[TRIBUNE] Pensées d’une magistrate au sujet du laxisme des juges

© Jordan Florentin
© Jordan Florentin

Dominique Marcilhacy est magistrate depuis 25 ans. 

Mon propos s’attache aux questions pénales : le juge pénal peut prononcer une condamnation minuscule comme une condamnation très lourde, car la loi lui donne une grande marge de manœuvre : ainsi, un vol avec violence peut être puni de 3 mois avec sursis à 5 ans de prison. Il existe, bien sûr, quelques juges profondément laxistes par idéologie. Pour ma part, en bientôt 25 ans de carrière, je n’en ai rencontré qu’une fois. Il y a aussi l’inverse. C’est très rare également.

Il existe, dans le monde du pénal, ce que j’appelle « l’échelle implicite des peines ». C’est une sorte de consensus entre les juges pour estimer la gravité d’un acte et la peine à infliger. Le consensus n’est pas le même à Caen, à Mont-de-Marsan ou à Paris, mais il existe au sein d’un même tribunal, et souvent au sein d’une même région, selon l’état d’esprit local. Il se mesure à la réprobation sociale de tel ou tel acte. Cette échelle est rendue possible par le Code pénal mais ne figure pas dans un texte précis.

On pourrait voir du laxisme. Ce n’est pas le cas ou, plutôt, ce n’est pas le cas à moyen terme. L’échelle implicite des peines évolue avec la réprobation sociale, avec deux ou trois ans de retard, le temps que les juges s’imprègnent de l’air ambiant. Ainsi, les violences conjugales, qui étaient peu réprimées il y a encore quelques années, sont beaucoup plus sévèrement sanctionnées, voire trop durement. Le prononcé d’une interdiction du territoire national, impensable il y a dix ans, réapparaît dans de nombreuses décisions des tribunaux confrontés à une délinquance étrangère massive. Il en est de même pour beaucoup d'infractions, à cette nuance près que lorsque l’infraction est terriblement répandue, la réponse pénale s’affaisse… comme la réprobation sociale. C’est le cas, par exemple, pour l’usage de stupéfiants et, moindrement, pour le petit trafic.

Le législateur a, aussi, son mot à dire : ainsi, au moment des peines planchers, l’échelle implicite de peine était devenue progressivement plus sévère, alors même que les juges, en appliquant divers sursis, avaient les moyens d’écarter la règle.

Je pense qu’accuser les juges de laxisme n’est pas un bon procès pour cette raison majeure. Ensuite, il convient de considérer les injonctions paradoxales du législateur : il déclare réprimer de plus en plus, d’une main, mais, de l’autre, oblige le juge d’application des peines à sortir le délinquant de prison à toute vitesse et sans aucun critère sérieux. Dans chaque tribunal, un juge est chargé par la loi de détricoter la peine infligée par un autre juge.

Enfin, pour apprécier la sévérité ou le laxisme, il faut avoir une connaissance précise du dossier et de la personnalité du prévenu. Cela échappe, naturellement, au grand public, qui n’assiste pas à l’audience mais en connaît le résultat par la presse.

Vos commentaires

56 commentaires

  1. Si j’ai bien compris votre propos, la justice en condamne plus les délinquants du fait qu’elle suit, avec trois ans de retard, les aspirations de la population.
    Mais Madame, cela fait au bas mot une cinquantaine d’années que les Français espèrent voir les racailles en prison. Pas trois ans !
    Depuis toujours, ils attendent de voir les élus ou les petits marquis locaux rendre des comptes, en vain !
    Nous sommes loin des trois ans d’inertie de votre « ressenti populaire ». Ce serait donc notre faute si les juges ne condamnent pas ceux qui le méritent amplement.

    Non, Madame, vous défendez l’indéfendable. La justice EST laxiste par idéologie, corruption, lâcheté ou carriérisme, au choix. La population n’a rien à voir là-dedans.

    Et en dernier recours, si nous considérons que la justice est laxiste, c’est par méconnaissance des dossiers… Ça me rappelle ridiculement la baisse du pouvoir d’achat, qui ne serait qu’une impression. Décidément, le passe-temps favori des bourgeois, c’est de se persuader que les classes qui leur sont inférieures sont constituées de crétins attardés.

    Le peuple vous observe et vous juge, Madame. Si vous vous obstinez à ne pas protéger la population, elle le fera elle-même. Vous vous en doutez bien.

  2. Je comprend certe le fait du législateur qui a étendu le champs d’application des peines de 3 mois avec sursis à cinq ans pour une même peine prononcée ce qui laisse une certaine latitude au magistrat.
    Je comprend aussi le juge d’application des peines qui annule ou réduit les peines prononcée.Oui, la reponsabilité du politique et du législateur est importante, mais beaucoup de magistrats s’y accommodent aisément par idéologie et proximité politique avec ce législateut . Je considère la justice dans sa globalité, et son fonctionnement, et force est de considérer que l’accès à ce service public primodial est une jungle pour une personne qui souvent ,n’y a accès qu’une à deux fois dans sa vie. Et bien je le qualifierais de panier de crabe dans son ensemble . Avocats et magistrrats réunis . Excusez moi ,mais cela me fait penser complètement à l’éducation nationale qui donne envie à ceux qui en ont la possibilité de faire l’école à la maison ,et ne me dites pas que c’est la faute à la société ..Non ! C’est le résultat des politiques de gauche menées jusqu’à maintenant concernant ces deux secteurs primordiaux et uniquement la faute à cette gauche nocive de l’entre soi et ceux qui s’y sont soumis.

