Ukraine : la chute de Bakhmout et les doutes de Kiev

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Moqué, minoré, dénigré, à Bakhmout, le rouleau compresseur russe n’en continue pas moins à avancer. Lentement mais inexorablement. Le 20 décembre dernier, Volodymyr Zelensky s’était rendu dans la ville assiégée pour y rencontrer des militaires et remettre des médailles. Une séquence parfaitement scénarisée avant un déplacement, le lendemain, aux États-Unis pour rencontrer Joe Biden et faire un discours très médiatisé au Capitole.

« Avant de venir ici à Washington, j'étais en première ligne à Bakhmout. Dans notre fief de l'est de l'Ukraine, dans le Donbass. L'armée et les mercenaires russes attaquent Bakhmout sans arrêt depuis mai. Ils l'ont attaquée jour et nuit, mais Bakhmout tient bon », avait assuré le président ukrainien aux membres du Congrès qu’il fallait convaincre d’approuver une nouvelle aide de 45 milliards de dollars. À la fin de son discours, Zelensky s’était tourné vers la vice-présidente américaine Kamala Harris et la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi pour leur remettre un drapeau ukrainien signé, la veille, de la main des soldats de Bakhmout. « Ce drapeau est un symbole de notre victoire dans cette guerre », avait-il alors déclaré.

Comme Stalingrad en son temps, Bakhmout était ainsi propulsée au rang de symbole de la résistance héroïque d’une armée en péril qui finirait par reprendre l’initiative et l’emporter malgré l’adversité. Sur le moment, une très efficace opération de communication. Sur le plus long terme, une grosse prise de risque.

Quelques mois plus tard, en effet, Bakhmout, assaillie par les troupes de Wagner, s’apprête à tomber. Et ce n’est pas qu’un problème de communication, comme l’ont révélé récemment les fuites du Pentagone. Un des documents divulgués témoignait d’une situation « catastrophique » des forces ukrainiennes qui, au 25 février, « étaient presque encerclées de manière opérationnelle par les forces russes ». Le commandement ukrainien avait été alors contraint de déployer des unités d’élites pour repousser les troupes russes qui menaçaient de s’emparer de la dernière route d’approvisionnement. Autant de forces qui risquaient de faire défaut pour la suite.

Des analystes militaires américains, cités en février dernier par le Washington Post, avaient prévenu qu’il ne leur semblait pas réaliste de défendre Bakhmout et de lancer simultanément une contre-offensive au printemps. Au mois de mars, un responsable américain avait indiqué au quotidien que Washington avait conseillé à Kiev de « se retirer de la ville depuis au moins janvier » en raison des lourdes pertes subies. Des déclarations confirmées, depuis, par les documents divulgués. En début d’année, Washington avait bien mis en garde Kiev contre un risque d’encerclement potentiel et suggéré d’abandonner la ville. Des avertissements restés lettre morte. Un choix politique et non militaire.

« J’ai dit à l'état-major de trouver les forces appropriées pour aider les gars à Bakhmout », avait déclaré Zelensky, début mars, dans une vidéo, ajoutant qu'aucune partie de l'Ukraine ne pouvait être « abandonnée aux Russes ». D’après le président ukrainien, il y avait « consensus parmi les militaires sur la nécessité de continuer à défendre la ville ».

A l’époque, le journal allemand Bild avait raconté une tout autre histoire : d’après des sources au sein de la direction politique à Kiev, le commandant en chef, le général Zaloujny, s’était opposé au président ukrainien et avait recommandé de se retirer de Bakhmout pour des raisons tactiques. Bild ajoutait que ses reporters avaient parlé à des dizaines de soldats à Bakhmout, au cours des derniers mois, qui, tous, considéraient que la retraite aurait dû avoir lieu depuis longtemps. « La situation pour nous est catastrophique », avait confié un soldat aux journalistes allemands. Bakhmout était bien un « hachoir à viande », et pas seulement pour les Russes, comme tentait de le faire croire la propagande officielle qui, désormais, se concentre sur la « contre-offensive » tant annoncée.

