Ukraine : l’Europe dans l’engrenage de la montée aux extrêmes

POUTINE

De Bruxelles à Washington, les bruits de bottes succèdent aux déclarations martiales. Transfert d’armes lourdes, intensification de la guerre économique via un nouveau paquet de sanctions : la solution militaire et le choix de la confrontation s’imposent à l’encontre d’une solution négociée. L’heure est donc à la guerre.

Une drôle de guerre, cependant, puisque, dans le même temps, Américains et Européens expliquent qu'ils ne veulent surtout pas apparaître comme des « cobelligérants », sous peine de déclencher… une « Troisième Guerre mondiale ». Autre curiosité : annoncer une volonté de mettre en place un embargo européen sur le pétrole russe et, au même moment, via Emmanuel Macron, demander à la Russie d’avoir la gentillesse de bien vouloir lever son blocus des exportations de denrées alimentaires.

L’Europe veut la guerre, mais sans la faire, tout en demandant à son adversaire de ne pas prendre de mesures de rétorsion trop pénalisantes. Pour ne rien arranger, les Occidentaux, depuis le début du conflit, multiplient les provocations en traitant Vladimir Poutine de tous les noms et en s'interrogeant sur sa santé mentale. Le journaliste Renaud Girard, dans Le Figaro du 2 mai dernier, s’inquiétait de cette « surenchère verbale » et du refus persistant de l’Occident de « prendre en compte le ressenti de l’adversaire », ce qui est une des bases de la diplomatie.

Il y a, ainsi, fort à craindre que les Européens se retrouvent pris au piège d’une escalade dont ils risquent de perdre progressivement le contrôle. Enfermée dans un processus de montée aux extrêmes, chaque partie exprime désormais de plus en plus clairement sa capacité ou sa volonté de détruire l’autre.

Saisi par les vertiges de l’hybris, Joe Biden, le 26 mars dernier à Varsovie, déclarait que Vladimir Poutine, qu’il venait de qualifier de « boucher », ne pouvait pas rester au pouvoir. Un mois plus tard, le chef du Pentagone, Llyod Austin, déclarait, quant à lui, que l’Ukraine pouvait gagner la guerre si elle disposait « des bons équipements et d’un soutien suffisant ». Il ajoutait : « Nous voulons voir la Russie affaiblie à un degré tel qu'elle ne puisse pas faire le même genre de choses que l'invasion de l'Ukraine. »

Commentant ces déclarations, Renaud Girard remarquait que, dans cette guerre, on avait l’impression que la Maison-Blanche et le Congrès étaient encore plus jusqu’au-boutistes que le président Zelensky.

Ce n’est donc pas la paix qui est recherchée par les Américains qui tentent, en réalité, de reproduire en Ukraine, comme nous l’évoquions en mars dernier, la stratégie du « piège afghan ». Avec l’idée qu’un enlisement sanglant, associé aux sanctions économiques, pourrait, à terme, provoquer la chute de Poutine comme la défaite en Afghanistan avait annoncé la fin de l’URSS.

Dans ce contexte, persuadée que cette guerre constitue pour elle un enjeu vital et que les Occidentaux veulent sa perte, la Russie s’est engagée à son tour dans une surenchère verbale, comme en témoignent les déclarations de Vladimir Poutine, le 27 avril dernier, indiquant que si quelqu’un posait « des menaces de caractère stratégique inacceptables pour la Russie », il devait s’attendre à une réponse « foudroyante ».

Cette montée aux extrêmes est également renforcée par le refus systématique de tenir compte du point de vue russe et de ses revendications, car la Russie n’est pas appréhendée comme un adversaire stratégique mais comme un « ennemi absolu ». Ce qui est la conséquence de la rupture avec une vision de la guerre comme confrontation interétatique, entre puissances souveraines, et sa transformation en une lutte du bien contre le mal. La diabolisation de Vladimir Poutine et de la Russie éloigne toujours plus la perspective d’une sortie de crise. On ne fait pas la paix avec le diable, on le détruit.

