Ukraine : en Allemagne, le désengagement militaire à l’ordre du jour

Oleksii Makeiev, ambassadeur d'Ukraine en Allemagne. Capture d'écran © Phoenix
Oleksii Makeiev, ambassadeur d'Ukraine en Allemagne. Capture d'écran © Phoenix

Alors que les troupes ukrainiennes ont lancé, il y près de deux semaines, une contre-offensive coup de poing d’une ampleur sans précédent dans la région russe de Koursk (faisant ainsi de l’Ukraine le premier pays de l’Histoire à envahir une partie du territoire d’une puissance dotée de l’arme nucléaire), l’Allemagne amorce son désengagement militaire.

Jusqu’alors, l’Allemagne était le premier contributeur européen et deuxième fournisseur mondial à l’effort de guerre de l’Ukraine, avec un apport de 17 milliards d'euros en 2023, après les États-Unis (42 milliards en 2023). Pour l’année 2024, une aide militaire de 8 milliards d’euros a été apportée, sous l’auspice du ministre de la Défense allemand Boris Pistorius. « Un signal fort envoyé à l’Ukraine pour lui dire que nous ne l’abandonnons pas », déclarait alors le ministre le plus plébiscité de l’outre-Rhin, partisan fervent du soutien apporté à l’Ukraine pour contrer l’invasion territoriale russe. Parmi la palette d’équipements militaires fournis par la Bundeswehr à Kiev, des chars de combat Leopard, des systèmes de défense antiaérienne IRIS-T et Patriot, des drones de surveillance ou encore des canons d’artillerie automoteurs Panzerhaubitze 2000.

Kiev, variable d’ajustement de l’équilibre budgétaire allemand

Mais l’enveloppe allemande pour l’année 2025 ne sera plus aussi généreuse. Cette volte-face allemande est motivée par des contraintes budgétaires. Les règles nationales engagent Berlin à contrôler son déficit public, en évitant de recourir à de nouveaux emprunts. « Kiev va devoir apprendre un nouveau mot allemand », titre le journal d'investigation allemand Der Spiegel. Le mot en question ? « Schuldenbremse< », soit « frein à l’endettement », un principe consacré par la Loi fondamentale allemande depuis 2009 selon lequel la République fédérale d’Allemagne ne peut excéder un déficit budgétaire public supérieur à 0,35 % du PIB. Cette règle de discipline budgétaire contraint le gouvernement allemand, en difficulté depuis l'automne dernier, à engager une réduction drastique de ses dépenses publiques et à désigner ses priorités (investissement dans les infrastructures, sécurité nationale, relance économique). Quatre milliards d’euros avaient auparavant été accordés pour l’année 2025, mais depuis, « la fête est finie, le pot est vide » : le Bundestag vient d’annoncer le gel de toute nouvelle aide militaire additionnelle qui pourra être apportée à l’Ukraine.

Côté ukrainien, les réactions fusent pour critiquer cette coupe franche qui tombe mal, à un tournant stratégique de la guerre menée contre Moscou. Dans un entretien accordé au journal Bild am Sonntag, l’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne, Olesksiy Makeiev, a pourfendu l’annonce du gouvernement de coalition dirigé par Olaf Scholz, qui entérine, de facto, son désengagement militaire progressif, alors que « la sécurité de l’Europe dépend de la capacité et de la volonté politique de l’Allemagne de continuer à jouer un rôle de premier plan dans le soutien à l’Ukraine », a-t-il déclaré.

Anticiper la victoire de Donald Trump

L’opposition publique grandissante, ainsi que les incertitudes quant à l’avenir du conflit, avec en ligne de mire la potentielle réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche, jouent également pour beaucoup. Une victoire de Trump et le retour de l’America First inaugureraient un retrait américain sans ambages du théâtre européen. Nul doute que, côté russe, Vladimir Poutine attend avec impatience l'élection présidentielle américaine de novembre prochain dans l’espoir d’entamer avec l’administration trumpiste des négociations de paix quant au sort de l’Ukraine, exsangue. Faute d’appui américain, l’Union européenne (qualifiée de « nain géopolitique » par l’ancien ambassadeur français Gérard Araud, dans un article du Point publié le 7 janvier dernier), étant placée dans une forte position de dépendance stratégique et militaire à l’égard des États-Unis, n'aurait d'autre choix que celui de l'alignement stratégique sur Washington. Un désengagement occidental et le retour aux pourparlers diplomatiques entre Kiev et Moscou peuvent donc être envisagés avec sérieux.