  3. Très intéressant témoignage, madame. Vous rejoignez beaucoup les préoccupations essentielles de l’Institut pour la Justice, qui ne réclame pas de diatribe à l’égard des juges, sinon envers le Syndicat de la Magistrature, mais une profonde réforme du système judiciaire, et notamment le rôle du JAP que vous dénoncez si justement dans votre propos.

  4. J’essaye modestement comme des milliers de victimes et de citoyens de comprendre, il n’y aurait donc, non pas un sentiment d’insécurité, mais un sentiment de laxisme judiciaire. L’un expliquant probablement l’autre !

  5. Comme d’habitude avec les juges , le citoyen qui les critiquent est renvoyé à sa non appartenance à une élite qui elle sait et donc fait très bien tout ce quelle fait parce que le droit protege de l’arbitraire. Oui Et depuis quand concrètement ? Enfin surtout qui il protège?

    Il y a un scandale moral et même juridique dans ce que vous écrivez.
    Vous distribuez les peines selon l’air du temps sociétal . Les violences conjugales, on en parle dans les médias et les artistes donc on sanctionne plus fort . Et les deviances sexuelles immondes dont personne ne parle , vous sanctionnez au plus bas ? Oui puisque sur les humains ,il ne faut pas en parler pour ne pas faire le jeu de …. Et la maltraitance animale et autres horreurs, à chaque fois le taré prend du sursis et a minima . Ou n’est même pas traduit en justice (les atrocités barbares de l’ Aïd El kébir , aucune association ne se hasarde à porter plainte, pourquoi le procureur ne sautosaisirait pas , il y a manifestement transgression du Code pénal )

    Quant à la proportionnalité des peines, avec les juges c’est toujours a minima et vous pouvez faire ça 25 fois avant de prononcer LA bonne peine.
    Vous recevez des injonctions indirectes et directes de la part du ministère, de ne pas mettre en prison alors que le bon sens et votre ambiant l’exige. Donc votre raisonnement ne tient pas .
    Vous êtes dans une large majorité, laxiste par conformisme corporatiste . Pour ne pas être inquiété dans votre avancement de carrière ni ostracisé par vos collègues
    Alors votre explication aux non initiés qui eux ne sont pas instruits de la chose judiciaire, est nulle et non avenu . Au contraire on a trop bien compris .

  6. Le témoignage de cette magistrate apporte la preuve que la justice et son fonctionnement doivent être refondés sur des bases cohérentes et non sur la subjectivité, la fantaisie et l’arbitraire. Les citoyens, n’ayant jamais fait de droit, sont désormais plus à même de constater combien l’appareil de la justice est injuste et inadapté ! La réforme est urgente, bon gré, mal gré.

  7. « Le consensus n’est pas le même à Caen, à Mont-de-Marsan ou à Paris » donc les droits des victimes, vous savez ces personnes qui n’ont rien demandé et que vous ignorez superbement, leurs droits peuvent donc être plus ou moins bafoués selon le lieu où leur(s) bourreau(x) sont jugés ?
    VOTRE justice ignore les victimes et OUI la majorité des magistrats est trop laxiste. La Justice est avec l’éducation nationale le plus grand échec de la V République.
    Il est grand temps que cela soit reformé et sue le glaive de la Justice se transforme en épée de Damoclès sur la tête des magistrats.

  8. La justice…quel grand mot inexistant…que vous soyez puissants ou misérables…verdict différent ..et pourquoi ne pas punir sévèrement les tueurs,les violeurs ,les squatteurs et tous les individus malsains ..

  9. pour moi, lorsqu’on est pas puni, on recommence ! c’est tellement évident qu’on se demande pourquoi il faut en débattre !!

  10. Cette plaidoirie pro domo me fait penser à celle de notre dépensier en chef de Bercy , à force d’intelligence on ne prend plus de décision ,on estime que …

  11. La vérité est que les politiques ne veulent pas de prison ,on doit donc s’arranger pour l’éviter et les juges ne peuvent qu’obéir à un pouvoir qui les nomme ,les promeut ou les placardise !

  12. La justice étant humaine, c’est normal qu’elle s’applique différemment d’un juge à un autre. Ce qui n’est pas normal, c’est que certains juges appliquent leurs convictions politiques comme socle à leur jugement. Un juge devrait ête apolitique en matière de jugement.

  13. Merci Madame la Juge . En effet il est clair que l’indépendance de la justice est un mythe puisque les juges d’application des peines reçoivent les ordres de laxisme que vous dites. Pour 2 raisons: insuffisance des places de prison malgré les promesses de Micron et la hausse vertigineuse de la délinquance étrangère, et trouillomètre à zéro de la micronie des rebellions des racailles ultra violentes des banlieues africanisées.

  14. Malheureusement la réalité nous montre le laxisme institutionnel, combien de délinquants ayant mis en cause la vie d’autrui, voir les forces de l’ordre, n’ont pas mis un pied en prison et ressortent libre après leur jugement. Un bon délinquant se doit d’avoir une ribambelle de condamnations simplement en s’en ayant sorti avec honneur.

  15. Assez de ces peines qui vont de 1 à 10. Il faut des peines plancher peut-être mais il faut des peines incompressibles, et faire payer les jours de prison aux familles

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