Enfin, dernier élément qui risque d’entraîner vers le pire, le « piège du chat coincé au fond d’un couloir ». Pour reprendre les constats du stratège chinois Sun Tzu, c’est la situation bien plus que la qualité des combattants qui conduit à la victoire ou à la défaite. En étranglant économiquement la Russie et en proclamant vouloir la guerre afin d’obtenir son affaiblissement définitif, les Occidentaux expriment clairement leur refus d’ouvrir une porte de sortie acceptable à leur adversaire. Persuadé, alors, de n’avoir plus rien à perdre, il ne lui reste d’autre solution, comme le chat piégé au fond d’un couloir, que de jeter toutes ses forces sur celui qui le menace.

Est-ce vraiment ce que veulent les Européens ?

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 06/05/2022 à 7:15.
Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

69 commentaires

  1. Les USA jettent la Russie dans les bras des Chinois. Ce n’est pas notre politique mais dans la mesure où on est inféodés aux américains on est entraînés dans une guerre qui n’est pas la nôtre.
    Tout va dans ce sens actuellement et ce n’est pas la politique intérieure qui arrange le problème.
    Attention à la propagande , il n’y a pas de camp des saints.

  2. Les vrais responsables de cette guerre stupide, mais prévue de longue date, sont les USA. Les Européens sont des marionnettes. Quant aurons nous des dirigeants européens courageux ?

  3. Des peuples se laissent conduire à l’abattoir par des leaders politiques d’une irresponsabilité coupable, totale.

    N’y aurait il pas possibilité de faire naitre dans l’opinion publique occidentale un MOUVEMENT GENERAL D' »OBJECTEURS DE CONSCIENCE » (en termes clairs disons une désobéissance systématique aux mots d’ordre de GUERRE ) ???

    Puisse cette suggestion être entendue et suivie d’effet…c’est un SOS à faire circuler, avec la rage de SURVIVRE malgré tout..

  4. Oui, enfin remettons si vous le voulez bien l’église au centre du village. L’Ukraine est les occidentaux ne sont pas blancs comme neige. Mais tout de même, c’est la Russie qui a envahit un pays voisin. Que ce pays se batte par tous les moyens pour résister n’a rien d’étonnant ni condamnable: Vous feriez la même chose..

  5. Ce serait bien que les USA voient un de leurs pays frontaliers dans la même situation que l’Ukraine ..imaginons le Mexique ou Cuba en pleine guerre pour je ne sais quelle raison , mais armés par la Russie …histoire de rigoler

  6. La plupart des commentaires ici donnent dans le « plutôt rouges que morts ! »… Alors, laisser progresser l’expansionnisme de l’agresseur sanguinaire revanchard Poutine, dont les desseins réels visent à dominer et abattre cet occident aux mœurs LGBTQI+++ décadentes serait la seule porte de sortie ? Les bourgeois de Calais et les collabos défaitistes de 40 ont fait des émules. Le laisser agir, c’est hypothéquer gravement l’avenir des démocraties…

  7. Historiquement, Poutine a Raison sur le fond. (Maïdan, Minsk). Sur la forme, il a Tort.
    Détruire un Pays voisin, sans déclaration de guerre, est une Annexion. A ses yeux, l’URSS doit renaitre, comme ancien du KGB.
    Les USA lointains en profitent, l’OTAN renait, l’Europe se désagrège…
    Tout ça, face à une Russie de 140 M d’hab et un PIB voisin de l’Italie !! Un comble !
    Il n’est pas impossible que « l’Arme Fatale » soit déclenchée pour une simple question de « voisinage », pourtant négociable..

  8. Lorsque la chair à canons ukrainienne sera épuisée, les commis occidentaux de Biden feront appel à des volontaires. Ce ne sera toujours pas la guerre. Comme pour les armes, ce sera simplement un complément d’effectifs afin de soutenir l’Ukraine. En France, quelle est la classe sociale la plus adaptée à cet exercice, choyée, dorlotée par Macron ? Ce seront notamment les combattants de demain sur le territoire ukrainien.

  9. Un grand pays ne désire que rassembler les hommes et les nourrir. Un petit pays ne désire que s’allier au grand et le servir. LAO TSEU

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