Plus encore, ce coup de rabot intervient peu après que le Wall Street Journal a révélé l’implication de l’Ukraine, au plus haut niveau de la chaîne de commandement, dans le sabotage des gazoducs Nord Stream I et Nord Stream II survenu en mer Baltique en septembre 2022. Ces gazoducs approvisionnaient l’Allemagne et l’Europe en gaz russe. Cette révélation avait été auparavant divulguée par le Spiegel et par le Washington Post, dans une enquête conjointe publiée le 11 novembre 2023. Mais le principal mis en cause n’est autre, désormais, que l’ancien commandant en chef des forces armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny, nommé depuis... ambassadeur de l’Ukraine à Londres. En juin, un mandat d’arrêt européen du parquet fédéral allemand était émis contre l’un des membres du commando ukrainien ayant saboté le pipeline, sept mois après le lancement de l’offensive russe. Le couple franco-allemand est une nouvelle fois à l'épreuve.

Anna Morel
Anna Morel
Journaliste stagiaire. Master en relations internationales.

Vos commentaires

56 commentaires

  1. Avec Biden l’occident est entré en guerre contre la Russie qui nous a rien fait. Nos armements du satellites d’observations jusqu’aux petits fusils servent contre ce pays et si on rajoute les mercenaires et stratèges alors on est en guerre ouverte, ne soyons pas étonné que les pays subsahariens d’expression Françaises passent chez les Russes.

  2. Ce n’est pas bien grave, le petit roitelet de l’lysée va prendre le relais de l’Allemagne ! Parce que, lui, il n’en a rien à cirer du déficit et de la dette abyssale de la France.

  3. Notre gouvernement est hors-sol, tel la cigale dépense sans compter et se verra sous tutelle de Bruxelles, pendant que l’Allemagne économise drastiquement en effectuant des coupes sombres dans son budget

  4. L’Ukraine, Israël, le Pacifique … il va falloir faire des choix, l’Europe ne peut pas suivre les USA dans tous les conflits de la terre. Il serait peut-être temps de regarder ce qui se passe au quotidien chez nous, de donner un peu moins d’argent et d’armement à l’Ukraine pour faire la guerre et remettre quelques milliards dans la santé, l’éducation, la sécurité, la justice, la lutte contre l’immigration, la réindustrialisation, etc. Accessoirement, nommer un 1er ministre et former un gouvernement serait de bon ton.

    • Hélas, pour l’Ukraine comme pour la crise Covid ou les JO, c’est toujours la politique du  » quoi qu’il en coûte » europeiste et mondialiste où l’avenir de la France n’a que peu d’intérêt !

  5. L’Allemagne n’a pas les mêmes priorités que Macron , elle contrôle ses dépenses , se fixe un montant de sa dette tandis que le notre dépense sans compter en ruinant ce pays . L’Ukraine ne fait pas partie de l’UE , pourquoi finançons nous cette guerre qui ne fait qu’enrichir la mafia ukrainienne et Zelensky . Il serait judicieux que la France arrête également de payer , elle n’en a plus les moyens .

  6. Excellent travail de la journaliste Anna Morel qui a bien distingué les deux raisons de la grosse coupe-sombre allemande sur son dispendieux soutien militaire à Kiev, ce régime de mise au pain sec suscitant la colère de l’ambassadeur ukrainien en Allemagne :
    – D’une part la décision de fin 2023 de la Cour constitutionnelle allemande limitant le déficit public à 3,5 %, avec pour conséquence que le gouvernement d’Olaf Scholz s’est trouvé obligé de constater que par rapport aux autres priorités nationales allemandes (crise agricole, etc..), le financement de la guerre ukrainienne n’est pas une exception justifiant le dépassement du déficit public et devient secondaire…ce en quoi je donne raison aux Allemands.
    – D’autre part le rôle plus que douteux tenu par le régime de Kiev (la présidence, le précédent chef d’état-major Zaloujny, le chef des services spéciaux Boudanov) en soutien voire en commandite de la destruction des 2 gazoducs Nord Stream 1 et 2 par des Ukrainiens parmi lesquels Rustem Abibulayev, Jevhen U… , Svitlana U… et Volodymyr Z…, ayant les mêmes initiales que le président et objet d’un mandat d’arrêt international décerné par la justice allemande et dont le gouvernement polonais a facilité la fuite

