[TRIBUNE] Liban et Syrie : la paix, enfin… au moins pour le Pays du Cèdre ?
Thibaut de La Tocnaye est un fin connaisseur du Liban et de la région où il se rend régulièrement depuis plus de 40 ans. il y était, il y a quelques jours encore. De 1982 à 1984, il sert dans les rangs de la milice chrétienne des Forces libanaises. Aujourd'hui, il est vice-président de Chrétienté-Solidarité, association qui, depuis sa création en 1981, soutient les chrétiens du Liban, notamment à travers le financement de projets ponctuels (agricoles, sanitaires, scolaires…) menés par ses partenaires et relais locaux (congrégations, établissements scolaires, ONG locales…).
Depuis l’assassinat de Bachir Gemayel le 14 septembre 1982 à Achrafieh (Beyrouth-Est) par les services secrets syriens, le Liban n’a pas cessé de subir une lente descente aux enfers essentiellement due aux agissements du régime baasiste de Damas, soit directement, soit par l’entremise du Hezbollah.
Au Liban, la liberté et la paix à portée de main
Mais après l’éradication militaire par Israël du Hezbollah et la disparition du régime Assad - ennemi héréditaire du Pays du Cèdre - l’élection le 9 janvier dernier du nouveau président libanais Joseph Aoun est un événement majeur : c’est la première fois depuis plus de 30 ans que le scrutin s’est opéré sans contrainte extérieure, en particulier syrienne ou iranienne. Le Liban possède donc, après 42 ans de souffrances ininterrompues, la liberté et la paix à portée de main. À Joseph Aoun, cependant, de prouver qu’il est réellement souverainiste en désarmant le Hezbollah puis en rétablissant la confiance à l’international, spécialement de la part des institutions financières. Il pourra compter sur un allié-clé, le parti chrétien le plus important, à savoir les Forces libanaises de Samir Geagea. Très honnêtement, il aurait été plus rassurant que celui-ci soit élu à la place du général mais malheureusement la Chambre des députés reste représentative d’un rapport de forces dépassé où le poids du Hezbollah et ses alliés reste anormalement important. L’élection de Joseph Aoun reste donc un compromis.
Le régime baasiste syrien : terrorisme et massacres
Revenons à présent sur l’historique du régime baasiste. N’oublions pas que ce régime mis en place en Syrie dans les années 70 par Hafez El Aassad est un pur produit du marxisme léniniste. Son allié exclusif, l’URSS, lui enseigne toutes les méthodes de mise en coupe réglée des populations et Assad excellera dans l’art d’exacerber les oppositions interethniques et les conflits interconfessionnels. Toute sa dictature reposera exclusivement sur l’application à la lettre du matérialisme dialectique portant à son plus haut degré la lutte des classes, prenant, dans sa sphère d’influence, le visage de luttes armées permanentes entre sunnites et alaouites, entre Palestiniens et Libanais, entre druzes et chrétiens, entre chiites et sunnites, entre chiites et chrétiens. Et bien sûr, le paroxysme de ce terrorisme révolutionnaire et sanguinaire est atteint lorsque massacres, voire début de génocides, sont savamment organisés et orchestrés.
On peut dire à ce sujet que le massacre fondateur du système Assad est, en Syrie, celui de Hama, la cinquième ville du pays, avec l’extermination ou la « disparition » de 20 000 à 40 000 civils (selon les ONG) exécuté en moins d’un mois en février 1982.
La chape de plomb syrienne sur le Liban
Au Liban, dont la Syrie de Assad a toujours considéré qu’il faisait partie de la Grande Syrie, le massacre fondateur sera celui de Damour, exécuté de main de maître dès janvier 1976. Ce sont en effet la Saïka, milice palestinienne formée et entraînée en Syrie et des éléments de la brigade Yarmouk (du nom de la victoire définitive de l’islam en 636 contre les chrétiens d’Orient) complètement inféodée au régime syrien, qui furent les acteurs principaux du massacre. Il eut lieu, en bonne et due forme, en moins d’une semaine avec l’élimination de 500 à 700 civils. Toute la population (25.000 habitants) fut totalement déplacée et la ville fut incendiée et pillée.
Vont s’ensuivre alors une série ininterrompue d’assassinats, d’attentats, de tentatives de génocides perpétrés à la perfection, principalement au Pays du Cèdre, zone d’expansion privilégiée du parti Baas syrien, par Hafez puis Bachar El Assad.
