Un modèle : Michel Blanc ne donnait jamais son avis… sur rien !

Capture d’écran © Studio Canal France
Capture d’écran © Studio Canal France

Michel Blanc nous a quittés hier soir ; triste 4 octobre. Il avait 72 ans et encore un sacré bout de vie d’acteur devant lui. La faucheuse a décidément très mauvais goût en ses choix ; en matière de cinéma, en tout cas.

Contrairement à d’autres de ses collègues, Michel Blanc n’était pas né capé. Il a vu le jour à Courbevoie, en 1952. Son père était déménageur et sa mère dactylo. Bref, ça ne devait pas flatuler dans la soie, chez les Blanc. Puis il y eut la rencontre avec ses futurs comparses de la joyeuse équipe du Splendid - Thierry Lhermitte, Christian Clavier, Gérard Jugnot, Marie-Anne Chazel - sur les bancs du lycée Pasteur, à Neuilly-sur-Seine. Avec la saga des Bronzés, la suite appartient à l’Histoire.

Et c’est là que Michel Blanc crée son personnage emblématique de casse-bonbons hypocondriaque, Jean-Claude Dusse – celui qui a toujours des ouvertures amoureuses sans jamais parvenir à conclure. Un archétype demeuré dans la mémoire collective au même titre que celui d’un Louis de Funès, histrion hystérique, doux avec les forts et immanquablement dur avec les faibles.

Avant, Michel Blanc aura été un soutier du cinéma français, multipliant troisièmes rôles et panouilles de seconds couteaux ; soit une filmographie susceptible de donner le tournis, se comptant en centaines de films et de téléfilms.

Nous sommes tous des Jean-Claude Dusse !

Ces périodes de vaches maigres passées, Michel Blanc emmène son avatar souffreteux vers des sommets cinématographiques : Viens chez moi, j’habite chez une copine, de Patrice Leconte (1981) ou Marche à l’ombre, réalisé par ses soins deux ans plus tard. Personne ne saurait décemment s’identifier à ce personnage ; pourtant, il y a fatalement un petit je-ne-sais-quoi de lui en nous. Ne serait-ce que par sa touchante maladresse. Bref, nous sommes tous plus ou moins des Jean-Claude Dusse.

Voilà pour le Michel Blanc première époque. La seconde époque n’est pas fondamentalement contradictoire, à l’exception, peut-être du Tenue de soirée, l’un des plus mauvais films de Bertrand Blier, en 1986. Mais cela ne saurait faire oublier le nouveau chemin que lui ouvre Patrice Leconte avec Monsieur Hire, adapté d’un livre de Georges Simenon, en 1989. Le grand tournant pour Michel Blanc qui incarne enfin, au-delà de la figure hilarante du même Jean-Claude Dusse, un personnage ordinaire, pourtant capable d’accomplir des choses extraordinaires.

Ce que confirmait le même Patrice Leconte dans la revue Éléments. Interrogé par l’auteur de ces lignes, il assurait « adorer filmer ces gens communs pouvant parfois se révéler hors du commun ». Là, Michel Blanc apparaissait en tailleur grincheux mais fou amoureux, prêt à tous les sacrifices pour sauver l’être aimé, tout en se révélant être un champion de… bowling.

Hérault du cinéma populiste à la française

C’est dans cette veine populiste que Michel Blanc tutoie les sommets. Il n’en redescendra jamais, phénomène assez rare chez ses confrères et qui méritait ici d’être noté. Était-ce l’âge qui venait et, avec lui, une certaine forme de sagesse ? C’est probable, surtout chez un homme n’ayant jamais rien renié de ses origines plus que modestes.

Ce sera donc cette trilogie aussi exceptionnelle qu’informelle : Je vous trouve très beau, d’Isabelle Mergault (2005), Les Petites Victoires, de Mélanie Auffret (2023) et son ultime prestation dans Marie-Line et son juge, de Jean-Pierre Améris (2023).

Dans le premier, il incarne un paysan en proie à la détresse sentimentale, après un veuvage inattendu, qui épouse une jeune Roumaine, à l’occasion d’un mariage plus ou moins blanc. Dans ce rôle, il se révèle parfaitement poignant. Dans le deuxième, encore un rôle de paysan, un analphabète qui ne sait comment écrire sa flamme à son amour de jeunesse. Le tout sur fond de village breton refusant de mourir. Il est parfait de justesse. Pour son ultime prestation, il devient juge désabusé en proie aux misères de l’époque, mais irrésistiblement attaché à une fille elle aussi un brin perdue, serveuse de bistrot que joue à merveille la jeune chanteuse Louane. Cette fille l’aide à retrouver un sens à sa vie, tandis que lui mettra tout en œuvre pour la sortir de sa misérable existence. Un film tout en retenue, proprement bouleversant.

