Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai une nation

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Faut-il que l’archipélisation de notre société soit si avancée ? Qu’en France, un petit garçon d’origine étrangère s’interroge sur l’existence du prénom Pierre en dit long sur son degré d’assimilation. Sa mère aurait aussi bien pu citer Paul ou Jacques, mais c’est pourtant Pierre qui leur vint à l’esprit. Prénom à forte valeur symbolique, puisque saint Pierre, apôtre du Christ, mort en martyr, est aussi le premier pape de l’Église catholique.

Alors, petit, sache qu’en France, nos enfants aiment qu’on leur raconte, au coucher, les histoires de Pierre Gripari. À l’école, ils se servent d’un dictionnaire, le plus souvent celui édité par Pierre Larousse. Plus tard, les plus littéraires d’entre eux étudieront les vers de Pierre de Ronsard ou les pièces de Pierre Corneille. Les scientifiques préféreront s’intéresser aux travaux de Pierre (et Marie) Curie ou Pierre Gassendi. Les gourmets et les gourmands connaissent les restaurants de Pierre Gagnaire ou Pierre Hermé. L’élégance à la française est signée Pierre Cardin ou Pierre Balmain. Et ce sont des Pierre de droite comme de gauche qui s’engagèrent en politique : Pierre Mendès France, Pierre Bérégovoy, Pierre Mauroy, Pierre Moscovici, Pierre Méhaignerie, Pierre Messmer, Pierre Poujade… Des parcours que commentèrent les journalistes ou animateurs Pierre Bénichou, Pierre Bellemare ou Pierre Bonte. Certains Pierre sont de vrais clowns, tels Pierre Richard, Pierre Desproges et Pierre Palmade. D’autres ont préféré chanter : ce fut le cas de Pierre Perret et Pierre Bachelet. C'est un abbé Pierre qui a créé les communautés Emmaüs pour venir en aide aux plus démunis. Combien de pierres tombales portent le nom de ces anonymes morts au combat ?

Cher enfant, ta question au Président Macron est révélatrice des maux de notre nation. De celle qui, sommée de réécrire son Histoire, ne parvient plus à transmettre sa culture ou son éducation. Enfouissant ses racines, ses valeurs ou son identité, elle préfère renoncer, s’excuser ou ne pas s’imposer. Le choix d’un prénom, les parents le savent bien, n’est jamais anodin. Si certains manifestent leur dévotion à un saint patron, d’autres honoreront l'arrière-grand-mère ou le tonton. La plupart du temps, ce prénom nous inscrit dans une filiation ou une tradition, ancestrale ou d’adoption. Las, depuis quelques décennies, les Marie et les Louis se sont évanouis au profit de consonnances ne cherchant plus à rattacher le nouveau-né à ceux qui le précèdent mais, à l’inverse, lui donner toute sa singularité et son originalité. Et voilà comment, peu à peu, Marie-Louise devint Marilou puis Louma.

Mais avec cette nouvelle prise de conscience, qui sait si, bientôt, de nombreux petits Pierre n'annonceront pas leur naissance ? Des parents entreraient en résistance pour que demeurent dans notre pays ces prénoms en voie de disparition qui incarnent pourtant tout le charme et les valeurs de la France.

Iris Bridier
Iris Bridier
Journaliste à BV

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