[TRIBUNE] La malédiction sécuritaire française

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Après plusieurs semaines d’attente et d’atermoiement, la France hérite enfin d’un nouveau gouvernement. Principalement constitué, sous l’autorité de Michel Barnier, de personnalités issues des groupes LR et macroniste, le nouvel exécutif a la particularité de ne représenter qu’une faible minorité des Français. Ainsi - c'est une première sous la Vème République -, le pays est-il condamné à naviguer à vue tout en croisant les doigts pour qu’aucune tempête ne vienne chambouler le fragile édifice institutionnel concocté par Emmanuel Macron.

La question sécuritaire, qui reste la grande préoccupation des Français, n’échappe pas à la cacophonie généralisée qui s’est installée depuis plusieurs années. Ainsi, après le couple improbable « Darmanin-Dupont-Moretti », les ministères de l’Intérieur et de la Justice se voient-ils affublés de titulaires tout aussi incompatibles que les précédents. Certes, avec son slogan « de l’ordre, de l’ordre, de l’ordre », Bruno Retailleau (LR), nouveau locataire de la place Beauvau, a-t-il tenté de marquer sa volonté et son territoire. Mais aussitôt, Didier Migaud (PS), le nouveau Garde des Sceaux, s’est empressé de rappeler « l’indépendance de la justice », coupant court ainsi à toute tentative de rapprochement  entre les deux ministères. D’ailleurs, les Français ne s’y sont pas trompés puisque, dans une large majorité, ils déclarent ne rien attendre de positif dans la lutte contre l’insécurité dans les mois ou années à venir. Du moins, dans ce contexte.

Un "ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien"?

Ainsi, condamnés à rester, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, sur le terrain de la communication, Macron et Barnier ont-ils décidé de nommer un ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien. Et c’est Nicolas Daragon, maire LR de Valence, qui se voit chargé de cette délicate et épineuse question. Si l’implication de M. Daragon dans la lutte contre l’insécurité dans sa ville de Valence ne fait aucun doute, cette nomination pose néanmoins deux questions essentielles. Tout d’abord, celle de savoir comment et pourquoi ce qui s’avère être une question principalement technique et opérationnelle peut être placé sur le terrain politique. La sécurité du quotidien est en effet un concept global qui fait nécessairement appel à l’élaboration d’une stratégie d’envergure impliquant de multiples acteurs et nécessitant des interventions combinées. De ce fait, il apparaît clairement que le plus à même de conduire une telle mission est le directeur général de la police nationale puisqu'il dispose de tous les leviers et de toutes les ressources nécessaires à sa mise en œuvre. Le déplacement d’une telle compétence ne peut donc, à terme, qu’affaiblir structurellement une institution policière qui n’a pas besoin de cela en ce moment.

Second aspect des choses, la tendance observable depuis plusieurs décennies qui consiste à confier aux politiques la gestion de dossiers éminemment médiatiques aboutit à une déresponsabilisation des filières techniques et professionnelles. Ainsi, il fut une époque où dès qu’une question sociétale se posait, il s’en suivait souvent la nomination d’un préfet ad hoc chargé de régler la question. Aurions-nous franchi un nouveau cap pour qu’aujourd’hui un ministre doive être systématiquement désigné pour répondre aux attentes élémentaires des citoyens ?

Tout et son contraire

Nul n’est dupe bien entendu de la dimension communication que revêt un tel comportement. A défaut de résoudre le problème il est évidemment plus facile de faire semblant de s’en préoccuper. En cela, ce nouveau gouvernement ne change donc rien aux pratiques désormais mises en place. Et c’est sans doute en cela que réside la malédiction sécuritaire française. Cette pratique qui consiste à faire tout et son contraire. N’élaborer aucune politique de sécurité cohérente, efficace et partagée par les membres d’un même gouvernement. Nommer à des postes clés des personnalités aux parcours et aux idées notoirement incompatibles. Affaiblir les corps et les institutions en pratiquant la confusion des genres et en disqualifiant de ce fait la hiérarchie. Le retour de la sécurité pour tous dans notre pays devra immanquablement passer par la mise en œuvre d’une politique claire et affirmée de fermeté et de rigueur, portée par des institutions solides, organisées et solidement commandées. Et en ce domaine, tout est à refaire.

Olivier Damien
Olivier Damien
Conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté, Commissaire divisionnaire honoraire

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