Les fuites du Pentagone ont cependant rendu plus difficiles les envolées triomphalistes. « Les États-Unis doutent que la contre-offensive ukrainienne obtienne des gains importants, selon un document divulgué », révélait le Washington Post, le 10 avril dernier. La même semaine, un autre document indiquait que d’après une analyse de la DIA (Defense Intelligence Agency), le conflit allait se prolonger jusqu’en 2024 sans qu’aucune des deux parties ne parvienne à obtenir de gains significatifs ni ne cherche à négocier. Un scénario d’impasse décrit comme le plus probable.

Depuis, les langues commencent à se délier, outre-Atlantique, et font état du double discours qui a prévalu jusque-là. « Pendant des mois, des responsables américains ont fait part en privé de leurs préoccupations concernant le déroulement de la guerre en Ukraine », reconnaissait, mi-avril, le Washington Post dans sa lettre d’information. « À huis clos, l'administration [Biden] s'inquiète de ce que l'Ukraine peut accomplir », confiait Politico, peu de temps après.

Et c’est désormais au tour de Kiev de modérer les ardeurs propagandistes de ses soutiens. « Les attentes de notre campagne de contre-offensive sont surestimées dans le monde », a récemment déclaré, au Washington Post, le ministre de la Défense ukrainien, Oleksii Reznikov, dans un article intitulé « De hauts responsables ukrainiens craignent que la contre-offensive ne soit à la hauteur du battage médiatique. »

Ces sombres perspectives conduiront-elles à envisager un règlement négocié ? Pas le moins du monde. Les bailleurs de fonds de Kiev réclament une dernière chevauchée fantastique. Ils voudraient enfin voir leurs flamboyants chars Leopard s’élancer sous le soleil printanier. Avec, si possible, de jolies percées dans les lignes russes, histoire de dire qu’on n’a pas dépensé tout cet argent pour rien. Et puis, après, il faudra bien se résigner à négocier avec le diable du Kremlin. Chacun repartira alors avec sa petite « victoire » et les tambours de guerre médiatiques se tairont. Comme se sont tus ces dizaines de milliers d’hommes étendus dans la plaine et sous les décombres de Bakhmout.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 11/05/2023 à 13:22.

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

45 commentaires

  1. Deux oublis majeur : en Afrique les bandes Wagner sont ennemies déclarées de la France et d’ailleurs des peuples africains (massacres de masse, pillage des richesses). La Russie néo-soviétique (drapeaux de l’URSS partout) totalitaire a bel et bien attaqué, envahi l’Ukraine et détruit des villes juridiquement ukrainiennes. L’antiaméricanisme absolu ne devrait pas pavloviennement entraîner une absolue poutinolâtrie. Les Français sont censés être plus politiques. De Gaulle sut jouer l’équilibre, lui.

    • Il n’y a pas d’équilibre. Poutine est notre ennemi, comme d’ailleurs la russsie depuis Pierre 1er, et ses méthodes sont celles des nazis. On ne peut que le détester, le combattre et souhaiter sa ruine

  2. Le résultat sera tout de même bénéfique pour Zélinsky vu les centaines de millions de dollars qu’il a détournés, il faut lire la presse US qui ne se gêne pas pour étaler les fastes des avoirs de ce monsieur.

    • Et pas seulement US, mais pour cela il faut quitter le statut de mouton esclave, prendre son avenir en main et ne plus écouter la propagande des mondialistes décérébrés. Une coopération mondiale de Nations libres est possible sans vivre sous le joug perpétuel des USA et leurs alliés.

  3. La désinformation bat son plein. Nous prions pour la sainte Russie , puisse telle au plus vite écraser ces adorateurs et nostalgiques de la croix gammée et ces tigres de papier manipulés par l’occident au profit d’un système à bout de souffle.

  4. Je ne doute pas de la qualité des léopards. Rejouerait on Koursk? Combien reste il d’hommes à tuer pour epuiser l’ours?je ne vois pas de clairvoyance à l’horizon.

  5. Malgré une propagande appuyée pour nous rendre les russes détestables, je me réjouis que bon nombre de nos compatriotes espèrent la paix et un vrai début de négociation .
    Il est temps que l’on remplace l’envoi des armes en Ukraine par celui des diplomates, ne serait- ce que pour sauver l’avenir des peuples européens.

    • Le Royaume Uni vient de livrer des munitions a l’ uranium appauvri a l Ukraine.
      On sait que cela empoisonnera les sols et nappes phreatiques de la region du Dombass pour des decennies, provoquant cancers, malformation congenitales , maladies cheptels et animaux.

