[Tribune] Nomination d’Élisabeth Borne : la fin du politique ?

élisabeth borne

Le monde médiatique s’est empressé de saluer la nomination de Mme Borne comme Premier ministre. Pour certains parce qu’elle est une femme, ce qui est un peu court. Ce que l’on demande à un Premier ministre est de savoir diriger un gouvernement. Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme est secondaire. Pour d’autres parce que c’est un brillant sujet, ce qui est un atout. Mais comme le remarquait le père Bruckberger, « c’est une erreur commune en France de croire que l’intelligence seule suffit au gouvernement. Elle n’est rien sans le caractère » (Le capitalisme, mais c’est la vie !, Plon 1983).

La vraie question que pose cette nomination est celle de savoir si elle scelle la « fin du politique » dans la sphère publique. Notre caste dirigeante semble en effet confondre administration et gouvernement, ce qui est loin d’être la même chose. La conséquence en est que bien des élus ne dirigent pas leur administration mais sont gouvernés par elle. Ce qui est inversion des valeurs et profond désordre. Mais c'est reposant pour l’élu qui, en effet, se repose sur les fonctionnaires.

Mme Borne est une brillante polytechnicienne du corps des Ponts. Elle a exercé de hautes fonctions dans l’administration, dans des entreprises publiques et des cabinets ministériels. Ministre de ministères dits techniques, elle est certainement une femme de l’État. Est-elle pour autant une femme d’État ?

L’homme ou la femme d’État a des vues d’avenir pour son pays, une vision de la société française, de ce qu’elle est et de ce qu’elle pourrait ou devrait être. Il peut même avoir « une certaine idée de la France » et de sa grandeur. Il sent, il perçoit, il décide, il tranche. Il exerce l’autorité, étymologiquement, ce qui permet, à celui qui l’exerce et à celui qui en est l’objet, de grandir. Cela n’a rien à voir avec la suffisance technocratique d’une belle machine intellectuelle qui enfile et défile chiffres et statistiques. Chiffres et statistiques ne font ni une politique ni un projet.

L’administrateur, lui, administre. Il gère des procédures et applique lois et règlements. Il est formé pour exécuter et obéir. Il a le sens des intérêts de l’administration que l’on nomme souvent et abusivement intérêt général. Car l’intérêt des services administratifs n’est pas nécessairement l’intérêt général et encore moins le bien commun. Ainsi, la compétence administrative ne garantit en rien le génie ni même l’habileté politiques.

Le récent débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen fut d’un insondable ennui car le Président sortant, qui daignait à peine débattre, a enfermé l’exercice dans la forme d’un exposé technique d’où ne surgissait aucune vision forte pour la France. D’autant plus qu’il ne discerne d’autre avenir pour elle que dans la soumission au système juridique et réglementaire de l’Union européenne, éloigné de tout enracinement historique ou culturel et au risque d’une pensée unique totalitaire.

Au demeurant, le manque d’intérêt croissant des citoyens pour la politique ou, pire, pour « le politique » naît d’une part de la confusion entre administration et gouvernement, qui conduit à expliquer que l’on ne peut rien entreprendre qui perturbe la logique administrative, d’autre part dans les abandons toujours croissants de souveraineté entre les mains d’organisations internationales lointaines et non contrôlées, en tous les cas par les peuple : Union européenne, ONU, OTAN ou OMC. Ainsi « le peuple souverain » n’est-il plus souverain de rien, sauf d’une illusion de souveraineté, tandis que la réalité du pouvoir se situe au sein des réseaux d’une sorte de caste mondialisée, mercantile et technicienne, qui rêve de gouvernement mondial. Un « meilleur des mondes » cauchemardesque.

En fin de compte, Emmanuel Macron a, d’une certaine façon, nommé son clone au féminin en tant que « Première ministre ». Signe de l’enfermement de la nomenklatura sur elle-même. Or, gouverner dans un monde ouvert supposerait une ouverture sur le monde tel qu’il est et la France telle qu’elle est. Dans la réalité et non telle qu’on la voit au travers du prisme déformant d’idéologies prétendument « de progrès ». Cette caste momifiée devrait prendre garde. Lorsque les momies entrent en contact avec l’air libre, elles tombent en poussière.

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Stéphane Buffetaut
Chroniqueur à BV, élu de Vendée, ancien député européen

Vos commentaires

27 commentaires

  1. Espérons que l’on assiste à la fin de ces gouvernements qui croient en savoir assez pour donner des leçons à tout le monde, mais qui en fait ne savent rien. Au moins, un ingénieur des Ponts, il sait si le pont va tenir. Le médecin, on le juge sur ses actes. Le politicien on le juge sur ses promesses non tenues. L’avenir jugera, et rapidement.

  2. Borne retenue ? De gauche, certes, ce qui convient à Mélenchon, une militante PS auprès du bon dieu, prise dans les filets de Nupes. Compétente? A voir car chez beaucoup de compétents, bien des cordes sont mal tendues. Malléable ? Très certainement, pour satisfaire les exigences d’un autocrate capricieux qui ne se révèle que par une impuissance à garder sous vigilance. Ex : écriture inclusive exploitée malgré son interdiction. Laisser faire, le mot d’ordre de Macron, dé cons trui re.

