[Tribune] Relations Union européenne/Russie : la Bérézina

Encore faudrait-il connaître et comprendre la Russie pour pouvoir discuter avec elle.
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Stéphane Buffetaut est vice-président du CNIP, et ancien président du Comité de liaison UE/Russie. Le CNIP a apporté son soutien à Eric Zemmour, le 29 janvier dernier.

Vladimir Poutine aime la mise en scène. Salle blanche, froide, lumière blafarde. On se croirait presque dans un igloo. Une longue table de marbre blanc. À une extrémité, le président Russe, à l’autre le Président français, qu’il n’est même pas venu accueillir au seuil du Kremlin. Le premier aime à montrer de la proximité avec son peuple ; une froide, voire ironique, distance à l’égard de ses adversaires. Le second a divisé, fragmenté, hystérisé la société française mais aime « papouiller » les grands de ce monde, jusqu’à tutoyer le pape. L’un se pose en chef de guerre prêt à défendre son pré carré. L’autre en doux homme de paix soucieux de sauvegarder son siège. Mais l’image fracasse quelque peu la communication optimiste du Français.

Derrière le ballet diplomatique entre Moscou et Kiev, Berlin et Washington, Bruxelles et l’OTAN, se cache l’invraisemblable fiasco de la politique européenne, et américaine, à l’égard de la Russie.

Lorsque Gorbatchev accepta le démantèlement du rideau de fer et le retrait des forces soviétiques d’Allemagne et d’Europe centrale, ce fut contre la promesse, purement verbale, du président Bush que l’OTAN ne s’étendrait pas jusqu’aux frontières de la Russie. Verba volant, scripta manent. On sait ce qu’il en fut.

Le désordre qui suivit l’effondrement de l’Union soviétique ouvrit une période de tensions aux marches de l’ex-empire, d’autant que les États-Unis jetèrent de l’huile sur le feu via les « révolutions de couleur », notamment en Géorgie et en Ukraine. Et voilà que se profile l’adhésion de celle-ci à l’OTAN. Pour les Russes, l’encerclement final. La provocation ultime qui peut faire voler en éclats les fragiles accords de Minsk. Tant de fois envahie, la Russie a développé un syndrome d’assiégée. Pourquoi s’obstiner à méconnaître ce qui est une réalité géopolitique, plus encore que psychologique ?

La citation de Poutine, « Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur. Celui qui veut la réinstaurer n’a pas de cerveau », dit beaucoup sur l’homme. Sentimentalité historique mais rationalité politique. Ce Saint-Pétersbourgeois n’était pas anti-occidental. Arrivé au pouvoir en 1999, il envisagea une coopération entre la Russie et l’OTAN et s’en entretint avec Bill Clinton. Il subit une première rebuffade.

Aucune hostilité à l’égard de l’Union européenne non plus. Il demanda à Romano Prodi qui présidait la Commission : « Que diriez-vous si la Russie posait sa candidature à l’Union européenne ? » Prodi lui répondit : « La Russie, c’est bien grand ! » Comme si cette esquive était une pensée politique.

La Russie, c’est en effet bien grand. La Fédération de Russie est le plus vaste État du monde, il couvre 11 fuseaux horaires, plus de 17 millions de kilomètres carrés - 25 fois la France – et compte près de 150 millions d’habitants. Est-il donc habile de s’en être fait un adversaire, voire un ennemi ?

L’Union européenne est dépendante à 40 % du gaz, 20 % du pétrole et 50 % de l’uranium provenant de Russie, qui possède des gisements de métaux stratégiques tels que les platinoïdes, les terres rares, l’or et l’argent, l’aluminium, le cuivre, le nickel, le zinc, le plomb qui nous font défaut. Et la Commission prévoit que cette dépendance devrait passer à 70 % pour le gaz, dans les années à venir !

La Russie a conservé une tradition de scientifiques et d’ingénieurs de haut niveau, alors que l’Union européenne manque de spécialistes des sciences dures.

Une coopération étroite entre elles deux aurait pu donner naissance à un pôle géostratégique majeur. Au contraire, l’Union européenne n’a cessé, avec une certaine condescendance, de donner des leçons de « morale démocratique » au Kremlin et d’entrer dans le jeu de déstabilisation de la sphère d’influence russe. Pour quel bénéfice ?

L’Ukraine a perdu la Crimée et le Donbass, la Géorgie l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Les bruits de bottes perdurent aux frontières ukrainiennes. La Russie a créé l’Union économique eurasiatique et se rapproche de la Chine, pour la plus grande inquiétude des États-Unis et de l’Union européenne. Elle a gagné la guerre en Syrie alors que le monde occidental était ridiculisé. Quel fabuleux bilan !

Est-il encore temps de revenir sur ce gâchis ? Encore faudrait-il connaître et comprendre la Russie pour pouvoir discuter avec elle. Il ne s’agit pas de faire preuve de faiblesse mais d’intelligence diplomatique, sans ingérence idéologique. Sans doute est-ce beaucoup demander à l’Union européenne ?

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Stéphane Buffetaut
Chroniqueur à BV, élu de Vendée, ancien député européen

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