  6. Toute cette boucherie organisée par « nos amis » yankees et tous ces politicards occidentaux qui crient victoire tout en détournant le regard des morts que cette guerre perdue d’avance aura provoqués.

  7. Ce Zelensky va, si il continue comme ça, trucider tout son peuple pour satisfaire l’appétit des Etats-Unis, car c’est d’eux dont ils s’agit en fin de compte. L’Ukraine est entièrement sous les ordres US dans la guerre par procuration qu’ils mènent avec l’UE. L’Ukraine n’est que l’outil de cette guerre. Elle ne décide rien, comme dirait Biden: un « puppet regime ».

  8. Poutine n’a pas tout cela pour rien, il ne baissera pas les bras maintenant la survie de la Russie en dépend, pour l’europe des valets c’est trop tard…

    • bien d’accord avec vous, les yankees sont en cessation de paiement, Zélensky ne recevra plus d’armes il devra signer la paix ! les russes sont plus forts que les yankees ils ont réussi à brouiller le système des fusées américaines qui sont détourner du but prévu !

  9. Comment se fait-il alors que Wagner déplore une perte de 3km2 aujourd’hui au profit de l’Ukraine ?

  10. Tactique ou pas la victoire stratégique est inexorablement russe: 1/Les USA ne pourront pas faire de l’Ukraine la base de l’Otan sous le nez des Russes qu’ils espéraient obtenir après le coup d’état « du Maïdan » qu’ils avaient fomenté. 2/Qu’importe que la guerre s’allonge: les bombardements continus n’amènent que ruine – humaine et économique – permanente à l’Ukraine, anéantissant le pouvoir de nuisance pour les Russes. 3/L’adhésion à l’UE, favorisée par la pro US Van der Leyen, au vu des coûts gigantesques de rétablissement, n’amènerait que l’engloutissement des fonds structurels de l’UE, créant ainsi son affaiblissement économique pérenne (déjà que nous sommes « rincés » d’impôts).

    • Attention MmmH si vous dites  »guerre » vous risquez de glisser dans votre escalier …ou d’avaler du polonium par mégarde

  11. Cette guerre profite surtout au USA. Il vendent leur matériel aux états de l’UE ,qui suivent en bons petits toutous , ils affaiblissent la Russie et eux ils sont bien au chaud à des milliers de Kms . Mais quand va t on se décider à se mettre à la table des négociations ? Cette guerre peut durer encore des mois et des mois , voir des années….. Contrairement à ce que nous avait affirmé notre Brillant Bruno Le Maire qui en six semaines, grâce aux sanctions de l’UE , mettre Poutine et la Russie à genoux. Bruno Le Maire qui décidemment, semble plus doué pour le roman érotique, que pour l’analyse politique .

  12. Zelensky, qui tient enfin le rôle de sa vie, se moque éperdument des victimes de sa paranoïa! L’évidence n’est pas évidente, apparemment…Pauvre Europe.

      • Allez le demander aux Russes, c’est plus simple et plus réaliste que d’écouter la propagande servilement soutenue par les ignares français. Au fait, pourquoi il y a autant de citoyens français qui émigrent vers la Russie (700000 au dernier pointage)? Au point que Moscou à établi des conditions strictes d’admission. Les cerveaux fuient, c’est mauvais signe pour l’avenir de la Nation.

  13. Les dirigeants occidentaux sont tous des utopistes qui tordent le bras à la réalité. Ils ne voient que par la communication, mais oublient que s’il est bien de  » faire savoir » , il est mieux de « savoir faire ». Dans le cas de cette guerre, les victimes, sont pour ces responsables des quantités négligeables. Honte à eux et osons espérer que justice sera rendue à tous ces morts.

  14. >>> Washington avait bien mis en garde Kiev contre un risque d’encerclement potentiel… <<<
    Indépendamment de toute prise de position sur l'origine réelle des responsabilités entourant ce conflit, il serait quand même temps de prendre conscience que Zelenski est un dangereux forcené !

  15. Des morts, des blessés, des réfugiés, des destructions pour rien.
    Quand on tire les moustache de l’ours, il ne faut pas craindre les coups de pattes.

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