  3. Triste non assistance à Démocratie en danger de BV comme d’autres qui eût fait comprendre à MLP et à EZ qu’il fallait céder place à NDA qui serait ce jour à L’Elysée! Ils ne faisaient que renoncer l’un à 30, l’autre à 40% en 2ème tour!

  4. La faute en incombe aux représentants de la Nation qui, malgré la fâcheuse expérience de 1965 et les déboires de mai 68 et de 69 conduisant le guide-président à se retirer, n’ont pas tenté de reprendre leur rôle élaboré en 1873!
    Nous en sommes à devoir supporter ce choix par élimination depuis 2002, Vingt ans!!

  5. Chez les ingénieurs il y a ceux qui créent et innovent dans les entreprises privées, pour leur plus grand bénéfice et puis il y a les autres qui préfèrent « trafiquer » en politique pour le plus grand malheur du peuple qui souffre des décisions calamiteuses qui sont prises à son encontre et qui conduit à la faillite du pays.

    • C’est bien toute la question. L’acceptation de la fermeture de Fessenheim est un signal alarmant, mais souhaitons que nous ayons une bonne surprise, car elle est compétente et avec cette femme, nous ne sommes peut-être pas au bout de nos surprises. C’est notre dernière chance.

  6. Très vite, les mondialistes vont mettre sur pieds la monnaie mondiale ( USD, FS et Euro) et dématérialisation complète de l’argent par suppression du numéraire. Nous nous dirigeons vers un désastre identitaire par achèvement des nations, mise à l’index voire condamnation du nationalisme, préférence étrangère à chaque étage et début progressif du néo féodalisme souhaité par l’hyper classe dominante.

  7. Je pose une question à Mr Buffeteau qui sait comment parler: sait-il comment agir? Il est VP du cnip a-t-il rejoint Zemmour? Et aux législatives a-t-il des accords avec Reconquête?

  8. Excellente analyse , comme toujours ;
    L ‘air libre existe t il encore ? c ‘est à souhaiter pour sortir de cet engrenage ;
    Borne , technocrate au service de Macron , lui même administrateur au service de cette gouvernance mondiale qui tente par tous les moyens de s ‘ imposer n ‘ auront de cesse que de continuer leur travail de destruction des Etats-nations au dépend des peuples .
    Ce n ‘est plus de la politique …

  9. Nous pouvons aussi avoir la lecture d’unMacron qui met en pratique les théories du panétatisme européiste. Un Etat, gouverné par des technocrates qui prennent leurs ordres directement des institutions européennes. Le Président n’est alors qu’un relai, garant de la bonne application des « valeurs européennes » du camp du bien, du beau et du vrai.

  10. Tout en fait en accord avec ces propos que malheureusement nos politiques et surtout les médias s’évertuent à confondre. Toutefois, notre Président lui, mène une politique qui est celle de fondre la France dans l’Europe et surtout dans un système mondialisé fade où l’homme ne sera qu’un objet. Et c’est en cela que j’en veux à ceux qui ont participé à sa réélection, car il ne s’en est jamais caché.

  11. La 3 eme République interdisait à tout fonctionnaire d’entrer en politique. La 5eme consacre le contraire. L’imbrication entre haute fonction publique et politique est devenue naturelle. Les hauts fonctionnaires se sont emparé du pouvoir et quelque soit le résultat des élections, vous retrouverez toujours les mêmes, issus des memes cursus. Cette oligarchie, ni a droite ni a gauche n’a que l’ambition de conserver le pouvoir dans son intérêt et dans l’intérêt des lobbys qui la financent.

    • Il ne faut peut-être pas confondre la Haute Finance avec les corps d’ingénieurs. N’oublions pas que c’est Giscard qui est l’un des responsable des trente glorieuses auxquelles on se réfère souvent avec nostalgie.

  12. Dans le fond, ce gouvernement ne sert à rien. Il suffirait de nommer à la tête du pays un administrateur-commissaire européen qui appliquerait les règlements et les lois concoctées à Bruxelles, elle-même soumise à une caste mondialisée, mercantile et technicienne. Notre armée aux ordres de l’OTAN, notre éducation régie par l’ONU, notre santé par l’OMS-Pfizer, notre économie par le FMI, notre pensée par le nouveau ministère du Grand Woke.

    • Vous oubliez McKinsey pour les stratégies sociales et l’Open Society pour l’Education et les médias

    • La Fontaine avait déjà désigné le soliveau comme le meilleur gouvernement pour les animaux, par ailleurs malades de la peste. Quelle prescience !

    • Un gouvernement qui ne sert à rien, certes, mais qui coûte très cher. Combien de ministres, secrétaires d’État et autres conseillers….pour quoi faire alors que les Mc Kinsey et autres cabinets gèrent tout ?

  13. Macron , n’a pas de vision pour la France, il ne voit notre pays que dilué dans une UE technocratique qui veut imposer aux états des règles que les peuples avec lesquelles les peuples ne sont pas toujours d’accord. Donc Macron , nomme comme ministres des « technos » certes compétents mais surtout dociles . Un gouvernement de sachants qui votera sans rechigner la politique voulue par Macron. Un Macron , qui dit tout et fait le contraire, Lui Seul Sait , les autres ne sont pour lui que des ignares.

    • Justement, il n’a sans doute pas vraiment intérêt à ce que des vrais « sachants » le contrôlent. Souhaitons le premier clash !

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