  7. Ce n’est pas par désamour de l’Ukraine, comprenons-le bien. Les caisses sont vides, la coalition Scholz a mis l’Allemagne en difficulté financière, cependant qu’elle a heureusement les réserves et l’absence de dette pour faire mieux que Macron, qui désormais lorgne sur le capital des Français, se demandant comment organiser légalement une spoliation. France à zéro, Allemagne affaiblie, pipeline NordStream détruit, en coulisse les USA rient aux éclats: l’UE est dans leurs mains.

  8. Cela ne change rien. Les Ukrainiens peuvent tout se permettre et ils le savent, ils en usent et en abusent (voir la manière dont leur président s’exprimait, culpabilisait et manquait de respect aux nations et aux chefs d’État), sachant qu’ils ne risquent rien tant que les démocrates sont aux commandes aux États-Unis. Personne ne recevra de sanction pour Nord Stream 1 et 2, car je veux croire qu’ils ne se seraient pas permis un tel acte sans autorisation.
    Pas plus que personne ne sera impliqué dans ce qu’ils appellent « la désintégration en vol » (ce qui serait une première dans l’aviation civile moderne, depuis les Constellations aux hublots carrés) du vol MH14 ayant fait près de 300 morts, tout de même ! Plus personne n’en parle, ça ne compte pas, plus. Pourquoi ? Croyez bien que s’il y avait eu la moindre preuve que la Russie était impliquée, nous n’en serions pas à ce stade, c’est-à-dire nulle part.
    Alors oui, certains pragmatiques commencent à prendre les devants au cas à où DT reprendrait les cléfs de la maison.

  9. L’allemagne fait le ne cessaite pour rester dans les normes économiques européennes…qu’elles imposent à tous..etcen misant dur une victoire de MTrump…mais nous on s’en fout…on aide l’ukraine à crédit …et notre génie lumineux incapable de gérer son propre pays mise sur la wokiste kamala…tsointsoin..

  10. Tiens tiens,et moi qui croyais naïvement que c’était les Russes qui s’étaient sabotés( je plaisante) La vérité finie par émerger

  11. On serait inspirer de faire pareil .
    L’Ukraine qui n’est pas dans l’ue .
    Coûte 2 millions d’euros par jour au contribuable

  12. 2025, année électorale en Allemagne. Et avec une AfD qui a fait 16 % (30% dans les Länder de l(ancienne Allemagne de l’est) aux élections européennes de juin dernier, les partis dit « de gouvernement » n’ont pas intérêt à chiffonner le contribuable.

  13. Il y a quelques temps je suis tombé dans la presse sur une photo d’Olaf Scholz vers l’âge de 25 ans. Il était tout frisé, tirant sur le rouquin et aurait pu être le petit frère de Daniel Cohn-Bendit. Cette photo disait qu’à cette époque, à savoir la crise des euro-missiles entre l’Est et l’Ouest, Scholz appartenait à ces mouvements gauchistes qui militaient pour la non implantation de missiles américains en RFA en réponse aux missiles soviétiques en RDA. Finalement un politicien ne change jamais. Gauchiste et lâche un jour, gauchiste et lâche toujours. Scholz et sa coalition de bras cassés se demande-t-il combien de milliards cela coutera à l’Allemagne et à l’Europe toute entière si Poutine gagne ? Poutine se sentira pousser des ailes. à moins qu’en bon membre du SPD, à l’instar de Merkel et de Schroeder, Scholz ait lui aussi été acheté par l’argent du gaz russe.

  14. Que Macron ne connaisse pas :  » Schuldenbremse  » ça peut se comprendre, je lui conseille de se faire traduire ce mot allemand, ça peut toujours servir.

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois