’abus , alors pourquoi pas en france ???

  5. Avant tout il faut des services de soins palliatifs ou accueillir ces personnes en souffrance dans des conditions dignes de ce pays des droits de l’homme .Pour tous les sujets on en revient toujours au même point : volonté de détruire du gouvernement , manque de moyens financier et humain , argent détourné , cout des élus et ex élus .Virer ces incompétents et redresser ce pays .

  6. J’aimerais qu’on m’explique : on nous enjoint de pratiquer une ascèse rigoureuse, pas de sucres, pas de graisses, pas de plats mijotés, pas de charcuterie ni de fromage, et surtout pas d’alcool, bref rien de tout ce qui fait les petits plaisirs de la vie, ainsi nous ne serons pas malades et nous vivrons plus vieux. Et « en même temps », l’euthanasie ?

  7. On peut donner tous les moyens du monde a la recherche scientifique, cela n’empêchera nullement la survenue du problème de la fin de vie !
    Les malades en fin de vie ont besoin de soins et d’ amour. On peut relativement facilement acheter les soins ( mais beaucoup rechignent à payer, préférant exercer leur pouvoir d achat ailleurs). Reste le gros problème de l’ amour.

  8. Si Un malade en fin de vie , souhaitant mourir (légitime en cas de souffrance insupportable) entendrait cette simple phrase d’amour: reste encore un peu avec nous ! Cette ladite phrase ne ferait-elle pas réfléchir la personne et renoncer à l’euthanasie ? Ne serait-ce pas le meilleur moment pour dire tout notre amour, notre affection et lui apporter la paix
    Quand j’étais malade, le simple fait de tenir la main d’êtres aimés, me faisait un bien fou, m’apaisait, me rassurait ! Mais je reconnais qu’il est difficile, délicat de trancher en faveur ou contre l’euthanasie , pourtant la loi Leonetti est bien faite

  9. Les idéologies toujours !
    Une personne qui est Pour l’IVG et Contre l’Euthanasie est incohérente !!!! et à plus forte raison en ce qui concerne le Suicide assisté !

    Dame Nature permet à chacun de choisir (sauter du balcon pour le suicide ou dans l’escalier pour l’IVG) avec les résultats parfois catastrophiques qui ont permis à Simone Veil de faire passer sa loi.

    Le Suicide Assisté devrait possible et encadré (comme l’IVG)

    (Une autre incohérence: Tolérer la Viande Halal et vouloir interdire la Corrida !)

    • Bien sur : tellement plus facile que ce soit une infirmière ou un médecin qui pousse la seringue, hein.
      Si quelqu’un veut se suicider, c’est son choix, OK.
      Qu’il impose au personnel soignant de devenir un meurtrier, non!
      Peur de la vie et peur de la mort en même temps.

  10. Pour y avoir été confronté au plus près, je n’ai pas d’opinion claire sur le sujet. Pour celui qui reste en vie et qui se doit de respecter la décision de mourir de la personne qui souffre la violence de la décision est terrible. On n’est plus au cinoche de la vie là les beaux sentiments s’envolent et le coup a l’affect étouffe et dure. C’est la mort pour de vrai. C’est pas véranda à la télé.

  11. Personnellement mon incomphésion demeure,car enfin,une personne en soins palliatifs est en »chemin de fin de vie »,donc pour ceux qui le souhaite,en font voeux,le désire,qu’es-ce qui retient que cette personne soit entendue non seulement mais comprise dans sa volonté de choisir le terme,la fin de sa vie sans que ces politiques qui apparemment en savent plus que quiconque,si cette personne doit vivre ou selon sa volonté, mourrir?A quoi cela sert il de rester des jours et jours alité sur un lit de soins dit palliatifs,sachant que de toutes façons c’est la fin?Ah,oui,bien sur,il y a le rapport services/ »rendement »/crédits,emplois…etc .Il ne s’agit pas de euthanasier,ou tuer,mais permettre a qui le souhaite compte tenu de ce qui lui reste a vivre en ???bon etat,et bonne condition (quoique passer ses derniers jours/semaines sur un lit d’hopital n’a rien de vraiment agréable)de partir,et donc de lui en permettre le/les moyens indépendemment de volonté de faire durer une vie qui de toutes façons se terminera.Aprés,c’est a la ,personne de faire usage ou pas du moyen.

    • « A quoi cela sert il de rester des jours et jours alité sur un lit de soins dit palliatifs, sachant que de toutes façons c’est la fin? »
      Comme l’aurait dit l’une de mes patientes en fin de vie après un AVC = « je remercie Dieu de m’avoir rendue handicapée sur ce fauteuil. Cela me permet de prendre le temps de prier pour tous ceux qui sont malades « .

      Ceci dit, à quoi cela set il de vivre ou d’avoir des enfant, puisque, de toute façon, à la fin on meurt.

    • Pas très clair mais bon, sur le fond, je suis entièrement d’accord : passer ses derniers jours à l’hôpital n’a rien d’agréable (sauf si le prince charmant vient vous rendre visite avec sourire et oreilles grandes ouvertes). Les politiques et autres administratifs (pseudo – psychologues , infirmières et toubibs aux ordres) n’ont pas à se mêler de ça (sauf pour administrer morphine ou calmants non sédateurs) . L’important est le mot  » comprendre », au-delà d’écouter ; Et ça, c’est de l’ordre du  » gap » culturel, quand on sait que, même après 16 ans d’études, un toubib confirmé n’a toujours pas assimilé ses cours de 1ière année en éthique…

  12. Charles Prats a révélé il y a quelques mois qu’il y avait 50 milliards de fraudes à la Sécurité Sociale … »Cash investigation » vient de dévoiler les millions de fraudes commis par les professionnels de santé, sans bien évidemment évoqué les fraudes dues à l’émigration, tant il est plus facile de révéler les turpitudes commises par les français !!!
    Aucune volonté de la part de ce gouvernement de changer les choses, alors que le budget concernant la Sécu pour 2023 est en baisse, comme l’a révélé courageusement N. Dupont-Aignant !!! Une honte !!!

  13. Très bonne analyse.
    Mais faisons bref.
    >>> il y a tant d’alternatives ! <<<

    C'est vrai. Et pour commencer, le ministère de la Santé, de concert avec l'Ordre des médecins pourrait, par exemple, anticiper la période difficile de la fin de vie en restaurant le système de Santé français dans ses qualités professionnelles reconnues des années 60 ainsi que les remboursements de Sécurité Sociale de la même époque, c'est-à-dire 100% !
    Les Français peuvent d'ailleurs mesurer l'importance effective attachée au respect des patients, et notamment des patients âgés, tant par les autorités gouvernementales que par une partie du corps médical, à l'aune de l'usage qui a été fait du numerus clausus et de ses propres "soins palliatifs" aménagés depuis sa suppression annoncée !

  14. Je suis pour; bien sur en respectant des conditions. On s’inspire de la Belgique. Avis d’un collège de médecins , avis de la famille , souhait clairement exprimé par le malade, droit des medecins à refuser de faire l’injection létale . Les unités de soins palliatifs ne sont pas encore très répandues . un de mes cousins est mort de la suite d’une tumeur au cerceau, tout ça dans des douleurs insupportables , pas de soins palliatifs, malade attaché sur son lit qui attend la fin et qui souffre malgré la morphine . C’est aussi ce qui se passe de nos jours !!!

  15. Le fait qu’une large majorité se prononce en faveur de la modification de la loi dans le sondage cité est effectivement lié pour une bonne part à une méconnaissance de la question, l’euthanasie ou le suicide assisté étant vu comme la seule solution pour soulager des souffrances intolérables. Pour preuve, d’autres enquêtes auprès du public directement concerné par la question (soignants, intervenants en soins palliatifs, … ) donnent plutôt des résultats contraires. L’expérience de ceux-ci montre en effet que la demande d’euthanasie des patients en fin de vie est dans la plupart des cas une demande de ne plus souffrir, le désir de mourir disparaissant alors lorsque la souffrance peut être soulagée par des soins adaptés permettant précisément une fin digne.

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