Aristocratie ouvrière

C’était ça, Michel Blanc. Un homme plus que discret qui refusait systématiquement les entretiens avec les journalistes – votre serviteur en sait quelque chose, malgré quelques recommandations haut placées… Et ne donnait jamais son avis sur rien. Il en avait sûrement un, qu’il devait remiser par-devers lui, tout en n’en pensant pas moins : il était connu pour ne pas communier avec l’air du temps. Mais il est vrai « qu’être dans le vent n’est jamais qu’ambition de feuille morte », pour paraphraser le philosophe Jean Guitton.

À croire que cette légendaire pudeur était chez lui une forme de noblesse, à la fois d’esprit et de cœur, lui, l’enfant de l’aristocratie ouvrière de naguère. Adieu, Michel Blanc.

Picture of Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

25 commentaires

  1. Quand je vous lis, monsieur Gauthier , il me vient à l’esprit que le critique que vous êtes , peut être aussi une personne necessaire, et parfois faire preuve d’une grande humanité. Un critique peut avoir la dent dure, souvent à juste titre , mais aussi nous faire toucher l’âme de l’ artiste . Votre article est le plus bel hommage que l’on puisse faire à Michel blanc parce que je le connais mieux après vous avoir lu. De plus, pour ne rien gâcher , ce n’était pas un donneur de leçon , un peu comme Daniel Auteuil autre bon acteur français, pas Cluzel bon acteur, mais . .

  2. Cher monsieur Gauthier, on a parfaitement le droit de ne pas aimer Bertrand Blier, mais affirmer que “Tenue de soirée” est un de ses plus mauvais films mériterait un développement que je n’ose imaginer…

  3. Je pense qu’il avait l’intelligence de comprendre que se dévoiler, politiquement s’entend, ne pouvait qu’attirer la réprobation de tout un monde de culture gauchiste s’il se trouvait à n’être pas du bon côté. C’était quelqu’un apprécié dans son métier comme dans l’amitié. Pensée pour lui et son entourage.

  4. Un acteur de renom qui ne se croit pas obligé de donner son avis sur la politique, les mœurs ou la Société, c’est plutôt rare, en effet!

  5. Belle epitaphe , pour un acteur/realisateur hors du commun, seul bemol , a mon humble avis, Tenue de soirée , qualifié ici de « plus mauvais film de B.Blier », franchement c’est abusé, comme on dit aujourdhui. Ce film fait , au contraire, parti de la grande periode d’ecriture du cineaste, « Les Valseuses », « Preparez vos mouchoirs », « Buffet froid » , « Beau Pere » , ( et certainement d’autres aussi que j’oublie) , et justement aussi « Tenue de soirée » qui avait dechainé les passions lors des projections la premiere semaine de la sortie du film, j’y etais ….mais bon, vos avis sont tellement justes , pour la plupart des films que vous chroniquez, que , je passe volontier l’eponge..

    • Je crois aussi que Tenue de Soirée est le meilleur film de Blier après les valseuses et devant Buffet Froid. Après, on peut lancer un débat si vous le souhaitez. Je suis bien de droite mais j’arrive à apprécier le travail de gens de gauche quand il est bon.

  6. Michel Blanc faisait partie de la troupe du splendid dans ses jeunes années, avec Thierry Lhermite, Gérard Jugnot, Christian Clavier entre autres. Ils étaient tous issus sociologiquement du même milieu que ceux des actuels pensionnaires du cours Florent. Si tout le splendid a réussi, c’est parce qu’ils étaient les meilleurs et il y a fort à parier que si « l’exception culturelle française » avait été en place dès les années 60, ils n’auraient jamais pu réussir comme ils l’ont fait, leur talent et leur leur travail auraient été dilués avec la médiocrité de tous leurs camarades de promo à qui on aurait à tous « laissé sa chance ». Michel Blanc, son succès il ne le doit qu’à lui-même, et à cette valeur méconnue aujourd’hui dans le monde artistique : le mérite !

  7. Ses personnages de français râleur mais si attachant étaient des chefs d’oeuvre ! Il était un magnifique représentant du génie français, loin des stéréotypes américains qu’on nous impose dans le cinéma depuis plusieurs décennies !

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