[Une prof en France] Ah, le risque, cet ennemi du fonctionnaire !
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Dans vos commentaires, je lis semaine après semaine des messages qui pointent la responsabilité des enseignants, généralement qualifiés comme étant « de gauche », dans le naufrage scolaire. D'autres messages, à rebours, vantent le courage de ceux qui œuvrent chaque jour pour maintenir le navire à flot. Les avis sont donc partagés sur le rôle joué par les enseignants dans l'effondrement du niveau des élèves et de leurs conditions de vie dans les établissements.
Les enseignants forment (ou formaient…) un corps qualifié, solidaire dans une grande part et arc-bouté sur son statut. Ils sont représentés par des syndicats structurés dont on exagère souvent, de façon un peu fantasmatique, la capacité d'influence. Ils restent toutefois très représentatifs : environ 30 % des enseignants sont syndiqués, contre 8 % des employés du privé. Le taux moyen de syndicalisation est estimé, en France, à un peu plus de 10 %, mais ce nombre intègre justement les enseignants, qui entrent aussi dans le taux de 18 % donné pour la fonction publique dans son ensemble. Même les cheminots ne font pas aussi bien…
Il faut peut-être dans tout cela faire la part de l'idéologie et de la peur. Il est vrai qu'un certain nombre d'enseignants sont mus par une forte idéologie : « valeurs républicaines » très orientées, idéalisme socialisant d'un autre âge et en décalage avec le réel, esprit France Inter… Mais on est loin des heures de gloire de la FEN et de la Ligue de l'enseignement. Les lignes bougent, sous les coups de boutoir du réel. Pour autant, beaucoup croient en leur « mission », qu'ils définissent avec les éléments de langage qu'ils ont reçus lors de leur formation-formatage. Or, les mots créent l'idée, et l'idée peut modifier la perception du réel et conditionner l'action. Comme beaucoup d'humains, ils répugnent à remettre en cause leur grille de lecture du monde et doivent, pour conserver l'image qu'ils ont de leur légitimité, trouver à ce qu'ils vivent des causes compatibles avec cette grille.
Mais ma longue fréquentation des salles des professeurs me fait faire un triste constat : il me semble, aujourd'hui, que ce qui motive leurs crispations est surtout la peur. S'ils sont aussi massivement hostiles à une mise en concurrence des établissements, à une évaluation de leur travail personnel et à une éventuelle rémunération au mérite, à une refonte totale du système, au retour de la sélection et des classes de niveau, à la promotion d'une réelle liberté éducative, enfin, à tout ce qui pourrait encore redresser, peut-être, l'école, c'est en raison d'un attachement irrationnel à la « sécurité de l'emploi ».
Ils ne veulent pas réellement la suppression des maux qui les affligent au quotidien et contre lesquels ils ne cessent de récriminer, parce que cette suppression entraînerait assez certainement celle de leur statut « à vie ». Et nombre d'entre eux sont prêts à de grands sacrifices pour ne pas perdre ce qui leur apparaît comme un gilet de sauvetage précieux dans la tempête chaotique du monde du travail actuel.
Une de mes collègues, professeur d'arts plastiques, fait quotidiennement 120 kilomètres pour venir se faire insulter et mépriser par nos élèves, qui ne voient pas l'intérêt de son enseignement et ne reconnaissent pas son autorité, étant donné qu'elle ne voit chaque classe qu'une heure par semaine et que sa matière est tout en bas du bulletin. La voyant totalement déprimée, je lui ai suggéré de faire autre chose. Elle m'a répondu qu'elle ne savait rien faire d'autre… 25 ans d'Éducation nationale l'avaient convaincue qu'elle n'avait aucune compétence. Je lui ai alors fait entrevoir la possibilité d'ouvrir un commerce : elle peint, sculpte, est cultivée et connaît tous les artistes de la région, elle pourrait ouvrir une boutique qui soit à la fois salon de thé et galerie, y vendre des créations originales, y organiser des expositions et des événements… Tout cela, elle sait le faire ! Cela lui a mis du baume au cœur, mais elle ne le fera jamais, car elle trouve cela… trop risqué. Et le risque, c'est l'ennemi du fonctionnaire.
C'est schizophrénique, car le plus grand adversaire des enseignants est leur propre administration, mais ils ont si peur de perdre leur sacro-sainte sécurité qu'ils restent inféodés à cette même administration, à laquelle ils ne disputent pas réellement sa toute-puissance. Cercle vicieux qui entraîne dans sa boucle infernale des millions d'enfants dont la plupart, malgré tout le mal que l'on peut penser d'une jeunesse largement déliquescente, seraient dignes de leurs ancêtres s'ils recevaient le même cadre structurant et étaient soumis aux mêmes exigences.