Citons dans l’ordre et de façon non exhaustive (!), l’assassinat du leader druze Kamal Joumblatt, pro-Palestinien mais refusant la mainmise syrienne sur le Liban, le 16 mars 1977… le bombardement à l’artillerie lourde durant 100 jours sans interruption d’Achrafieh, le quartier chrétien de Beyrouth-Est, de juillet à octobre 1978. Ce début de génocide de la population chrétienne du Liban a eu le résultat inverse de celui espéré par le bourreau de Damas : il a permis l’émergence de la figure légendaire de Bachir Gemayel au niveau international : Hafez El Assad s’était tout simplement lourdement trompé sur le compte des chrétiens du Liban… Il les avait pris pour des dhimmis (citoyens de « seconde zone » en terre d’Islam) prêts à plier à la première injonction, comme malheureusement la plupart des chrétiens d’Orient habitués depuis des siècles à baisser la tête face à l’islam…
Et puis, toujours incapable de régner par la paix et la concorde, le parti unique du Baas syrien - par l’entremise de ses multiples officines policières - fut à l’origine de :
- L’assassinat de notre ambassadeur à Beyrouth, Louis Delamare le 4 septembre 1981.
- L’explosion du poste Drakkar à Beyrouth- Ouest éliminant nos 58 parachutistes des 1er et 9e RCP le 23 octobre 1983. À noter que cette opération signe les débuts effectifs de l’association criminelle entre le Hezbollah et le régime des Assad.
- La série de 14 attentats contre la France de 1985 à 1986 (autant en un an que durant les quinze années précédentes) exécutés par Fouad Ali Saleh pour le compte de l’Iran, via la logistique syrienne et les cellules du Hezbollah.
- L’assassinat du chrétien René Moawad, le 22 novembre 1989, élu président du Liban 17 jours plus tôt…
- La série d’assassinats et d’enlèvements de dizaines soldats libanais, de civils et de prêtres durant les années 1990.
- L’emprisonnement en 1994 du dernier leader chrétien antisyrien et anti-Hezbollah Samir Geagea, chef des Forces libanaises, qui restera onze ans dans les geôles du pouvoir aux ordres de la Syrie.
Le régime baasiste va alors étendre sa chape de plomb policière et politico-militaire sur le Liban durant toute une décennie jusqu’en 2005, pompant systématiquement toutes les richesses du Liban et commençant à plonger celui-ci dans la plus grande crise économique de son histoire.
En avril 2005, l’armée syrienne, présente sur le sol libanais depuis 29 ans, dut cependant quitter le Pays du Cèdre, sous la pression internationale… Elle gardait cependant un allié de poids sur place, le Hezbollah. Pour asseoir son pouvoir et tenter d’établir à terme, par la terreur, une république islamique, la milice de Hassan Nasrallah entama de 2005 à 2012 une nouvelle série d’une vingtaine d’attentats et assassinats, visant les personnalités du mouvement souverainiste, dit du « 14 Mars ».
La fin du régime d'Assad
Mais en Syrie, dans le sillage du Printemps arabe, la population commence à se soulever à partir de mars 2011, d’abord pacifiquement mais très vite en rébellion armée, très dangereuse pour le régime. Le soutien indéfectible de l’Iran en armement et du Hezbollah en hommes (10 à 12.000 combattants en permanence sur les théâtres d’opération) permet au clan Assad Damas de se maintenir au pouvoir d’autant que la Russie elle-même décide d'entrer officiellement dans le conflit en septembre 2015. Il y aura 500 à 600.000 morts dont au moins 300.000 civils… Quant à la population saine et sauve, elle fuira en masse les zones de conflits (50 % des habitants sont déplacés sur leur propre sol) et 5 à 6 millions quittent la Syrie dont au moins 2 millions en Turquie et 1,5 million au Liban.
À la fin novembre 2024, tout va pourtant basculer pour le régime alaouite… après une offensive-éclair du HTS (Hayat Tahrir al-Sharm ou « Organisation de libération du Levant »), la dictature Assad va s’écrouler en moins de douze jours. La défection du Hezbollah, écrasé militairement au préalable par Israël, et la non-intervention, cette fois-ci, de la Russie, trop occupée en Ukraine, auront raison d’un système à bout de souffle qui n’était plus que l’ombre de lui-même.
Le système pénitentiaire et répressif de l’« horreur » fait apparaître 52.000 détenus, c’est-à-dire autant que de places de prison en France (!), sans compter bien sûr les dizaines de milliers de personnes arrêtées et déclarées disparues.
L’avenir en Syrie ? Il ne pourra, en tout cas, jamais être pire que ce « passé » totalitaire et terroriste de 54 ans de régime baasiste des Assad. Quant au nouveau régime, compte tenu à la fois des pressions internationales (principalement US et Arabie saoudite), des velléités d’émancipation des communautés minoritaires (kurde en particulier) et de la volonté profonde de prospérité économique de la part de la communauté sunnite majoritaire, il risque de devoir bien plus gérer la paix que la guerre.
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