Une infirmière en secteur Covid : « Nous sommes sous-équipés et pas préparés et on nous laisse aller au front ! »

INFIRMIERE

Marie (le prénom a été changé) est infirmière en banlieue parisienne, dans une clinique privée. Sur le front du Covid-19, elle évoque la gestion de crise, l'incurie et l'absence de préparation des pouvoirs publics, au micro de Boulevard Voltaire.

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Vous êtes infirmière dans une clinique de banlieue parisienne. Pouvez-vous vous présenter brièvement et nous expliquer pourquoi vous préférez rester anonyme ?

Je préfère rester anonyme pour protéger mes collègues et pour éviter quelconque retombée envers ma direction.

Comment faites-vous avec vos collègues face à cette épidémie sans équivalent ?

D’un point de vue pratique, nous avons des protocoles spéciaux Covid qui nous sont donnés. Avec la charge de travail que nous avons, c’est toujours un peu compliqué. D’autant qu’il faut les lire pratiquement quotidiennement, car ils changent tous les jours voire plusieurs fois par jour. C’est principalement des règles d’hygiène de base et le respect des tenues spécifiquement quand on travaille dans le secteur Covid.
Pour faire face à cette épidémie, l’entraide entre les collègues est très importante. Il est vraiment très important de rester soudés. Heureusement, nous le sommes ! C’est ce qui nous permet d’avancer dans cette crise et de simplement tenir. Cette situation reste très difficile que ce soit en secteur Covid où nous sommes directement touchés, mais aussi dans les autres services, car par rapport au plan blanc, on est obligé de prendre certains patients et on n’a pas forcément toujours la prise en charge adaptée.

On dit que le personnel soignant est sous-équipé et pas du tout préparé à cette crise. Emmanuel Macron a dit qu’on était en guerre. Êtes-vous armés pour participer à cette guerre ?

On est sous-équipé pour plusieurs raisons. Dès qu’on a vu ce qui se passé en Chine, on s’est dit que c’était loin, que c’était une petite grippe et qu’elle ne touchait que les personnes âgées ou avec des comorbidités. Il s’avère en fait que pas du tout. Cette épidémie est en réalité arrivée très rapidement et elle n’est pas encore finie.
Dès que l’épidémie a commencé à se répandre, il y a eu une rupture de masques. Nous n’en avions donc pratiquement plus. Aujourd’hui, dans les hôpitaux les masques sont sous clés. Et s’ils ne le sont pas, on nous en donne un certain nombre par jour et on doit signer pour pouvoir les compter après. C’est tout un processus, alors que d’habitude on a des boîtes de masques et on ne les compte pas. C’est complètement fou de se dire qu’on doit comptabiliser nos masques, sinon on va se retrouver rapidement à court. Je ne parle même pas des solutions hydroalcooliques. Nous n’en avons pratiquement plus. Heureusement, des groupes les recréent et nous en donnent.
Au début de l’épidémie, on devait les compter et les garder avec nous dans nos poches ou dans le poste de soins sinon certaines personnes pouvaient les récupérer.
Certaines de mes collègues et amies se sont fait braquer dans les hôpitaux, car des gens voulaient récupérer ces solutions hydroalcooliques et ces masques. C’est complètement fou !
Nous sommes une petite structure, on ne va donc pas avoir autant de dons que d’autres hôpitaux plus conséquents. Nous arrivons à court de masques FFP2. Ces derniers sont pour la plupart périmés. Un peu partout en France, mes collègues disent la même chose.
On utilise quand même ces masques. On se dit que c’est moins pire que de rien avoir sur nous.
En 2020C, c’est assez fou dans un pays tel que le nôtre.
De plus, nous n’avons plus de surchaussures. On est donc obligés de se créer des surchaussures avec des sacs poubelles. Quand quelque chose vient à manquer, on nous répète que c’est inutile. C’était le cas avec les masques. Tout le monde disait qu’ils n’étaient pas utiles et maintenant on nous demande les porter. C’est utile, ne serait-ce que pour protéger les autres de nos propres expectorations et postillons.
On nous dit que le port du masque FFP2 n’est pas forcément aussi utile que le port du masque chirurgical. On s’est pertinemment que si, mais à partir du moment où on est en rupture de stock de certains matériels, on nous dit que c’est inutile.

Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?

Cela fait un moment que les hôpitaux sont en crise et que les infirmiers et les médecins sont dans la rue. Les gens ne se rendent pas compte que les infirmiers et les infirmières ont des responsabilités. Ils commencent à s’en rendre compte maintenant. D’un point de vue financier, la prime est très bien, mais il faut une revalorisation de base. Personnellement, ce que j’attends c’est davantage d’honnêteté de leur part et de considération de notre personne.
Aller au front sans avoir toutes les informations c’est dangereux, inconscient et inconcevable. Je ne comprends pas comment on peut nous laisser sans rien en nous disant qu’on est des héros, alors qu’en fait nous essayons juste de faire notre métier du mieux que nous pouvons avec le moins que nous avons. J’attends aussi une réaction beaucoup plus rapide la prochaine fois, car on sait qu’il va y avoir une deuxième, voire une troisième vague. On sait qu’elles vont arriver et on est tous au courant. J’aimerais vraiment une réponse beaucoup plus efficace et rapide et des formations plus pointues. Ces choses peuvent se faire. On ne demande pas trois jours de formation, mais une heure de formation pour vraiment nous expliquer les tenants et les aboutissants de certains appareillages qu’on ne connaît pas pour les patients atteints de Covid.
C’est une prise de conscience de ce qui se passait avant dans les hôpitaux et ce qui se passe aujourd’hui. Une fois que cette crise sanitaire sera passée, cela pourrait être un changement pour le futur. Mais c’est avant tout l’honnêteté.
Quand on entendait les discours disant que les personnels soignants étaient préparés et équipés, on savait que c’était pertinemment faux. C’est juste aberrant d’entendre cela surtout quand on travaille dans les hôpitaux. C’est catastrophique pour notre mental.

Quel message voudriez-vous faire passer à ceux qui considèrent le confinement comme trop exagéré et ceux qui préféreraient partir en vacances ou qui dans leur quartier préfèrent sortir plutôt que de respecter ce confinement ?

Le discours des personnes qui disent que c’est une suppression de nos libertés m’exaspère.
C’est justement pour qu’on est plus de liberté après et qu’on puisse reprendre une vie à peu près normale. On est donc obligé de passer par le confinement.
Dans d’autres pays comme en Suisse ou en Belgique, un semi-confinement a été mis en place. Les gens en Suisse respectent en majorité les règles qu’on leur impose. Lorsque notre Président nous avait demandé de rester au maximum chez nous et de n’effectuer que des sorties vraiment essentielles, tout le monde s’était retrouvé au parc le lendemain. Quand on voit cette mentalité, on est obligé de mettre des mesures drastiques pour que les gens respectent le confinement.
Cela nous a évité une hécatombe comme on peut voir aux États-Unis. Si on se retrouve avec d’autres épidémies de la sorte, on aura une réponse moins drastique que ce confinement parce qu’on aura mis en place des actions pour. C’est ce qu’il s’est passé après la grande canicule. Aujourd’hui, on sait ce qui se passe, on a donc mis des actions en place. Aujourd’hui, on se prépare en amont. J’imagine qu’après cette épidémie, ce sera similaire.

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