[TRIBUNE] Philippine : Comment nos élus ont organisé l’impunité de masse

Philippine

Condamné à 7 ans de prison en 2019 pour un viol, Taha Oualidat était sorti avant la fin de sa peine, libéré par un juge d’application des peines. Criminel reconnu et en situation irrégulière, il avait été immédiatement placé sous OQTF et envoyé en centre de rétention administrative à Metz, début juin, en attendant son expulsion. Seulement, le Quai d’Orsay a tardé à obtenir le laissez-passer consulaire, indispensable pour l’expulsion vers le Maroc.

Du fait de ce délai, un juge des libertés et de la détention (JLD) a libéré Taha Oualidat, quelques jours seulement avant l’obtention du précieux sésame. Assigné à résidence, le clandestin n'a, comme de nombreuses personnes placées sous main de justice, pas respecté ses obligations. Le suspect aura donc disparu dans la nature et n’aura eu besoin que de quelques jours pour assassiner, et probablement violer, Philippine.

Le laxisme a tué Philippine

Le laxisme judiciaire, par deux fois (lors de sa libération de prison puis de centre de rétention administrative), a fait des cadeaux à un criminel étranger. Si le bon sens avait prévalu dans ces procédures, ce criminel serait en prison ou dans l’avion. Et l’innocente Philippine serait en vie.

Le grand public est en droit de connaître les noms de ces magistrats, qui rendent la justice au nom du peuple français. Il est peut-être possible que leur erreur de jugement soit une véritable faute ; auquel cas, leur responsabilité personnelle doit être engagée.

Mais il est trop facile de s’en prendre uniquement aux juges, dont le métier est précisément d’interpréter les faits dans les limites que leur donne la loi.

La loi organise l’impunité

En effet, c’est bien la loi française, votée par nos responsables politiques, eux-mêmes élus par nous tous, qui encourage en premier lieu l’impunité. Ainsi, cette loi répugne à l'enfermement des personne pourtant souvent dangereuses et cette répugnance ruisselle dans l’ensemble du droit français.

Par exemple, pour rester sur cette affaire, le juge des libertés et de la détention est encouragé par la loi à ne prononcer de prolongation de rétention qu’« à titre exceptionnel ». En effet, l’article L-742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit précisément cette expression. Le texte ajoute que le juge est saisi « en cas d'urgence absolue ou de menace pour l'ordre public ». Le message envoyé par la loi au JLD est donc clair : la grande majorité des demandes de prolongation doit être refusée.

Il est intéressant de noter que l’expression « à titre exceptionnel » est récente, elle date de la première loi Asile et Immigration » de la présidence d’Emmanuel Macron en 2018. Personne n’a obligé les parlementaires à l’ajouter ni à la voter.

Mais cet encouragement à libérer les détenus ne s’arrête pas là : dès le prononcé des sanctions, la loi encourage les juges à ne pas prononcer de peines de prison. C’est toute la philosophie de l’article 132-19 du Code pénal (modifié en 2014 par Christiane Taubira) qu’« une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours ». Et encore faut-il, pour cela, également que « la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire » et que « toute autre sanction est manifestement inadéquate »

Il est évident qu’une part importante des magistrats français souffrent d’un biais idéologique « laxiste », encouragé en cela par le Syndicat de la magistrature. Mais les magistrats forment d’abord un corps qui applique la loi. Et il ne faut pas passer sous silence l’écrasante responsabilité des responsables politiques dans l’état de notre droit. La France vote mal depuis des années. Résultat : le droit français protège de façon disproportionnée les criminels et les délinquants (41 % des condamnés à de la prison ferme ne vont même pas en prison). Ce scandale, ce sont les victimes innocentes qui le connaissent le mieux.

Pierre-Marie Sève
Pierre-Marie Sève
Directeur de l'Institut pour la Justice

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