Un automne artistique russe à Paris

Chepik

Les expositions parisiennes sont décidément placées, en cet automne 2021, sous le signe de la Russie. La prestigieuse collection des frères Ivan et Mikhail Morozov, que la fondation Louis-Vuitton a permis de réunir pour la première fois depuis sa nationalisation par la révolution soviétique et son éclatement entre le musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg et le musée Pouchkine de Moscou, offre le meilleur de ce que Monet, Sisley, Cézanne, Bonnard, Marquet, Gauguin, Maurice Denis, Matisse ou Picasso (pour ne citer que les plus grands noms de la peinture moderne française) ont pu produire. L’exposition, admirablement mise en scène, comme le fut d’ailleurs celle de la collection Sergueï Chtchoukine, il y a quatre ans, est tout simplement prodigieuse et mérite plusieurs visites en raison de la quantité et de l’intensité des œuvres présentées. Outre les grands maîtres français, le public peut découvrir, dès la première salle consacrée aux portraits de cette famille de collectionneurs moscovites passionnés, ces admirables artistes russes que furent Vroubel, Serov et Korovine.

Le Petit Palais, pour sa part, met à l’honneur celui que les Russes regardent comme leur plus grand artiste, Ilya Répine (1844-1930), par une rétrospective qui relève, elle aussi, de l’exploit, car elle parvient à réunir les chefs-d’œuvre du Musée russe de Saint-Pétersbourg et ceux de la galerie Tretiakov de Moscou. Le Covid ayant mis fin, depuis deux ans, aux voyages touristiques en Russie, on se précipitera pour admirer Les Haleurs de la Volga et la magnifique galerie de portraits que Répine a laissée de sa famille et de ses contemporains, dont celui, émouvant, du compositeur Modeste Moussorgski.

Le Centre spirituel et culturel orthodoxe russe de Paris propose, à son tour, une rétrospective de Sergei Chepik (1953-2011), artiste russe formé à l’Institut Répine de l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, admiratif aussi bien de Vroubel et Serov que de Gauguin et Picasso, ayant émigré à Paris en 1988 pour y peindre en toute liberté, mais n’ayant pratiquement exposé qu’à Londres, où la presse et le public surent, dès sa grande rétrospective de 1990 à Mayfair, reconnaître son talent « visionnaire ».

La première salle de l’exposition met en valeur les thèmes russes de l’artiste, en particulier Saint-Pétersbourg, face à son inspiration parisienne où dominent les vues de Notre-Dame, mais aussi quelques toiles sur le thème privilégié du cirque et des baladins. La seconde salle dévoile l’attrait de Chepik pour la peinture religieuse monumentale avec les esquisses et les études préparatoires réalisées pour l’immense composition sur la vie et la Passion du Christ, peinte dans son atelier de Montmartre entre 2002 et 2004 pour la cathédrale Saint-Paul de Londres, et révèle aussi son art du portrait (trois portraits de son épouse française, et surtout celui de l’acteur Pierre Richard, qui posa dans son atelier en 2002 et qui témoigne de cette expérience dans l’une des nombreuses vidéos mises à disposition des visiteurs).

Dans cette salle également, pour la première fois en France, est exposée une partie de la fascinante série d’études pour la Maison des Morts, vaste composition allégorique sur l’URSS peinte en 1987 et acquise dès 1989 par un collectionneur anglais. Maîtrisant les techniques picturales les plus diverses, de l’aquarelle à l’huile en passant par l’eau-forte, le pastel et la céramique, mais aussi tous les genres, du portrait où il excellait à la composition qui avait sa préférence, aimant se mesurer aux grands maîtres qu’il admirait plutôt que de céder à la tentation facile de la table rase, à contre-courant de l’art officiel en URSS, et depuis son installation à Paris, à contre-courant d’un certain art dit « contemporain » relativiste et souvent nihiliste, Chepik, toute sa vie, résista en esprit libre aux dogmes esthétiques et aux modes, choisissant de peindre, là-bas comme ici, « à temps et à contretemps ».

Collection Morozov, fondation Louis-Vuitton, Bois de Boulogne, tous les jours 10 h 00 - 19 h 00, jusqu’au 22/2/2022
Ilya Répine, Petit Palais, avenue Winston-Churchill, mardi-dimanche, 10 h 00 - 18 h 00, jusqu’au 23/1/2022
CSCOR, 1, quai Branly, du 4 au 28 novembre 2021, mardi-dimanche de 14 h 00 - 19 h 00, entrée libre, catalogue bilingue.

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