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28 commentaires
Rappelons-nous 1981. Les barbus entrent à l’Assemblée Nationale (en ce temps-là, c’étaient les profs qui étaient barbus). Les profs étaient des copains, ils se faisaient tutoyer. Bref, ils ont cherché ce qui leur arrive. Qu’ils reviennent au coup de règle sur les doigts et à la fessée (même si çà choque quelques bisounours humanistes), et tout ira beaucoup mieux (y compris avec nos racailles qui ne respectent QUE la force)
Analyse et constats d’une grande clarté ! Mais que pouvons nous faire pour rompre cette espèce de cercle vicieux qui interdit d’espérer une remise en ordre de l’hydre qu’est devenue l’éducation nationale ?
Ça confirme que les mesures sociales (comme le statut des enseignants) ne sont pas seulement ruineuses pour les assujettis et contribuables, mais aussi capables de renforcer la pusillanimité de certains caractères, et d’amollir une nation. Une des raisons pour laquelle je suis libertarien.
Ils vivent dans un univers soviétique , encore acceptable dans les années 70 où beaucoup étaient communistes…mais Gorbatchev est arrivé , comme Zorro…
Il faudrait supprimer ces enseignements d ‘arts plastiques , musique, de travaux manuels, même d’ éducation physique…il y a des clubs privés pour tout cela…il faut conserver uniquement : maths , français , histoire géo, une seule langue, et c’est à peu près tout !!
Vous avez parfaitement raison, madame, et ce phénomène s’accroit de plus en plus en particulier chez les jeunes enseignants à qui on confie, à tort et à risque, des postes de plus en plus difficiles alors qu’eux-mêmes sont de moins en moins formés, voire même pas du tout si ce n’est un stage de 3 semaines. Et au travers des événements souvent graves et malheureux qui émaillent les cours et les classes des lycées et collèges, ancien président de parent d’élèves pendant 5 ans, je constate avec effroi l’énorme dégradation due en grande part non seulement à l’administration frileuse, peureuse et au « pas de vagues », mais surtout au dessus d’elle aux gouvernements qui le plus souvent n’y connaissent strictement rien et ne font que vouloir appliquer des politiques idéologiques irréalistes voire aberrantes et destructrices.
C’est exactement ce qui m’est arrivé. Je ne suis pas restée dans les clous, entrée dans le moule : j’ai terminé au 9ème échelon. Imaginez le montant de ma retraite, comparé avec celui d’une collègue entrée le même jour que moi, qui s’est syndiquée et a milité toute sa carrière.
Et puis, n’ayons pas peur de le dire et redire, une forte proportion d’une certaine promiscuité en augmentation constante n’arrange pas le problème lorsque l’on constate le courage qu’il faut pour enseigner dans certaines classes certaines matières où les menaces sont courantes parents d’élèves compris, et quand je dis menaces je suis gentil.
Avec des historiens formateurs comme Patrick Boucheron, on n’est pas sorti de l’auberge.
le courage, la prise de risque, sont , ( et ce n’est pas nouveau) des qualités très rares ! ne pas vouloir se défaire de ce qui entrave et pire, penser que l’entrave vous protège, c’est juste dramatique ! La vie n’est pas une aventure sans risque, ceux qui pensent çà souffrent mais vont souffrir encore et encore, jusqu’à ce qu’enfin ils dépassent leurs renoncements ! En attendant, ce sont les enfants qu’on leur confie qui trinquent !
Quand tous les élèves seront dans le privé, ils se remettront à apprendre à lire, écrire et compter, rt apprendre l’histoire de France dans le bon sens. Les autres seront les enfants d’immigrés qui ne parlent pas français, et donc se fichent pas mal du niveau de leurs enfants. L’école de Jules Ferry sera finie, perdue. La faute à tout ce fatras de personnel enseignant mélangé au personnel administratif en surnombre, qui n’aura pensé qu’à protéger ses petits /grands privilèges. Voilà le résultat ! Merci , Madame, pour votre article très honnête…
Je vous cite « mélangé au personnel administratif en surnombre ». Excusez-moi, mais qu’elles sont vos sources pour avancer cela ? Pendant trois ans j’ai tenu le poste de Gestionnaire (ex Intendant) dans un collège rural de 600 élèves, et où nous préparions plus de 400 repas par jour. En tant que chef des services administratifs et d’intendance, je n’ai jamais considéré que le nombre de mes collaborateurs était trop élevé, bien au contraire. Mais vous me direz que c’était sans doute un collège particulier parmi ceux que vous semblez dénoncer…