Un morceau du patrimoine français retrouvé chez un archéologue du IIIe Reich

Les Allemands firent transférer la tapisserie à Paris, en 1941, pour l'étudier minutieusement.
Myrabella
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La tapisserie de Bayeux est l’un des plus grands trésors artistiques et historiques de la France médiévale. Réalisée au XIe siècle, elle relate ainsi la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066. Longtemps conservée à Bayeux, cette œuvre exceptionnelle a traversé les âges, échappant aux guerres, aux pillages et aux destructions. Cependant, une découverte récente et surprenante a mis en lumière un pan méconnu de son histoire : un fragment de la tapisserie aurait été dérobé par un archéologue nazi.

Une œuvre historique exceptionnelle

La tapisserie de Bayeux est une broderie monumentale de près de 70 mètres de long, réalisée sur une toile de lin et brodée avec des fils de laine colorée. Elle aurait probablement été commandée par Odon de Bayeux, évêque et demi-frère de Guillaume le Conquérant, afin de glorifier la victoire et la conquête normande en Angleterre. Réalisée dans un atelier anglo-saxon, elle présente 58 scènes détaillant les événements ayant conduit à la bataille d’Hastings, le 14 octobre 1066.
Au-delà de sa dimension artistique, l’œuvre est également une source précieuse pour l’étude de l’Histoire médiévale. Elle illustre avec une grande précision les costumes, les armes, les navires et les traditions du XIe siècle. On y retrouve aussi des personnages historiques emblématiques, notamment Guillaume, duc de Normandie, ainsi que son rival Harold Godwinson, dernier roi anglo-saxon d’Angleterre.

Un parcours mouvementé à travers les siècles

Longtemps conservée dans la cathédrale de Bayeux, la tapisserie était exposée une fois par an aux fidèles. Pendant la Révolution, elle faillit disparaître lorsque les sans-culottes tentèrent de la découper pour en faire des bâches destinées aux chariots militaires. Fort heureusement, elle fut sauvée de justesse par un avocat, Léonard Lambert-Leforestier, avant que la commission des arts du district de Bayeux ne s’en saisisse officiellement en 1794 pour en assurer la sauvegarde.
En 1803, elle fut envoyée à Paris pour être exposée au Louvre pendant plusieurs mois. Certains avancent que le Premier consul Bonaparte y aurait vu un puissant symbole, susceptible d’inspirer et de galvaniser le peuple français en vue de son éventuelle invasion de l’Angleterre.
Au XXe siècle, la tapisserie attira l’attention du IIIe Reich. En effet, elle fut transférée en 1941 à Paris où elle fut minutieusement étudiée par des membres de l’Ahnenerbe, « Société pour la recherche et l'enseignement sur l'héritage ancestral »), créée par le Reichsführer-SS Heinrich Himmler. Cette organisation, chargée de légitimer les thèses racialistes du régime à travers l’archéologie, l’anthropologie et l’histoire, voyait alors dans la tapisserie une trace de l’héritage germanique des Normands.

Une découverte inattendue dans les affaires d’un nazi

En novembre dernier, une découverte a secoué le monde de l’art : un fragment de la tapisserie de Bayeux a été retrouvé dans les archives de l’État de Schleswig-Holstein, au nord de l'Allemagne, parmi les biens de Karl Schlabow, un archéologue spécialisé dans le textile et membre, justement, de l’Ahnenerbe. Cet universitaire allemand avait mené des analyses sur la tapisserie durant la Seconde Guerre mondiale et avait prélevé « deux petits fragments, uniquement de lin, qui font entre 1 et 2 cm, pris sur le revers, à un endroit qui n'est pas précisément localisé », selon Clémentine Paquier-Berthelot, chargée de la programmation numérique et documentaire aux musées de Bayeux. Ce prélèvement, passé inaperçu au moment de la Libération, aurait ainsi permis à Schlabow de regagner l’Allemagne avec son butin sans être inquiété.
Désormais identifié, ces fragments seront exposés dans un premier temps au sein d’un musée allemand avant d’être restitués à la France à la fin de l’année. Ils rejoindront, ensuite, la tapisserie de Bayeux mais ne pourront être visibles par le public qu’à partir de 2027. En effet, le musée de Bayeux s’apprête à fermer ses portes pour deux longues années de travaux, dans le cadre d’un ambitieux projet d’agrandissement et de modernisation.

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Eric de Mascureau
Chroniqueur à BV, licence d'histoire-patrimoine, master d'histoire de l'art

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