Un « non-événement », disent-ils !
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« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront noir ou blanc », écrivait La Fontaine. Les animaux – les humains – sont toujours malades de la peste, une peste qui s’attaque à l’esprit plus qu’au corps et, curieusement, cible de préférence les gens qui font profession de penser. En particulier ceux qui commentent l’information, la dissèquent et l’analysent. Disent le bien et le mal, assènent le vrai et décrètent ce qui est juste. Pour ceux-là, selon qui vous agresse, vous risquez de passer du statut de victime à celui de coupable…
À ce jeu, il y a des champions. L’éminent Olivier Duhamel, par exemple, brillant universitaire, prof à Sciences Po, ex-député européen, âme très ancrée à gauche, constitutionnaliste devant l’éternel et politologue sur Europe 1 où, depuis des années, il « explore et décortique les rapports entre médias et politiques ».
Dimanche dernier il avait dans son panel de « spécialistes » une vieille gloire de la gauche maoïste : Serge July, 76 ans, cofondateur de Libération.
Ils devisaient aimablement des derniers faits d’actualité. Arrive sur le tapis le meurtre du jeune Timothy, tué au couteau par un Afghan, à Villeurbanne. Un malade. Un fou, cet Afghan. Un drogué. Il est vrai que son pays, plaque tournante du narcotrafic en Asie, inonde toute la planète de ses saloperies ; de là à imaginer qu’on s’y shoote au biberon… Bref, cet Afghan est fou. Donc, circulez bonnes gens, ce meurtre est un « non-événement » et il n’y a rien à en dire. La preuve par ce dialogue inouï entre Duhamel et July :
Serge July : « J’avais cru comprendre qu’on était face à un schizophrène, il y a à peu près 1 % de schizophrènes dans la population, il en fait partie, et sa nationalité ou son origine afghane… Voilà, c’est un non-événement ! »
Olivier Duhamel : « Je suis d’accord avec vous ! […] Il y a des non-événements qui sont présentés immédiatement comme des événements et qui, à eux seuls, avant qu’on réfléchisse, fabriquent du populisme d’extrême droite. »
Serge July : « […] On peut dire qu’il y a un faux événement qui en cachait un vrai. Dans cette scène de Villeurbanne, il y a quelqu’un qui va au-devant de cet Afghan et fait tomber la violence, il s’appelle Abdelkader, c’est marrant hein ! Et bah, il a fallu quand même creuser pour qu’on fasse apparaître Abdelkader plutôt que l’Afghan. »
Olivier Duhamel : « Mais vous allez être immédiatement stigmatisé comme homme du politiquement correct qui refuse de parler d’immigration ! »
Un mot de compassion pour la victime et sa famille ? Pour quoi faire, puisqu’on vous dit que c’est un non-événement !
Le malheureux Timothy est un mort sans intérêt, comme sont sans intérêt toutes ces victimes qui, chaque semaine, tombent sous les coups d’un « malade » et pas d’un policier, puisqu’il paraît qu’en France, « État policier » s’il en est, seules les forces de l’ordre font d’injustes victimes. Des victimes à marche blanche dont le sort funeste occupe des heures d’antenne.
Et pourtant, pour reprendre les mots de Stéphane Ravier dans l’entretien qu’il accorde à Boulevard Voltaire, ce qui saute aux yeux, c’est « l’ensauvagement » de notre société. La violence quotidienne n’y est plus contenue ; elle explose au coin de la rue, dans les transports, voit dégénérer ce qu’on appelle pudiquement depuis des décennies « les incivilités ». On tue pour une cigarette, pour un regard, et si Serge July salue à juste titre le courage d’un Abdelkader, il pourrait avoir un mot pour ces autres victimes, tuées sauvagement ou mutilées à vie, comme le jeune Marin à Lyon, pour s’être interposées quand des Younès et des Abdelkrim prétendaient empêcher des Charlotte et Alexandre de s’embrasser.
Comme l’écrit Valeurs actuelles, qui revient sur ces faits divers à répétition et « le revers de l’altruisme » – s’interposer peut aujourd’hui coûter la vie –, « tout se passe comme si certains crimes étaient plus acceptables que d’autres. La crainte de stigmatiser conduit à une forme de négation du réel quand il ne s’agit pas d’autocensure morale. »
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